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Luc Jabon à propos de la SACD

Publié le 01/04/2002 / Catégorie: Dossier

L'auteur
Les sociétés d'auteurs sont avant tout des sociétés de perception et de répartition de droits. C'est leur tâche principale. Mais la SACD, que se soit à Paris, à Montréal ou à Bruxelles, a toujours eu d'autres cordes à son arc, dont celle d'une meilleure reconnaissance des auteurs et d'une plus grande promotion de leurs oeuvres. A travers l'action culturelle qu'elle mène, il s'agit ainsi d'être au plus proche des besoins des auteurs, mais aussi de parvenir, en soutenant le mouvement associatif (associations de réalisateurs, de scénaristes...) à peser sur la politique culturelle qui reste encore chez nous trop parcellaire, fragmentée, sous-financée.
Les sociétés d'auteurs, et la SACD particulièrement, sont à l'avant plan d'une réflexion et d'un combat contre, pour parler bref, l'instrumentalisation des oeuvres et des auteurs (les oeuvres étant considérés comme des produits, les auteurs comme des techniciens). Si cette instrumentalisation continue à se développer, la dérive va être rapide et le dernier mot ne sera plus qu'aux grands groupes qui dicteront la façon dont une culture doit être présentée au public. Car l'enjeu, ce n'est pas seulement la création mais aussi le public, pris trop souvent en otage ou comme un client à qui l'on vend une marchandise.
Ce qui complique la réfexion, c'est qu'à tout cela, s'ajoute un phénomène de dilution quant à l'identité de l'auteur et de son oeuvre. Qui est auteur ? Quand y a-t-il oeuvre ?
Et comment faire pour que l'ouverture de l'art au plus grand nombre (grâce aux écoles, à la profusion d'ateliers, à la demande du "marché") ne devienne pas ouverture à tout et à n'importe quoi ?

Nouveaux supports
Le développement triomphant de la science et des techniques ont engendré de nouveaux supports qui ont eux-mêmes enfanté de nouvelles catégories d'auteurs. En tant que société d'auteurs, il s'agit d'être ouvert à cette évolution en défendant le droit de ces auteurs à une juste rémunération et en promouvant leurs créations. Dans le multimédia par exemple, la création est souvent le fait de plusieurs auteurs. Nous sommes loin là de cette notion du " moi " créateur isolé et libérant, tel un Victor Hugo, le torrent de son " génie ".
Or, c'est cette notion qui détermine le plus fréquemment la valeur d'une oeuvre. La multiplication des co-auteurs dans l'écriture collective est encore trop souvent assimilée à un degré moindre de création. D'où l'importance d'une réflexion à ce sujet.


Télé
Il s'agirait d'abord de rencontrer le nouvel administrateur général de la RTBF.
Pour nous, une télévision de service public n'est pas qu'un lieu d'information, de sport ou de distraction. Elle a besoin de fictions, de documentaires et de nouveaux types de divertissements. C'est une évidence. Les premières personnes qui peuvent apporter des propositions, ce sont les créateurs. Surtout qu'à l'intérieur de la RTBF, il y a non seulement les moyens techniques mais également les personnalités requises pour mener à bien de nouveaux projets.
Sont-elles seulement entendues en priorité ? J'en doute.
Développer la fiction, le documentaire et les nouvelles séries, le faire en co-production avec des télévisions de service public d'autres pays mais aussi en production propre, voilà qui est vital pour la RTBF.
Et cela fait de l'audience. Plusieurs téléfilms et documentaires de chez nous l'ont prouvé ces deux dernières années. Notre public est prêt à être conquis. Il manque l'impulsion. Malheureusement, dans les grands organes de décision, les auteurs sont totalement absents. On a trop rarement l'occasion de faire entendre notre voix.

