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Interview de Luc Jabon et Thomas Purcaro Decaro - réalisateurs Mirano 80 : l’espace d’un rêve

Publié le 27/09/2021 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Devant les derniers fragments de l’exposition Mirano Continental 40th Anniversary accueillie cet été par les Halles Saint-Géry, Luc Jabon et Thomas Purcaro Decaro ont encore le Mirano dans le cœur et dans les yeux. C’est avec bonheur qu’ils partagent avec nous cette passion, ce travail de mémoire opéré dans leur dernier film. Une plongée en plein jour dans le monde de la nuit bruxellois, chapitre années 80.

 

Cinergie : Quelle est votre relation avec le Mirano ?

Luc Jabon : La création du Mirano, je l’ai vécue. Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un client fidèle, mais je m’y suis rendu souvent. Principalement pour des projections de films, ou des spectacles de la ligue d’impro. Et j’ai bien sûr participé à de nombreuses fêtes et soirées à thèmes organisées dans les années 80, comme celles que l’on découvre dans le documentaire.

Thomas Purcaro Decaro : De mon côté, c’est au travers de mon travail de cinéaste que j’ai découvert le Mirano. En 2018, je réalisais une série de capsules autour de l’histoire du club, et c’est ce point de départ qui m’a donné envie d’aller plus loin. Avec la société de production Image Création, Luc et moi avons mis en place un projet de long-métrage. Ce que nous voulions, en utilisant la masse d’archives à notre disposition, c’était rendre compte de la naissance du Mirano dans le contexte d’effervescence créative et artistique qui était celui de Bruxelles à cette époque.

 

C. : Avant le Mirano, il n’y avait rien de pareil à Bruxelles ?

L.J. : Ce qu’il faut comprendre, c’est que le Mirano Continental s’est construit sur l’héritage du cinéma Mirano qui occupait les lieux auparavant, et cela pendant plus de trente ans. Comme le raconte l’historienne Isabel Biver dans le film, cette particularité a donné une vraie unicité, une vraie âme au Mirano continental, dès le début. Un aspect que les créateurs du club ont bien senti. Malgré tout, il fallait de l’audace, du cran pour lancer un tel projet dans le Bruxelles des années 80, encore très “provincial”.

T.P.D. : En 1981, il n’y avait pas de projet similaire en Belgique. C’est en voyant des grandes boîtes comme le studio 54 à New York, ou le Palace à Paris, réussir à ramener des milliers de personnes que la future équipe du Mirano a compris qu’il se passait quelque chose dans le monde de la nuit. Bruxelles n’était en effet pas encore une capitale européenne comme elle l’est aujourd’hui, et à travers le film nous essayons également de montrer cette transformation de la ville, cette histoire urbaine.

 

C. : Raconter l’histoire du Mirano, c’est aussi raconter l’histoire de la créativité en Belgique. Est-ce que c’est le club qui en est la source, ou bien est-il lui-même une des conséquences de cette vague créative?

T.P.D. : C’est une vraie synergie, selon moi. Un des aspects les plus intéressants de ce travail, ça a été de découvrir toutes les facettes de cette créativité, de cette énergie qui semblait sans freins, et qu’on imagine mal aujourd’hui. À l’époque, tout était à faire, et c’est ce que je trouve fascinant et qu’on a essayé de traduire dans le film. L’envie de partager, et la symbiose qui se crée entre l’intérieur du Mirano et tout ce qui se passe à l’extérieur dans le monde. L’arrivée de nouveaux genres musicaux, les technologies des lumières qui évoluent, autant de paramètres qui s’additionnent dans cette effervescence de création.

L.J. : Dès le début, le Mirano n’a jamais voulu être “une simple boîte”. Très vite, la musique est devenue un alibi pour créer un univers événementiel extrêmement diversifié fait de défilés, de spectacles, de soirées à thèmes, il n’y avait pas de limites. Thomas et moi, malgré notre différence de génération, nous avons d’ailleurs ressenti cette même magie du lieu, cette puissance. Nous voulions réussir à la transmettre sans l’énoncer directement pour que les spectateurs puissent, à travers les images et les témoignages des protagonistes, en faire l’expérience eux-mêmes. Et grâce aux recherches et à tout le travail de l’équipe supervisée par Thomas, je pense que nous y sommes parvenus.

 

C. : Le Mirano, un lieu de libertés et de diversité, également pour les différentes communautés à Bruxelles?

L.J. : Tout à fait. L’ouverture d’esprit et la tolérance ont toujours été des points clés de l’histoire du Mirano, une approche relativement neuve à l’époque pour le monde de la nuit. Cela explique aussi pourquoi très vite, la boîte est devenue un lieu de rencontres multiculturelles, où chacun était libre de venir et de se montrer sous son vrai visage. Un brassage assez étonnant qui aujourd’hui peut paraître commun, mais qui ne l’était pas du tout au début des années 80.

