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Entrevue avec G. Mersch et M. Kremer pour J'ai toujours voulu être une sainte

Publié le 01/05/2004 par Dimitra Bouras, Marceau Verhaeghe et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

« La vie est suffisamment difficile et dure pour ne pas en rire » a dit Pierre Salvadori lors d'un festival. J'aimerais qu'on rie beaucoup en voyant mes films même si ceux-ci traitent de sujets graves. Dans J'ai toujours voulu être une sainte, j'ai essayé de garder un ton léger mais on ne peut pas dire que c'est un film comique. J'ai voulu être une sainte a pour sujet la survie d'une fille qui n'a jamais connu sa mère et qui l'affronte, comme l'ami imaginaire dans Le Courage des Sept péchés capitaux. Ce sont des sujets graves mais je n'ai aucun désir de réaliser des films graves, lourds.

Cinergie : Norah, le personnage que vous jouez dans J'ai toujours voulu être une sainte est-il proche de vous ou du personnage imaginé par Geneviève ? Comment avez-vous senti et construit le rôle ?
Marie Kremer
 : A ce moment-là de ma vie - on a tourné ce film il y a un an et demi - beaucoup de choses m'ont interpellé et touché lorsque j'ai découvert le scénario. Qu'est-ce que cette fille pensait ? Qu'est-ce qui la touchait ? Comment réagissait-elle face à la vie ? Même si on ne vivait pas les mêmes choses, j'ai retrouvé beaucoup de similitudes en moi. Ce qui me passionne dans le fait d'incarner des personnages c'est de découvrir les chemins par lesquels les autres doivent passer. C'est grisant de se laisser vivre d'autres trajectoires, d'autres vies. C'est ce que j'ai essayé de faire avec Norah. Il y a des émotions que je vais chercher en moi pour nourrir un vécu qui n'est pas le mien.
Geneviève Mersch
 : Définir le personnage de façon plausible est un minimum pour que le spectateur puisse y croire. C'est un travail entre Marie et moi. Ce n'est pas le hasard.  

C. : Comment avez-vous travaillé toutes les deux sur le rôle de Norah ?
M. K.
 : C'est un film qui tient sur Norah, il n'y a pas énormément de personnages. Or c'est un personnage sur lequel Geneviève travaillait depuis six ans, qui lui appartenait entièrement. Il y a eu un passage délicat que Geneviève a franchi : me donner quelqu'un qui lui était devenu familier et me faire confiance. Je suis d'un naturel simple et direct ; je voulais tout comprendre, tout ce qui me posait problème a été longuement discuté avec Geneviève et qui m'a répondu très clairement. C'est ce qui m'a permis de travailler. Après je peux faire jouer mon imaginaire et endosser le personnage pour l'incarner, le sentir, le faire vivre dans mon corps, dans ma voix.
G. M.
 : Pour chaque scène je lui ai expliqué en détails ce que le personnage ressentait, ce qu'il voulait, d'où il venait et le contexte qui l'entourait. Après, c'était à elle de transposer cela dans son univers, avec ses propres émotions. Et lorsqu'elle ne comprenait pas, on essayait de trouver des équivalents
M. K.
 : Ce qui est interpellant c'est que Norah est quelqu'un qui ne sait pas qui elle est, qui est dans le doute le plus total. C'est un personnage imaginaire qui a une force incroyable et qu'il faut faire exister.
G. M.
 : C'est un âge où les gens sont dans le doute. Parce que d'un côté ils sont libres mais encore sous la coupe des parents. On croit qu'on est adulte et on ne l'est pas. On a besoin de papa mais on souhaite s'en passer. Mais surtout le moteur de Norah est la culpabilité qu'elle ressent à la suite du départ de sa mère. C'est inconscient et ce n'est donc pas simple de le montrer à l'écran. On ne doit pas l'expliquer au spectateur mais il était important que Marie le sache. Norah est un personnage qui vise la perfection dans le but inavoué que sa mère revienne la chercher. Cette quête est montrée métaphoriquement à travers le personnage de Nico Marcuse avec lequel elle entretien une relation fantasmatique. On a essayé d'exprimer ses doutes sous différents aspects, via Marcuse, son père, sa copine, la petite Magali, etc. Le scénario a été assez difficile à écrire, plus complexe à réaliser que le tournage. Parce que je voulais suivre un personnage à qui l'on donne un but et qui fait tout pour ne pas l'atteindre et qui est trop ouvert aux autres, trop dispersé. Elle s'intéresse à la vie des autres pour dissimuler la complexité des problèmes qui occupent sa propre vie. La relation avec sa mère est taboue. C'est un type de personnage qu'on rencontre assez peu dans les films. Les personnages sont presque toujours égocentriques qui petit à petit s'ouvrent, au fil de la narration, aux autres, découvrant leur famille, leur femme, leurs enfants. Cela m'a donné l'envie de faire l'inverse par réaction à ce cinéma-là. 

