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50/50 - La raison du plus faible de Lucas Belvaux

Publié le 07/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

En 1979, Lucas Belvaux quitte la Wallonie et descend à Paris en auto-stop pour devenir comédien. Il obtient, en 1981, le premier rôle dans Allons z'enfants d'Yves Boisset, aux côtés de Jean Carmet, dans lequel il joue un jeune insoumis obligé de devenir enfant de troupe. Il tourne également avec Claude Chabrol dans Poulet au vinaigre face à Pauline Lafont et Jean Poiret en inspecteur de police peu scrupuleux. Il est aussi réalisateur, particulièrement remarqué en 2003 avec la trilogie constituée des films Un couple épatant, Cavale et Après la vie. Ces trois films, dont les actions s'entrecoupent, racontent les mêmes événements sur des modes différents : comique dans Un couple épatant, policier dans Cavale, et dramatique dans Après la vie. Cette trilogie remporte le Prix Louis-Delluc la même année. Il réalise ensuite cinq longs métrages entre 2006 et 2017: La Raison du plus faible, Rapt, 38 Témoins, Pas son genre et Chez nous.

50/50 - La raison du plus faible de  Lucas Belvaux

Philippe Manche : Quel est l’impact de votre trilogie - Un couple épatant, Cavale et Après la vie - sur La raison du plus faible ?

Lucas Belvaux : Le premier impact, c’est que j’ai pris tellement de plaisir à jouer dans la trilogie que je vais jouer dans La raison du plus faible. Et pourtant, c’est quelque chose que je n’avais pas du tout anticipé mais j’ai eu envie de prolonger l’expérience avec le suivant. Ce que je ne referai plus par la suite. Le second impact, c’est le financement qui s’est fait assez facilement. Pour la première fois, j’avais les moyens de faire un film plus confortablement.

 

P.M. : D’où vient cette envie de raconter la souffrance des exclus ?

L.B. : Raconter ce genre de choses fait partie de mon envie de faire des films. Mais, plus mécaniquement, pendant le mixage de la trilogie, j’étais allé à un débat au cinéma Le Parc, à Droixhe. C’est après la projection qu’on m’a parlé du fait divers (la prise d’otage de Tilff en 1989) qui a inspiré le film. J’avais aussi été impressionné par le quartier, graphiquement. Et par la ville de Liège, à la fois géographiquement et sociologiquement. J’ai donc eu l’envie de faire un film là-bas en m’appuyant sur le quartier.

 

J.M. : Le roman noir permet de faire écho à une misère sociale. Est-ce aussi pour cela que La raison du plus faible est un vrai film noir ?

L.B. : C’est un genre particulier. Ce n’est pas du polar, parce qu’il peut y avoir un film noir sans avoir de meurtre. Le film noir permet, sous un aspect de film éventuellement divertissement, populaire ou accessible, de raconter des choses sur une société en dehors de ce qui se raconte d’habitude. Ça permet d’explorer des choses souterraines, de dire des choses qu’on ne dit pas dans les comédies ou pas nécessairement dans un film d’auteur. C’est un genre cinématographique pour les contrebandiers. Sous l’aspect d’un bateau normal, on cache des choses à l’intérieur.

 

P.M. : Êtes-vous client des romans noirs de Jean-Patrick Manchette ?

L.B. : Manchette, c’est un peu le père du roman noir français et politique qui a influencé énormément de gens. Il est d’une génération d’avant la mienne, puisque Claude Chabrol avait déjà adapté Nada, en 1974. Parmi ses disciples, j’étais un plus grand lecteur de Frédéric Fajardie, que j’ai découvert quand j’avais 18 ans et qui est l’auteur, notamment, de La nuit des chats bottés.

 

P.M. : Comment a été reçu La raison du plus faible ?

L.B. : Il est sorti en 2006 et à Cannes la même année, soit deux ans avant la crise de 2008. Il a été très bien reçu dans les pays francophones et les pays latins. En revanche, il a été pulvérisé dans la presse anglo-saxonne, qui était en plein délire néolibéral. Ils ont vécu le film comme une espèce de film complètement dépassé, d’une autre époque, crypto-stalinien et comme une ode à l’assistanat. C’était écrit pratiquement comme ça. Oui, c’était un film en colère, parce qu’il y avait cette situation sociale, économique et politique. C’était un an avant l’élection de Sarkozy, quatre ans après l’arrivée de Le Pen au deuxième tour ; c’est le libéralisme triomphant. C’est vrai que l’époque n’est pas sympathique, elle me met en colère et j’ai l’impression qu’il faut le dire fort. Et dire en quoi ce qu’on nous raconte sur les macro- économies ne correspond pas à la vie des gens.

 

P.M. : Quels cinéastes belges francophones figurent dans votre panthéon personnel ? 

L.B. : Ma référence absolue, c’est Paul Meyer et Déjà s’envole la fleur maigre, qui est un film d’une beauté plastique extraordinaire et socialement formidable. C’est une commande du ministère du travail et, tout d’un coup, il en fait une ode à l’immigration et à ses communautés. C’est un film maudit parce qu’il n’a pas pu sortir. C’est à la fois extrêmement belge et extrêmement ouvert sur le monde. Mais c’est vrai qu’on a une école belge qui est disparate parce qu’il n’y a pas grand chose de commun entre Chantal Akerman, les Dardenne ou même Bouli Lanners.

 

Philippe Manche

 

 

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