Combat d'auteur

Souvent les choses changent parce que les créateurs se sont battus. Même si nous avons aujourd'hui un ministre comme Richard Miller qui se sent très concerné par ce qui se passe sur le terrain culturel, il y a toujours d'innombrables paralysies bureaucratiques. Pour développer la création audiovisuelle dans son sens le plus large, il faut sortir chacun de son ghetto, il faut décloisonner et fonder des passerelles entre différents niveaux de pouvoir, entre différents organismes.
Du côté des auteurs audiovisuels, il s'agit d'éclaircir le paysage.Dans nos relations directes avec les pouvoirs publics, plusieurs grands groupes d'interlocuteurs devraient être entendus : les producteurs, les réalisateurs, les scénaristes, les artistes, les techniciens.
Aujourd'hui, ce sont les producteurs qui sont les interlocuteurs privilégiés. Après des années d'investissement très important, il y a depuis quelques mois un déficit d'intervention des réalisateurs et des scénaristes. Cela se sent tout de suite.
Même si nous gardons évidemment des objectifs communs, mieux, un destin fondamentalement commun avec les autres professions audiovisuelles, celles-ci ne peuvent répondre à notre place sur les territoires et les registres qui nous sont propres.

Liberté de créer
Les sociétés d'auteurs sont bien placées pour être partie prenante de ce débat. Il nous faut être clair sur la notion d'oeuvre : elle est liée à la création, à la liberté. La création n'est pas une reproduction du donné. Elle ré-invente sans cesse le donné. Et pour ce faire, elle a besoin de liberté. D'une vraie liberté. Car trop souvent, le poids économique, les contraintes idéologiques, la bureaucratie, la dictature de l'audience, rendent cette liberté factuelle. Ça me parait être un combat fondamental et commun à toute la profession. C'est sur ce terrain là qu'il peut y avoir une étroite synergie entre les auteurs, les producteurs, les réalisateurs, les comédiens, les techniciens. On se posera toujours la question de pouvoir lutter ensemble. Autant je suis pour un éclaircissement du paysage audiovisuel du point de vue du mouvement associatif, autant je pense que ce qu'a fait Frédéric Young, par rapport à l'émergence d'une fédération qui permette de défendre des objectifs communs, reste fondamental et incontournable. Je crois aussi que même du point de vue de la réflexion, les synergies entre les différentes associations, sont très importantes.

Europe
Il y a une fédération européenne des réalisateurs, avec la FERA et il y a la mise en place cette année de la fédération européenne des scénaristes, la FSE. Du point de vue européen, la réflexion sur l'auteur et l'oeuvre est plus compliquée encore puisqu'il y a une part du monde européen qui est régi par le droit d'auteur et une autre partie qui est régi par le copyright et que ces deux systèmes s'opposent. Certains pensent qu'il y a moyen de trouver une troisième voie, une espèce de mixte entre les deux. Je n'y crois pas beaucoup. Je pense que si on ne parvient pas à défendre le droit d'auteur du point de vue européen, alors on sombrera dans ce qui nous attend de pire, c'est-à-dire l'instrumentalisation totale de la création et de la culture en général. L'assimilation des oeuvres à des produits ne peut qu'amener une espèce de dictature des oeuvres majoritaires, celles qui sont accueillies par le plus grand nombre. A ce niveau, la défense du droit d'auteur est fondamental pour la diversité culturelle, pour la protection des auteurs minoritaires et non-conformistes. Et surtout pour le public qui n'est pas un ensemble de consommateurs mais un ensemble de citoyens.

Coproduction télévisée
L'investissement de la RTBF dans des téléfilms majoritairement belges coproduits avec la France reste trop faible. Il est urgent que la RTBF et le pouvoir politique changent la donne et établissent un équilibre plus important entre l'investissement et la coproduction. Sinon on verra ces coproductions avec la France disparaître en faveur d'autres pays européens. Il faut qu'il y ait une prise de conscience à la RTBF au niveau des décideurs pour évoluer non seulement vers un meilleur équilibre mais aussi dans l'idée de développer la production propre en fiction. C'est une décision politique qui relève du Conseil d'administration de la RTBF, un vrai choix d'affectation dans les budgets.

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