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Entrevue avec Diana Elbaum productrice de Thomas est amoureux

Publié le 01/10/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Profession : producteur

Y a pas de quoi grimper aux rideaux. Alors là, pas du tout. L'automne sera en demi-teintes comme l'état actuel de notre cinéma. La troisième saison de l'année aura une touche british. Nous verrons des silhouettes genre Miss Marple (Thank you, Agatha) sillonner nos trottoirs : bottines lacées, lunettes demi-lune, besaces en cuir noir ou cabas en tissu façon tapisserie, guêtres de main et petites culottes en tulle strech qui renvoient le string aux antipodes. Un look un peu sinon plus amidonné !
Rien de tout cela chez Diana Elbaum, productrice d'Entre Chien et Loup, qui n'en a cure (sauf pour le manteau d'ecclésiastique).

Diana Elbaum

 

Toute de noir vêtue, l'uniforme warholien qui, comme nous l'a montré le Velvet Underground, se décline en pantalon et pull à col roulé, la productrice d'Un divan à New-York (Chantal Akerman) débarque dans notre local comme un ouragan, se précipite sur notre écran qu'elle booste sur internet grâce à la souris qu'elle manipule avec plus de détermination que Chirac son mulot et nous emmène sur le site français consacré à la trilogie de Lucas Belvaux qui, depuis le 5 juin, tourne ses films, entre Grenoble et Paris et qui, chaque semaine, enregistre un journal de bord audio de son travail. Nous écoutons religieusement.

Aussi lorsque nous nous aventurons à lui demander le bilan de santé de la production de notre communauté, Diana, l'ironie prête à dégainer, lève les yeux au plafond, boit d'un trait sa tasse de café noir, et nous regarde droit dans les yeux avec un sourire malicieux : " Je suis tiraillée entre un enthousiasme formidable pour les sujets qu'on met sur la table et dont nous discutons. Tout le monde parle du tax shelter. Ce qui signifie qu'on est entré dans une phase plus active de réflexion, de propositions et d'écoute politique. Avec la RTBF, on parle d'une augmentation de son effort envers la production indépendante. Il y a l'aventure Wallimages qui a démarré et qui est là. On devrait aller plus loin et faire un "Bruximages ", parce que là rien n'est fait et rien n'avance. Donc, d'un côté il y a un grand enthousiasme et des perspectives de financement complémentaires, donc de professionnalisation et d'agrandissement de nos structures. Mais de l'autre, il y a une peur énorme. Au quotidien, c'est toujours aussi fragile et compliqué, et l'on dépend toujours de l'apport financier de la France ou de l'Union Européenne. En ce début de troisième millénaire, je suis relativement mitigée quant aux perspectives à venir de la production audiovisuelle. Les choses se complexifient énormément puisque le panorama international, lui-même, se complexifie.

 

Tax shelter

"L'arrivée du tax shelter est une bonne chose mais la proposition de loi doit être amendée pour qu'elle corresponde à la réalité du marché belge. Je comprend le scepticisme de Marion Hänsel qui a une plus longue expérience de la production que moi. Mais le fait d'appliquer une idée, même si, dans un premier temps, ça risque de grincer, le fait qu'il y ait un acquis, un consensus sur le tax-shelter - au moins au niveau philosophique et politique - est positif. L'important est de rester souple, il ne faut figer les choses, les pratiques évoluent en fonction de la réalité de notre cinéma, de ce que les producteurs amènent comme projets. Le fait qu'il y ait une ouverture et peut-être à la clé une réelle décision politique est une avancée."

Votre serviteur, qui a, lui aussi, ses obsessions, lui demande, en lui versant une nouvelle tasse de café, si elle a le sentiment que les hommes politiques ont enfin compris que le cinéma donnait l'image de la société dans laquelle ils évoluent . " Ce n'est pas qu'ils n'ont pas compris. On s'est fait entendre et les films se sont fait entendre, ce qui est le meilleur passeport pour notre cinéma, mais seulement sur notre territoire. Ils ne réalisent pas encore l'impact d'un film ayant du succès hors de nos frontières et ce que cela signifie. Et puis, c'est en gros la place que la culture, en général, occupe en Belgique qui est posée. Elle est complètement sous-estimée. Tu sais que la France consacre 1% de son produit national brut à la culture. Y a-t-il une volonté politique chez nous par rapport à cet exemple-là ? Je me permets d'en douter.

"Cela étant, ne pleurons pas sur notre sort. Rassemblons-nous, comme lors des journées du Collectif 2001 : arts plastiques, théâtre, musique, danse et autres pour dire aux politiques : écoutez-nous. Nous représentons aussi la Belgique. Le symbolique, ça existe. Pas seulement les problématiques économiques et sociales. On est un vecteur d'intérêt ".