T.P.D. : Et c’est impressionnant car très vite dans le film, on découvre que le Mirano a une approche différente à un moment où les clubs et le monde de la nuit en général sont encore très segmentés entre communautés, entre style de musique et de danse. La force et l’originalité du Mirano se trouvent aussi dans cette communion, cette rencontre entre des milieux très différents qui s’assemblent, pour créer quelque chose de nouveau, d’unique.

 

C. : Ce brassage, on le ressent aussi dans les témoignages des protagonistes que vous interrogez. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces rencontres?

T.P.D. : L’une de nos volontés, c’était de ne pas avoir de voix-off. Et cela s’est très vite avéré inutile, parce que les récits se suffisent à eux-mêmes. Avec ces rencontres qui se répondent les unes les autres, nous avons pu créer une choralité entre tous ces protagonistes. La voix qui émane de tout cela, c’est la voix du Mirano qui est reconstituée par la bouche de tous ces gens et par ces archives. Il était donc important de respecter un équilibre entre toutes ces personnes. Et je dis personnes plutôt que personnages, parce que ce documentaire a vraiment été à l’origine de rencontres, de découvertes. L’occasion de donner la parole à toute une génération, tout un monde que l’on oublie un peu aujourd’hui. Cette démarche de mémoire était nécessaire pour moi.

L.J. : Et pour revenir sur le côté choral, c’est bien quelque chose que nous avions en tête dès le début du scénario. Cela a impliqué de nombreux mois de préparations, des entretiens préliminaires avant le tournage, et une transparence avec nos intervenants vis-à-vis du procédé. Nous nous sommes immergés avec eux dans cette histoire, et ils ont tous joué le jeu. Cela donne au film l'hétérogénéité que nous recherchions. Une pluralité de personnages, une multiplicité de sujets, et des interventions libres et ouvertes de chacun sur leur expérience du Mirano. Avec, et c’était primordial, une part de subjectivité. Nous voulions que le spectateur puisse partager avec nous l’émotion d’une époque, pas seulement des faits et des anecdotes.

 

C. : L’autre partie importante de votre documentaire, ce sont les archives. Comment avez-vous appréhendé cette recherche ?

T.P.D. : Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’en 1980, il n’y a pas de numérique, pas de smartphones. Il a donc fallu dénicher tous les fragments captés ça et là, et surtout retrouver les éléments qui nous permettraient de raconter ce Bruxelles de la nuit, au-delà du Mirano. Dans cette recherche, nous sommes partis des archives de Paul Sterck, directeur de la boîte pendant plus de 30 ans. Une quantité de documents vidéos mais aussi des affiches, des maquettes, des négatifs que nous avons numérisés et intégrés au film. À partir de cette base, et du matériel fourni par les autres protagonistes qui avaient chacun conservé des traces de cette partie de leur vie, nous avons pu redessiner l’histoire du Mirano. Toujours dans l’idée de l’expérience, de l’immersion du spectateur et pas de l’illustration.

L.J. : Et l’une des idées que Thomas a amené dans le film, c’est ce format Cinémascope qui permet de mettre en parallèle le témoignage et l’archive. Cela invoque une dimension de souvenir, tout en étant en complément, en miroir du récit. Ce qui rend aussi l’archive beaucoup plus vivante, car elle accompagne le protagoniste plutôt que de simplement illustrer son propos. Tout ce procédé contribue à l’immersion du spectateur et le plonge dans cette légende du Mirano, ce que nous voulions faire ressentir.

 

C. : Maintenant que le film est achevé, est-ce que cette atmosphère du Mirano ne vous manque pas un peu ? Souhaiteriez-vous y replonger pour une suite ?

L.J. : Actuellement, nous sommes encore dans le processus de promotion du film, donc il n’est pas tout à fait derrière nous. Mine de rien, ce travail est l’aboutissement d’un travail collectif de plus de deux ans. Je tiens d’ailleurs à remercier notre productrice Martine Barbé, mais aussi toute l’équipe d’image et de montage, notre compositeur Thomas Vaquié, et tous les gens qui ont rendu ce film possible. C’est une vraie force créative que nous avons rassemblé, à la manière des fondateurs du Mirano d’ailleurs. Une belle aventure humaine, au-delà de l’histoire d’une discothèque.

T.P.D. : Même si l’histoire du Mirano s’est poursuivie, notre but était de mettre l’accent sur cette période phare du club, dans les années 80. Pour ma part, il y avait une vraie volonté de mémoire. C’était nécessaire de réaliser ce film pour ne pas perdre toute cette histoire, constitutive du monde de la nuit encore aujourd’hui, même si elle semble déjà lointaine. Durant cette décennie, on a assisté à des basculements technologiques, sociétaux, humains. Nous voulions rendre cette sensibilité de l’époque avant qu’elle ne disparaisse, tout en mettant en images la connexion entre notre présent et ce passé, bien plus lié qu’on ne le pense.

 

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