 

C. : Bien que l'idée venait de vous, le scénario a été écrit par Philippe Blasband. Mais vous l'avez écrit plusieurs fois ?
G. M.
 : Au départ j'étais assez confuse par rapport à ce que je voulais. Et lorsque je l'ai découvert il ne m'est pas apparu évident de l'écrire. Parce qu'au début, Norah avait un ami imaginaire qui était Dieu. C'était une catastrophe parce que les gens qui lisaient le scénario voyaient une fille avec des socquettes blanches, une jupe plissée bleu marine. Grâce à la rencontre avec une jeune fille que j'ai interviewé pour alimenter le quotidien de Norah, celle-ci m'a confiée que son ami était Ayrton Senna et qu'elle se sentait responsable de sa mort. J'ai changé Dieu pour Ayrton Senna et c'est devenu plus compréhensible. Il n'en restait pas moins que les gens la trouvaient chiante...
Norah, est un personnage qui croit que les autres ne l'aiment pas. Qu'il faut en faire des tonnes pour être aimée. C'est la conséquence de sa relation avec sa mère. C'est l'effet néfaste des tabous familiaux. Si on avait expliqué franchement les raisons du départ de sa mère, elle ne les aurait pas prises sur elle. Tandis que dans le non-dit, elle croit que c'est sa faute.
M. K.
 : La grand-mère en rajoute, du genre « tais-toi sinon ton père va être malheureux ». Elle représente une grande partie de la société actuelle : «Tais-toi, tu n'as pas le droit d'être malheureuse, tu ne vis pas en Afrique ! ». Comme si l'on ne pouvait pas être malheureux lorsque nos besoins primaires sont réglés ! L'adolescence est un âge où l'on se pose tellement de questions, où l'on se cherche, où tout est tellement compliqué.



C. : Norah est un personnage qui, au début, cherche à correspondre au maximum à l'idée que les gens s'en font et qui découvre qu'on peut vivre en étant soi-même.
G. M. et M.K
 : C'est exactement cela. (rires)

 

C. : C'est un personnage qui représente l'innocence même, qui n'a ni l'attitude ni le comportement des gens qui portent le monde sur leurs épaules.
G. M.
 : Peut-être est-ce cela la politesse. Les films où les gens n'arrêtent pas de se plaindre m'agacent.

C. : Comment avez-vous tourné le plan dans le couloir de l'école où Norah marche avec sa copine, filmée en travelling arrière ? Il y a une grande détermination dans son visage. Comment a-t-il été tourné ?
G. M.
 : C'est un couloir de Lycée. Ce plan a été tourné en travelling arrière sur un dolly sur roues. Le mérite en revient à Dominique. Ce sont des plans où l'on se donne du mal parce qu'il faut que techniquement ce soit parfait et que les acteurs soient nickel. Parfois on devient fou parce que la caméra n'est pas suffisamment stable.

C. : C'est cela votre priorité ; le jeu des acteurs, leur vérité ?
G. M. : Clairement. Oui. On a été vigilant sur les mouvements de caméra, les cadrages afin que tout soit juste. J'ai voulu que la caméra soit frontale comme si celle-ci la scrutait, lui disait : confronte-toi à la réalité de ta vie. C'est une position que j'aime beaucoup. D'autant qu'on voit mieux le visage des acteurs et leurs expressions.

 

C. : Comment avez-vous vécu le tournage ?
G. M.
 : A mi-parcours j'ai eu l'impression d'avoir compris comment cela marchait et j'aurais bien voulu recommencer le film. Je me sentais à l'aise parce que tout c'était mis en place. J'ai eu des grandes périodes d'euphorie et d'autres où les choses étaient plus dures, surtout au début. Pour le casting de Marie, je voudrais ajouter que je voulais travailler avec une fille qui avait déjà entrepris la démarche de vouloir devenir comédienne. J'avais envie de quelqu'un qui était déjà engagée dans le métier, qui était motivée, qui avait l'expérience de quelque chose. Marie a été la première à être vue. Et bien que j'en aie vu près de deux cents, c'est elle qui a été retenue. C'est un peu magique.
Outre la Belgique et le Luxembourg, le film sera diffusé en Suisse et au Québec. Ajoutons que Marie Kremer vient d'obtenir deux récompenses pour son interprétation, la première au Festival de Safi (Maroc) et la seconde au Festival du Film de Femmes de Créteil (France), où on créa pour l'occasion le prix du Jeune Espoir Féminin !

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