Adil et Bilall, donc (puisque désormais c'est un duo qui s'affiche ainsi au bas de l'affiche et au générique) réalisent leur troisième long métrage à Anvers sur une trame narrative très « american style ». Soit une bande de 4 potes (dont une potesse) qui glandent et loosent à qui mieux mieux et tentent de jouer au plus malin avec le big caïd du coin, braquent de la cocaïne, se la racontent les rois du monde pour finir par se la ramasser sévère. Tout ça en 7 temps, comme les 7 péchés capitaux qui structurent la narration du film en forme d'ascension et de chute ! Attention, l'artillerie lourde est sortie – ce qui est tout de même, la marque de fabrique du duo qui ne boude jamais son plaisir. Terriblement 80's avec son habillage néon fluo et ses contrastes hyper stylisés, Patser multiplie les vannes et l'autodérision autour de sa bande de loosers vite confrontés aux vrais tenants du pouvoir. Et là, ça canarde sec, mais avec du plomb. Alors ça tire en tous sens, ça saigne au ralenti, ça sur-découpe à fond, avec quelques morceaux de bravoures et beaucoup d'ellipses. Devant autant d'agilité cinématographique, de situations cocasses et loufoques, de superbes carnages à tire-larigot, d'entourloupes et autres revirements du scénario qui vitriolent finalement tout le monde au passage (du bourgmestre d'Anvers qui ferme les yeux aux flics racistes du coin qui font leur beurre), on ne va pas non plus bouder notre plaisir. Adil et Bilall ont ce génie de prendre tout ce qu'ils aiment (séries à la Miami Vice, jeux vidéos, films de gansta), de tout mettre dans leur cocotte minute cinématographique et de tout restituer dans un mélange savoureux, énergisant et pas si naïf au fond. Car Patser au final est tout autant le portrait d'une génération qui se rêve dans les écrans de cinéma que de la ville qui la fabrique. Rencontre avec deux réalisateurs prêts à aller jusqu'au bout du rêve en question dans une petite interview en forme de péchés capitaux bien réjouissants !
Frimeurs ! Et fiers de l'être !
L'orgueil
Cinergie : Vous avez un premier film noir et réaliste, puis vous avez réalisé un mélodrame. Patser est un film de gangster comique. Est-ce qu'à vouloir tout faire, vous ne seriez pas un peu orgueilleux ?
Adil : Orgueilleux ? Oui, peut-être... On voulait faire un film où on se foutait de tout, les codes, les règles ! (rires). Entre temps, on est parti à Hollywood où on a tourné deux épisodes de la série Snowfall. Aux Etats-Unis quand on tourne un film, surtout pour la télévision, il y a beaucoup de règles, tout est très structuré, on ne peut pas vraiment faire ce qu'on veut. Quand on a su qu'on revenait en Belgique et qu'on avait la chance de pouvoir faire un film, on s'est dit « On s'en bat les couilles de toutes les règles ! On va faire ce qu'on veut, bordel de merde ! ». C'est quand même un peu orgueilleux, oui, parce qu'on a pris beaucoup de risques et c'est facile de se casser la gueule à cause de ça...
Bilall : En même temps, c'est ça, un « patser », c'est quelqu'un qui se la pète, qui frime ! Alors le film est comme ça !
A.: Littéralement, ça signifie un frimeur, quelqu'un qui se la pète... On fait un film sur des frimeurs alors il faut frimer !
B. : Et se mettre dans la tête des frimeurs si on veut y arriver !
La paresse
C. : Est-ce que vous êtes deux parce que vous êtes paresseux ?
A.: A mort ! (rires)
B.: (rires) C'est le plus grand de nos péchés, ça !
A.: C'est pratique ... « Aujourd'hui, c'est toi qui fais ça... » . Comme ça, l'autre peut aller dormir.
B.: Sur les jours de tournages, quand je suis fatigué, je le laisse faire, et moi, je peux me reposer.
A.: Mais c'est aussi parce qu'on essaie de travailler deux fois plus ! On est deux pour essayer de faire deux fois plus de films plus rapidement .
C. : Est-ce que vos personnages sont inspirés de vous, de vos vies?
A.: Oui, la tonalité du film est proche de notre personnalité. Black était un film très dur, vraiment un drame. Image est plus politique. Mais nous avons beaucoup d'humour.
B.: C'est peut-être le film le plus personnel qu'on ait fait jusqu'à présent. Adamo et Yasser sont deux personnalités qui sont en moi (rires) !
La luxure
C.: Le film est bourré de références cinématographiques, vous y avez tout mis ! Des séries des années 90, 80, du Spike Lee, des jeux vidéos... Il y a tout ! Et quelle débauche d’effets visuels ! Quelle...luxure !
A.: (rires!) Ah ! Pour ce film, le Loup de Wall Street de Scorsese nous a beaucoup influencé. C'est un film tellement excessif, tellement explosif et qui raconte pourtant en même temps un truc très austère. Wall street, c'est quand même assez sec, c'est un sujet très cérébral. Nous voulions faire un film comme ça. Et puis on a eu envie de rendre hommage à tous ces films, toutes ces séries qu'on a aimé quand nous étions jeunes. C'est pour ça que tout est là. C'est presque un jeu de chercher les références des scènes, Scorsese, Miami Vice, les films de Spike Lee, d'Oliver Stone ou Les Barons de Nabil Ben Yadir. Tous sont là. Et il y a aussi le côté nostalgique des films des années 90. On a grandi avec ces films, ils nous ont donné l'amour du cinéma. On a tout mis ! Et on ne voulait pas choisir. On a vraiment bien rempli le film, un bon sandwich avec plein de choses dedans !
C.: Vous avez aussi tout mélangé en terme de cultures, ce qui est très réjouissant !
A.: C'est la Belgique, ce monde, tel qu'on le connaît. Pour nous, la Belgique n'a jamais été blanche. Même si elle semble blanche dans l'audiovisuel, pour nous, elle a toujours eu beaucoup de diversité.
B.: On connaît aussi beaucoup de talents très divers qu'on ne voit jamais à l'écran. Avec nos histoires, on peut les montrer. Et on peut inspirer les autres, montrer que c'est possible de faire de l'art. Avec du talent, c'est possible (rires).
La colère
C.: Vous dressez un portrait d'Anvers plutôt dur, même si vous restez drôles. Est-ce que vous êtes en colère ?
A.: J'ai grandi à Anvers, c'est la ville que je connais le mieux. Anvers a cette aura d'être une ville très clean, très propre, c'est la Flandres, sa capitale.
B. : C'est le « paradis »...
A.: Alors que Bruxelles est sale, pleine de criminalité, c'est la merde ! D'un point de vu flamand, en tous cas. Alors que ça n'est pas vrai. Ce monde-là existe. Anvers est la capitale de la coke en Europe, que ce soit du point de vu du commerce que du côté de l'usage de la coke. Cette façade où tout à l'air super hype, artistique et cool, une ville de business, blanche..., tout ça n'est pas vrai ! Ce monde de gangs, de criminalités existe vraiment, il est là, dessous. Et la ville devait être un personnage principale, dans toute sa beauté, mais avec aussi tout ce qui y est problématique. C'est une attaque, oui, contre un genre de statu quo : il y a de la coke et tout le monde laisse faire. Les méchants sont toujours les gens de notre origine. Tous les problèmes d'Anvers viennent des Marocains ou des Albanais... Et tout ce qui est blanc est innocent. Alors que non ! C'est eux qui sniffent à mort ! La première fois qu'on a vu de la coke de près, c'était avec des blancs riches dans les quartiers riches d'Anvers. Il faut qu'il y ait une demande pour que ça marche aussi bien... Mais on aime cette ville, on en voit aussi la beauté. C'est un rapport entre haine et amour. Pour moi, Anvers, c'était New York ! Mais j'ai aussi grandi dans une ville qui est aussi dure, raciste à mort. Dans les années 90, grandir en tant que Marocain à Anvers où le Vlaams Blok était le parti numéro 1 à chaque élection, ça marque.
C. : En même temps, le film met un peu tout le monde dans le même bateau. Il n'y a pas vraiment ni méchants ni gentils, il y a surtout des puissants et des impuissants. La limite est un peu déplacée.
A. : Oui, c'est vrai. Dans un série comme The Wire, c'est très complexe. Il n'y a pas que des gentils et des méchants. Quand on grandit, droite/gauche, gentil/méchant, ce n'est pas aussi simple. On essaie toujours d'avoir de l'empathie pour nos personnages, de comprendre pourquoi ils agissent comme ça. Le pouvoir peut pervertir n'importe qui.
L'envie
C.: Vous frimez à mort dans Patser ! Vous enviez qui ?
A. : Récemment, c'est Damian Chazelle ! Putain ! Ce mec !
B. : Qui a fait Lalaland
A.: Qui a gagné l'Oscar à 31 ans. On a vu le film aux Etats-Unis, l'écran était génial, le son, le public... Le cinéma, c'est une religion aux Etats-Unis! On a vu la haute technicité, la maîtrise d'un mec qui n'a que 30 ans. Et le même jour, on a vu...
B. : Moonlight...
A. : On voit ces deux films et on se dit « Oh putain ! Nous, on est vraiment de la merde ! » On a rien à voir, le niveau est bien plus haut que nous. Et ce sont deux jeunes réalisateurs, qui ont fait peu de films. Et là, on se dit « Ok, c'est ça le niveau qu'il faut atteindre ».
B. : Il y a encore un long chemin !
La gourmandise
C.: Vous retournez aux Etats-Unis bientôt travailler avec vos projets, dont Le Flic de Beverly Hills toujours en attente. Est-ce que vous n'êtes pas un peu gourmands ?
A. : Toujours ! On veut faire plein de films, on veut faire tous les films !
B. : Toujours ! On a beaucoup de projets !
A. : A Hollywood, ils nous envoient des dizaines de scénarios et en général, on veut tous les faire.
B. : Mais ce n'est pas possible !
L'avarice Le moralisme
C.: Le dernier des 7 péchés capitaux, c'est l'avarice. Mais au vu de votre boulimie cinématographique et de la générosité de votre film, je n'ai pas trouvé ! Par contre, votre film est un peu moraliste non ? Scandé par ces 7 pêchés capitaux, il se termine par un presque retour à la normale... D'où vient cette question de la morale dans vos films ?
A. : Nos parents sont musulmans...
B. : On a déjà ce côté spirituel en nous.
A.: On a grandi avec la religion et la morale, on a été dans des écoles catholiques, où la religion était tout le temps présente. La Flandres, la Belgique est un pays historiquement catholiques. C'est une partie de la culture de ce pays. Cela fait partie de l'identité de ce pays et donc de nos films, puisque nos personnages vivent dans ce monde là.
C. : Et pourquoi ça se termine de manière ambiguë, et finalement, moins mal que vos autres films ?
A. : Parce qu'on veut faire Patser 2 ! (rires)