Cinergie.be

Watermael-Boitsfort fait son cinéma

Publié le 15/10/2019 par Constance Pasquier et Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Manuel Dias et Mirko Popovitch
Watermael-Boitsfort fait son cinéma

 

C’est au cœur de la commune de Watermael-Boitsfort qu’est née la Vénerie en 1971. Véritable centre culturel synergique, cette asbl vise à renforcer les liens entre culture et citoyens. La Vénerie, c’est un nom pour deux lieux. Les Écuries, d’abord, accueillent les ateliers créatifs et artistiques, les activités des associations mais aussi des conférences et des spectacles plus intimistes. L’Espace Delvaux, ensuite, renferme une salle de 259 places, antre de spectacles vivants, de cinéma et d’autres activités internes ou externes.

C’est dans ce cadre que se rencontrent Manuel Dias et Mirko Popovitch, l’un est animateur programmateur et l’autre, ancien directeur de la Vénerie. 30 ans plus tard, Manuel va prendre le large et les deux comparses vont marquer le coup. Conjointement à la sortie de son livre, 100 ans de cinéma à Watermael-Boitsfort, Mirko va organiser, avec Manuel, un festival qui se tiendra du 23 au 26 octobre. Ce sera l’occasion de revoir des films qui sont liés de près ou de loin à la commune de Watermael-Boitsfort.

Cinergie : Comment avez-vous commencé à travailler ensemble, il y a 30 ans ?
Mirko Popovitch : L’Espace Delvaux a été construit sur les ruines du Sélect, un cinéma de quartier, en 1985. Quand on a créé le Delvaux, on voulait faire un cinéma de quartier où les gens se rencontrent à la manière des ambiances de cinéma de quartier du temps passé. On a donc développé, avec La Rétine de plateau, les Cinés Apéros. Les gens venaient voir un film et ils recevaient un apéro ce qui leur permettait d’échanger et de parler. Il y avait très souvent un court-métrage en première partie, souvent avec le réalisateur, l’équipe ou un comédien et ensuite, le film.

Manuel Dias : On se fournissait en courts-métrages auprès de Média 10-10, un festival très actif à Namur. On découvrait les films et on les présentait ici après. Parfois, les réalisateurs venaient les présenter.

Les premiers spectateurs de 18h sortaient du film, prenaient leur apéro et croisaient ceux qui venaient à 20h30. C’était intergénérationnel. C’est toujours d’actualité.

 

Manuel DiasC. : Cette salle est spécialisée en cinéma ?
M. P. : Non, pas vraiment. Le mercredi, c’est systématiquement cinéma depuis 1985. Parfois le mardi, il y a les documentaires et Manu s’occupe des Cinés famille le samedi.

M. D. : Il y a aussi les rencontres avec Olivier Lecomte qui ont lieu depuis plus de 10 ans. Il anime des cycles de conférences sur le cinéma. C’est une chance d’avoir quelqu’un qui est capable de parler de cinéma, qui analyse le langage cinématographique mais qui apporte aussi une contextualisation parfois sociopolitique. Cette approche permet de s’adresser à un public très large. Il a aussi une formation de philosophe donc c’est assez complet. Ces rencontres ont lieu deux samedis matin par mois et on a une moyenne de fréquentation de 50 à 60 spectateurs/participants. Les gens viennent se ressourcer et élargir leur point de vue de cinéphile.

M. P. : La Vénerie a toujours eu une forte connotation cinématographique. Aux Écuries, il y avait le Royal Cameram qui est un club de cinéma amateur très important en Belgique, qui avait raflé tous les prix pendant de nombreuses années, dont certains membres sont devenus des cinéastes professionnels. Il y a l’atelier Jeunes Cinéastes qui s’est créé à Watermael-Boitsfort et l’atelier Alfred qui ont eu leurs activités ici depuis de nombreuses années. Il y avait d’autres initiatives comme Parallax, une école privée d’acteurs dans les années 1970.

Quand on a inauguré lEspace Delvaux, la première activité était un festival de films canadiens. Puis, il y a eu les films africains, les films coréens. On a eu une collaboration avec le centre culturel coréen de Bruxelles, les films d’ex-Yougoslavie avec comme clôture au cycle l’orchestre de Kusturica.

