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Entrevue avec Cobra Films, une façon de faire du cinéma

Publié le 01/09/2003 par Philippe Simon / Catégorie: Entrevue

En 1987, Anne Deligne et Daniel De Valck, alors tous deux monteurs, décident de créer une maison de production, Cobra films qui s'illustre principalement dans le domaine du documentaire. Refusant l'exceptionnel de l'évènement ou la généralisation abusive des grands thèmes, ils défendent un cinéma du quotidien qui interroge le sens de la vie des gens. En 1991, continuant leur travail de producteurs, ils passent à la réalisation. Là aussi, on retrouve ce goût pour un cinéma fragile à l'émotion chaleureuse où le regard s'arrête à l'ordinaire pour nous donner à voir ce que le banal nous disait connu. Aujourd'hui avec plus d'une vingtaine de films produits, trois réalisations et quatre projets en cours de finition, ils occupent dans le monde de la production une place particulière, celle où le cinéma reste une aventure humaine et une façon d'interroger nos vies. En rencontrant Daniel De Valck, il nous a semblé intéressant de préciser cette approche du cinéma qui anime tout le travail de Cobra Films. Sans découverte, pas de réelle aventure cinématographique.

Entrevue avec Cobra Films, une façon de faire du cinéma

Au point de départ, il y a un style de films et une façon de faire du cinéma qui me touchent. Si avant de créer Cobra avec Anne Deligne, j'ai été le monteur des films de Patrick Van Antwerpen, ce n'est pas un hasard. Son cinéma me plaît. J'aime sa démarche basée sur l'observation du quotidien, le comique de comportement et une certaine idée de la banalité. Que ce soit dans le domaine de la fiction ou du documentaire, le cinéma qui m'intéresse n'est pas celui de l'efficacité narrative où tout est contrôlé, voulu, dirigé. M'attire d'avantage un cinéma plus contemplatif, à l'évolution plus lente et où l'émotion naît des détails de la vie des gens. J'apprécie que cette émotion ne me soit pas imposée et surtout qu'elle fasse appel à ma singularité en tant que spectateur. J'aime qu'un film garde des scories de sa réalisation, qu'il ait ses faiblesses et sa fragilité, qu'il fasse la part belle aux hasards, aux surprises, à l'inconnu. S'il n'y a pas de découverte, il n'y a pas de réelle aventure. C'est entre autres pour ces raisons que je me suis tourné vers ce qu'il est convenu d'appeler le documentaire quand j'ai commencé à réaliser et à produire des films, Le documentaire représente une façon de faire des films. Pas de scénario bétonné, pas de structure envahissante mais une vraie légèreté et une très grande liberté qui garantissent cette part de mystère propre à la création. J'ajouterai que je préfère le travail en petite équipe où chacun est proche des autres, ce qui est souvent le cas dans le documentaire. Le film de fiction et sa vaste organisation m'apparaissent trop hiérarchisés, trop lourds. Je m'y sens perdu. Il y est souvent difficile d'être proche du film et de ceux qui le font. Une petite équipe demande une grande proximité. On travaille ensemble, on forme un groupe avec un vrai rapport entre les gens et ce mode de vie est très important pour moi.

 

Faire un film, un besoin un rien irrationnel

Un autre élément qui conduit vers le documentaire est ce désir et ce besoin de faire un film. Si je fais du cinéma, c'est pour répondre à un besoin un rien irrationnel auquel je ne peux résister. Je suis comme condamné à faire cela mais c'est une condamnation agréable. Et ce besoin est lié à mon intérêt pour le comportement, la gestuelle quotidienne des gens. Des gens qui sont supposés sans histoire, qui vivent dans certaines circonstances, sous certains climats, sous certains régimes. Je veux ressentir comment ces petits riens de la vie modèlent leurs existences et aussi comment cela interroge la mienne. Pour moi, un film doit approcher ce que vivent les autres mais aussi ce que je vis. Sinon je ne m'y retrouve pas. Je crois que quand on fait un film de ce type, on se pose des questions sur comment vivre. Découvrir l'autre, c'est aussi se découvrir. Réaliser un film, c'est chaque fois prendre un risque mais aussi se mettre en risque et donc en question. Cela va me donner des nuits blanches et m'amènera inévitablement à m'interroger sur le sens de ce que je fais. Impossible de faire un film dans l'indifférence.

