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Entrevue avec Frédéric Sojcher

Publié le 01/09/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Grâce à une grand-mère qui aimait rire au cinéma, Frédéric Sojcher eut le bonheur, dès l'age de quatre ans de voir, le mercredi après-midi, les films de Charlot et ceux de Laurel et Hardy dans un cinéma de quartier bruxellois. Cinéma, qui offrait à l'heureux gagnant d'une tombola, un chocolat glacé : "un moment que j'attendais avec impatience", nous précise Frédéric Sojcher en ce mois d'août caniculaire.

 

Entrevue avec Frédéric Sojcher

 

Ayant contacté le virus des salles obscures, à l'adolescence, il continue à fréquenter seul les salles obscures. D'autant qu'ayant l'occasion d'aller à Paris, où la censure est plus tolérante que chez nous, il a la chance de voir des films comme Shining de Stanley Kubrick. Puis, c'est la cinémathèque que ce boulimique d'images fréquente assidûment tout en suivant l'actualité du cinéma dans les salles. Une époque où il a l'impression, nous dit-il, de vivre : "Une cinéphilie du plaisir, un film amenant l'autre à l'infini". Parmi ses réalisateurs favoris, Truffaut l'intéresse parce qu'il il écrit, avec passion, sur ses films préférés tout en réalisant lui-même des films. Frédéric n'a pas seulement la passion de regarder des films mais celle de raconter des histoires. Enfant, il fabrique un jeu de société qui s'appelle "silence on tourne" et dont le but était de réaliser son premier long métrage. Un jeu qu'il réussit à faire imprimer sur la presse artisanale d'Olivier Hennebert, un ami.

"En 1983, avec cet ami, on a décidé de réaliser Ciné-Suicide, un film en Super8 qui est l'histoire d'un homme qui ne peut pas s'arrêter de voir des films". L'année suivante, il réalise Elles étaient deux, autre court-métrage en Super8 qui obtient le premier prix du Festival Caméra aux jeunes, L'histoire de deux amies qui portent un regard tendre et ironique sur leurs camarades de promotion. Ce qui lui permet de faire la connaissance d'Henri Sonet. Celui-ci lui suggère de déposer un projet au CBA. Nous sommes en 1984 et c'est l'aventure de Karmann Gia, un premier court métrage tourné en 16mm, avec une équipe et des comédiens professionnels dont Jean-Paul Comart que l'on retrouvera tout au long du parcours de Frédéric. "Il y a la confiance qu'il m'a faite puisque à l'époque il venait d'être nominé aux Césars pour son rôle dans La Balance. C'est la même confiance que je retrouverai, l'année suivante avec Gainsbourg lorsque j'ai réalisé Fumeurs de charme. C'est-à-dire des personnes qui n'ont rien à prouver, se trouvent face à quelqu'un qui est plus jeune qu'eux et se mettent au service du réalisateur".

Lorsque nous nous étonnons qu'un réalisateur de deux courts métrages s'inscrive dans une école de cinéma, il nous rétorque du tac au tac : "J'ai été admis à l'INSAS et regrette d'être parti avant la fin de la première année. Mais j'avais envie de prendre un peu de distance par rapport à mon milieu familial et je suis parti vivre à Paris. Je me suis inscrit au cours de cinéma de la Sorbonne. Ayant achevé le cycle d'études, Jean-Paul Torök m'a proposé d'être chargé de cours. Et, donc de fil en aiguille j'ai développé un enseignement dans l'endroit où j'avais fait mes études". L'enseignement ne le détourne pas de la réalisation. En 1990-1991, il développe un projet de long métrage lié à la passion du cinéma. L'histoire d'un jeune acteur qui veut faire du cinéma pour le plaisir de rencontrer la partenaire idéale tant à l'écran que dans la vie. Régulièrement apparaissaient des actrices venant lui donner des conseils. "J'avais obtenu l'accord de personnes comme Jeanne Moreau et Arletty qui étaient prêtes à avoir un jour de tournage pour le film. Cela a été une première expérience assez douloureuse puisque le temps d'écrire le scénario, de trouver le financement, le tournage n'a duré que quatre jours. Le temps que le producteur ne parte avec la caisse. Cette histoire va me poursuivre longtemps notamment lorsque j'ai réalisé Regarde-moi, mon premier long métrage, j'ai eu cette réputation de ne pouvoir terminer un long métrage, genre : il n'y a pas de fumée sans feu. Je me demande si une partie des difficultés que j'ai rencontré sur Regarde-moi  ne vient pas de cette première mauvaise expérience. D'ailleurs j'ai remis pas mal de projets qui ont été refusés par la Commission. En 1995, j'ai réussi à convaincre Jean-Paul Comart, Michaël Lonsdale et Claire Nebout de figurer dans un court métrage. J'ai décidé de l'auto-financer grâce à la participation des comédiens et des techniciens. Ce sera Vroum-Vroum pour lequel, j'ai reçu une aide à la finition permettant au film de se monter. Jean-Paul Bertin, distributeur de UIP, ayant aimé le film celui-ci est passé en salles en avant programme".

Ensuite il prépare Regarde-Moi. "J'insiste parce que cela ne se fait pas en deux temps, trois mouvements. Il y a d'abord eu un premier scénario que j'ai écris seul, puis Jean-Luc Goossens l'a réécrit, avec moi. Par la suite le projet ayant été refusé une première fois par la commission, j'en ai présenté une nouvelle version. Ce sont des années qui passent et c'est là où je pense que ça dépasse mon cas personnel, on ne se rend pas suffisamment compte de la vie, du temps que l'on investit pour faire des films. Cela fait presque vingt ans que j'ai réalisé mon premier film. Je n'ai pas senti le temps passer mais que d'énergie ! C'est peut-être ce qui différencie le réalisateur d'autres intervenants sur un film. Lorsqu'on se sent porté par un récit qu'on désire raconter, on peut parfois passer des années sur le sujet alors que pour d'autres personnes qui participent à la création du film comme un comédien, par exemple, il est tout à fait sain de passer d'un film à l'autre ou à une pièce de théâtre. Ils ne sont donc pas prisonniers d'un seul projet. La difficulté, pour un réalisateur, consistant à garder le même enthousiasme pour un film pour lequel il se bat parfois pendant des années. C'est l'une des difficultés que l'on rencontre dans une petite cinématographie comme en Belgique. Et cela touche plus particulièrement les réalisateurs."

Cela nous fournit un raccord idéal avec l'ARRF (l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices francophones) dont Frédéric Sojcher a été élu président après avoir été l'un des initiateurs de l'association. "Il y avait un constat, dans toutes les cinématographies européennes, il y a des associations de producteurs et de réalisateurs. Pourquoi ? Parce que quelle que soit la part créative que peut apporter un chef opérateur, un comédien, un monteur, etc. pour la réussite d'un film, il n'y a que deux personnes qui peuvent le mener de bout en bout : le producteur et le réalisateur. Ce sont les deux maîtres d'oeuvre du film, qui l'accompagne dans toutes ses étapes". Frédéric ajoute que dans la manière de trouver un financement et de gérer un budget il peut aussi y avoir une part de création.

Pour boucler ce portrait où la passion du cinéma domine signalons le prochain film que va réaliser Frédéric : Cinéastes à tout prix. Un film sur trois cinéastes de long métrage qui ont consacré leur vie au cinéma. Un film dont nous vous reparlerons lors de son tournage qui aura lieu le mois prochain

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