M. D. : Les films étaient acheminés par valises diplomatiques. Dans l’équipe, il y avait Olivier Magis et sa compagne Tatiana qui avaient la possibilité de faire venir des films par voie diplomatique. On a donc pu faire venir Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov.

M. P. : Ce qui est intéressant, c’est l’évolution du matériel. Ici, il n’y a plus de projecteur 35 mais pendant de nombreuses années, on a projeté en 35, en 16 et en vidéo. Maintenant, c’est essentiellement du DCP. C’est peut-être le problème parce que la disponibilité des copies des courts-métrages, des films d’auteurs, des documentaires n’est pas évidente en DCP.

 

C. : À côté des projections récurrentes, il y a aussi d’autres festivals ?
M. D. : On est au 12e cycle du Festival Images Mentales depuis ma rencontre avec l’asbl Psymages. Ce festival rencontre un succès incroyable même si, au départ, on pourrait penser que la représentation de la santé mentale au cinéma s’adresse surtout à un public spécialisé. Ils ont réussi à trouver la façon de sensibiliser le public à cette question via une belle programmation, des films d’ateliers (du club Antonin Artaud par exemple). Ils touchent un public large incluant un public professionnel.

M. P. : Il y a aussi les Mardis de l’Art organisés par le Centre du Film sur l’Art qui se déroulent sur le temps de midi.

M. D. : Et, il y a tout le volet jeune public avec les Ciné famille à l’Espace Delvaux. On a d’abord voulu toucher le jeune public dans un contexte familial. Ensuite, les liens avec les écoles prennent de plus en plus de place. On fait partie du réseau bruxellois d’Écran large sur tableau noir. On est 7 salles membres de ce réseau. Il y a une plateforme sur laquelle les enseignants s’inscrivent et ils ont accès à toute une série d’infos et aux horaires des séances. On continue de contacter les écoles environnantes. On s’attache de plus en plus à cette dimension de sensibiliser le public depuis la maternelle au langage cinématographique.

M. P. : Ce qui est important aussi à l’Espace Delvaux, c’est l’évolution de la programmation. En 1985, on avait 70 à 80% des films vedettes de la cinématographie. On les diffusait un an après leur sortie en salles. C’étaient surtout des films anglo-saxons, pas des films commerciaux, mais qui étaient connus. Et, d’année en année, on est allé vers des cinématographies d’auteurs, on a élargi la géographie de la production. Le public était aguiché par l’ambiance, par la qualité, par l’accueil de Manu. Il y avait une convivialité qui n’existe pas dans une salle de cinéma classique. Aujourd’hui, on est plutôt à 70% de films d’auteurs, de films des différentes communautés culturelles.

M. D. : On s’ouvre sur la cinématographie mondiale mais on est aidé par le développement de cette cinématographie. Il y a une forte évolution entre le cinéma de la fin des années 1980 et le cinéma d’aujourd’hui, sans parler du passage au numérique qui a permis de développer plus de productions. Il y a de plus en plus de pays, en Asie surtout, qui produisent et qui ont développé des écoles de cinéma importantes comme la Corée du Sud récemment.

 

Mirko PopovitchC. : Quel est le thème de l’ouvrage 100 ans de cinéma à Watermael-Boitsfort?
M. P. : J’ai 71 ans et j’ai été baigné dans le monde du cinéma depuis mon enfance, quand ma mère suivait les cours Simon à Paris. Quand je suis arrivé à Boitsfort en 1970, j’allais forcément faire un tour quand il y avait un tournage. Depuis lors, j’ai fait beaucoup de rencontres, j’ai beaucoup d’anecdotes, beaucoup d’amitiés que Manu a renforcées en accueillant ces personnes à la Vénerie.

Je compte une centaine de films qui ont tous un lien avec Boitsfort. Il y a les réalisateurs qui y habitent comme Claude François, Bernard Crutzen, Manuel Poutte, ou le producteur de Triangle 7 et les réalisateurs, les comédiens, les techniciens, les régisseurs qui sont venus tourner ici.