 

Produire c'est être partenaire d'un film du début à la fin

Pour moi la production et la réalisation sont très liées quand on les pense comme une aventure humaine, avec ce coté mode de vie, implication personnelle, appel à la subjectivité. Je parlais de ce besoin un rien irrationnel de faire un film. Ce besoin, je le retrouve aussi dans mon travail de producteur. Ce désir de cinéma est primordial. Être touché, captivé par le projet et la démarche d'un réalisateur ou s'abandonner soi-même à son désir de film, voila deux moments qui sont chez moi très proches. Aujourd'hui l'évolution des techniques audio-visuelles, l'apparition de la DV par exemple, permettent par leur légèreté de se dégager de l'aspect essentiellement économique de la production et d'être plus partenaire d'un film que producteur au sens habituel du terme. Dès la création de Cobra, nous avons essayé de développer cette démarche : être un partenaire à tous les niveaux d'un film et pas seulement une aide pratique et administrative. Cela suppose une très grande complicité avec le réalisateur, l'équipe et les participants du film. Nous voulons être à égalité avec chacun dans le travail. C'est dire combien est important non seulement le choix d'un projet mais aussi celui d'un réalisateur et de l'équipe qui va l'entourer.

 

Le choix d'un projet, c'est souvent le choix d'un réalisateur

Quand je rencontre un réalisateur dont le cinéma et la façon de concevoir l'existence me sont très proches (c'est la plupart du temps un réalisateur à la démarche documentaire), j'ai envie de travailler avec lui. D'office son projet m'intéressera parce que c'est lui qui le porte. C'est en choisissant d'abord des réalisateurs plutôt que des projets, d'abord des complicités plutôt que des sujets que nous pouvons trouver une cohérence et surtout regrouper des démarches cinématographiques et des conceptions de vie. Je pense qu'aujourd'hui un aspect vraiment important de notre travail réside dans ce souci de former des groupes. Nos projets de films sont à cette condition là.

 

Enrayer l'isolement

À la fin des années soixante, ceux qui travaillaient dans le cinéma étaient divisé en de nombreux groupes assez cohérents qui défendaient des point de vue souvent exclusifs. Ils se retrouvaient autour d'un réalisateur, de films ou d'une réflexion plus théorique. Il y avait dans ce qu'ils faisaient un côté amateur au sens d'aimer qui dépassait le simple fait de faire un métier. Aujourd'hui ils sont devenus beaucoup plus professionnels. Ils sont très performants, travaillent de façon agréable et sérieuse mais le film lui-même n'est pas essentiel pour eux. Ils n'ont ni engagement ni références et semblent n'en avoir pas besoin. Les questions de comment et pourquoi faire un film leur sont en quelque sorte étrangères et les groupes autour d'une conception du cinéma ont tous disparus. Je suis toujours étonné par le nombre de réalisateurs qui viennent me trouver avec un projet mais pas d'équipe. Ils sont seuls, sans équipe et très isolés dans leur démarche. Et c'est quelque chose qui me manque, qui nous manque très fort cette notion de groupe. Lors d'une réunion sur le documentaire et sa production, ce qui m'avait le plus frappé, était que sous le label documentaire, en fait il y avait tout et n'importe quoi. Le documentaire devrait naître du regroupement de gens par affinités et engagement cinématographique alors qu'aujourd'hui on en use plutôt comme d'une étiquette passe partout. Le mot documentaire représente une façon de faire des films, une pratique et c'est tout. C'est bien pour cela que certaines fictions peuvent se retrouver dans le domaine du documentaire. Parce qu'avant tout c'est envisager une certaine façon de tourner un film. Alors que cela soit tourné sous le mode fiction ou sous le mode documentaire est un peu secondaire.

 

Loin de la rentabilité économique

Cobra est une société qui se développe lentement. Notre démarche fait que nous n'évoluons pratiquement pas sur le plan économique. La réussite économique ne nous intéresse pas, elle ne fait pas partie de l'enjeu de notre travail. Si évolution il y a, elle se marque dans cet investissement que nous appelons cinéma. Nous voulons changer en compagnie des gens que nous produisons et nos films ne s'inscrivent pas dans une démarche économique de rentabilité. Nous nous intéressons à des films qui remettent nos points de vue en question et fatalement cela nous marginalise. Il y a une phrase de Patrick Leboutte que j'aime bien et qui dit qu'il faut filmer ce qu'on a vu et pas ce qui était prévu. Il souligne un aspect essentiel de l'acte de filmer et les films qui vont dans ce sens sont souvent des films qui dérangent parce qu'imprévisibles et inattendus. Nous sommes sans cesse en train de gérer cette contradiction : faire et produire des films imprévisibles et devoir les inscrire dans une structure économique qui refuse l'inattendu. Si cela apparaît comme une fragilité de notre travail, c'est aussi ce qui crée son côté passionnant.

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