Formatage

Elle reprend son souffle en portant une main sur son bras, ses yeux pétillent lorsqu'elle nous confie : "La spécificité de chaque producteur est d'arriver à toucher un large public mais avec un contenu qui est ancré dans notre culture et dans nos désirs. Cela ne correspond peut-être pas au formatage d'idées et d'images "mainstream" que voudraient certains. Cela dit, quand on voit le peu de place accordée aux programmes pour ados ou enfants dans notre cinéma et sur nos chaînes de télé - hormis nos séries d'animation... Nous ne sommes pas, aucun des producteurs que je connais ni moi-même -et je le déplore beaucoup -, en train de travailler vers un public plus jeune et je me demande souvent pourquoi. D'où l'autre revendication du Collectif 2001 qui consiste à faire un pont entre l'éducation et l'audiovisuel. Tu parlais de cinéma américain mais ça démarre très jeune. Et quand je constate - pour remuer le couteau dans la plaie - que Thomas est amoureux est toujours enfants non admis en Belgique !"

Technologie

Sur les nouveaux outils de communication comme la DV-Cam ou internet, Diana pense que tout nouvel outil est le bienvenu mais qu'il faut en faire une utilisation judicieuse et approprié. "Un site internet reste dédié à une culture, au lieu de traduire le site internet de Thomas est amoureux en anglais, le distributeur américain du film l'a refait entièrement en fonction de la culture américaine et du potentiel de spectateurs du film."

Pour ce qui est de la DV-Cam, elle voit plutôt un mélange de technologie ancienne (chimique) et moderne (numérique) que le tout-numérique. " Je suis divisée sur l'utilisation de la DV-Cam. C'est un nouveau langage cinématographique. Si on ne le prend que dans sa dimension économique, cela veut dire que tu auras du Dogma 95 ou autre. Néanmoins, au niveau de l'esthétique, c'est autre chose. Est-ce qu'on va habituer les spectateurs - auquel cas il ne pourra que difficilement revenir en arrière - à croire qu'un film tourné en 35mm est un artifice total ? Le cinéma amène un regard esthétique. Y aura-t-il un formatage imposé par la vidéo et une économie de moyens avec des plans à l'épaule, arrachés, chahutés, mal éclairés, granuleux, etc. ? Est-ce qu'on ne va pas, à cause du médium, uniformiser l'esthétique d'un film ? C'est une question que je me pose et à laquelle je ne peux vraiment pas te répondre. Peut-être parce qu'avec Thomas est amoureux, on a choisi de tourner en DV-Cam pour des raisons d'économie, mais on a éclairé, maquillé, etc. et tu as un autre résultat. Si on avait eu les moyens, on aurait tourné le film en 35mm. On va vers un mélange des genres surtout pour les effets spéciaux en post-production. Et là, je puis t'assurer que ce n'est pas bon marché. Ce qu'on gagne d'un côté on risque de le perdre de l'autre."

 

Les aventuriers

Nous ne pouvons résister à lui demander davantage d'infos sur la trilogie que tourne en ce moment même Lucas Belvaux : Un couple épatant-Cavale-Après la vie. Lorsqu'il y a deux ans, à Cannes, elle prend connaissance du projet auprès de producteurs français, celui-ci est bloqué faute d'argent. " Dément et exceptionnel ", pense-t-elle à la lecture des scénarios qui, présentés à la Commission de sélection du Centre du Cinéma de la CFB, sont acceptés, ce qui va relancer le projet et amener de nouveaux partenaires français. " Tout a redémarré. Neuf mois plus tard, on commençait à tourner avec un changement de producteurs en France (Agat films devenant coproducteur et Diaphana distributeur du film). " Un projet complètement fou qui est financé, ce qui est encore plus fou, par des producteurs indépendants sans l'aide d'une Major ! " Le trait de génie de Lucas, poursuit Diana, est de faire trois films de genre : une comédie, un thriller et un mélo. Même lieu, mêmes décors, mêmes acteurs. C'est l'histoire de trois couples dans un espace-temps donné. Dans chaque film on change l'éclairage du couple et le genre. Donc les scènes existent dans les trois films mais sous un éclairage différent et dans un genre cinématographique différent. Lucas dit : c'est les rires, les peurs, les larmes. Cela n'a jamais été fait. Ce sera donc un véritable événement cinématographique. Le côté jouissif étant de pouvoir passer d'un film à l'autre et de se rendre compte que les sous-entendus et la perception que l'on a changent complètement d'un film à l'autre. Chaque film restant cependant un film complet, indépendant des deux autres. Sauf que si le spectateur n'en voit qu'un, il ne saura pas comment l'histoire du couple va finir. " Pour Entre chien et loup, qui vient de confier son unité documentaire à Cyril Bibas, suivront le premier long métrage de Sam Garbarski et le second long métrage de Pierre-Paul Renders. Nous aurons l'occasion de vous en reparler.

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