Boitsfort est aussi riche en décors : la forêt de Soignes, les écoles, etc. C’est une commune-dortoir, on peut facilement bloquer la circulation. De plus, la commune ne fait pas d’histoires et c’est très facile de tourner. Les habitants louent facilement leur maison.

Pendant ces tournages, j’ai rencontré beaucoup de monde : des acteurs (comme Jan Hammenecker, Jean-Louis Leclercq, Yolande Moreau, Abel Gordon, etc.), des réalisateurs (Jaco Van Dormael, Manu Bonmariage, Henri Storck, Roland Mahauden, etc.). Et, je capte des anecdotes révélatrices : quelque chose qui parle du cinéma, de la vie sociale, de Watermael-Boitsfort ou du monde. Je ne m’intéresse pas aux stars mais plutôt aux décors, aux anecdotes de tournage.

Pendant 4 jours, fin octobre, on va présenter des choses en lien avec Boitsfort notamment Mémoire vive d’Alice Latta qui fait des captations de témoignages de personnes âgées. Le jeudi soir, il y aura deux avant-premières : Terra Artistika, un court-métrage produit par Triangle 7 sur l’artiste Jephan de Villiers et Nous sommes tous les enfants de Cro-Magnon de Peter Anger et le vendredi, on présente un film sur Marcel Moreau, l’écrivain rebelle qui habitait aussi Boitsfort. Le samedi matin, on présente le livre avec quelques témoins.

 

Jaco Vandormael à BoitsfortC. : Ce sont donc 4 jours de mise à l’honneur de Boitsfort ?
M. P. : Boitsfort est omniprésent, c’est mon fil rouge. Mais, je parle d’un tas de gens qui ne sont jamais venus à Boitsfort comme ma mère quand je parle de Michèle Morgan qui a tourné à la maison communale de Boitsfort. J’ai obtenu une interview avec elle parce qu’elle était aux cours Simon avec ma mère.

M. D. : Mon amour pour le cinéma est né en France, à Tours, où la salle d’art et d’essai, Le Studio, est réputée. J’y ai découvert beaucoup de films grâce au prêtre jésuite qui s’occupait de l’endroit et qui avait une grande connaissance du cinéma. Puis, je suis parti en Belgique faire l’IAD, j’ai enchaîné les petits boulots et ma rencontre avec Mirko a coïncidé avec l’ouverture de l’Espace Delvaux.

M. P. : La sœur de Manu a développé beaucoup de mes premiers films. Le monde du cinéma est petit. J’ai énormément d’anecdotes au sujet d’une multitude d’artistes qui vivent ou ont vécu dans la commune comme Jaco Van Dormael, Michelle Anne De Mey et son frère Thierry, Thomas Gunzig, la famille Dartevelle.

Je connais bien Jaco Van Dormael avec qui j’ai fait un court métrage, Sortie de secours, qui a été interdit. On ne pouvait pas montrer les acteurs adolescents à l’écran, on n’avait pas d’autorisation.

M. D. : Il y a quelques années, on a mis en place un atelier d’écriture journalistique avec André Dartevelle avec des gens qui émargent au CPAS. On a consacré un dossier sur Jean Van Lierde qui avait une implication sociale très forte. Un auteur qui avait fait de la résistance sans arme. Il a été condamné de nombreuses fois, il a écrit un ouvrage sur la prison, il a travaillé dans les mines, il a écrit un ouvrage sur la mine.

 

C. : Et, pour le futur ?
M. D : Dans le secteur que j’ai développé à la Vénerie, il y a aussi une dimension importante, c’est le contact avec le public et permettre à ce public de prendre une part active dans la vie socioculturelle et en particulier dans la politique du cinéma à la Vénerie. Il y a un comité audiovisuel qui s’est créé. Au départ, on faisait des échanges autour des films. On se réunissait le samedi matin pour commenter le film qu’on avait vu le mercredi. Petit à petit, le comité s’est agrandi et on a commencé à discuter de la sélection des films. Il y a vraiment une interaction qui s’est créée entre le public et les films. Il y a des membres du public et des professionnels du cinéma qui se sont joints au projet.

Je ne sais pas comment va évoluer ce secteur après mon départ. Cela dépend de mon successeur. Malheureusement, dans le milieu socioculturel, les moyens financiers sont limités.

Tout à propos de: