Mon diplôme c'est mon corps de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil
Les mots du travail
Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, le dernier long métrage documentaire de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil (1) est construit à partir d’entretiens au cours desquels des psychothérapeutes professionnels tentent de faire le lien entre la souffrance au travail de leurs patients et les nouvelles formes de management que développent les entreprises.
Lors du tournage, de nombreux entretiens furent filmés qui ne figurent pas dans le montage définitif du film. Parmi ceux-ci, il y avait celui où Madame Khôl, brisée par les conditions de son travail, faisait le récit de sa vie de femme de ménage.
Aujourd’hui, les deux réalisateurs proposent cet entretien comme un film à part entière et ils ont bien raison ! Bien sûr, on retrouve les qualités du long métrage, ce dispositif du huis clos renvoyant en hors champ à notre socialité malade et ce travail sur l’écoute d’une parole qui nous est donnée dans la durée émotionnelle de sa relation. Bien sûr Mon diplôme c’est mon corps se pose dans une dimension complémentaire à l’enjeu du long métrage, mais fort nous est de constater la justesse d’en avoir fait une parole à part, voire autonome. Car au de-là de cette question de la souffrance au travail qui traverse en pointillé tout le récit de Madame Khôl, ce qu’elle nous raconte d’abord, c’est cet écart majeur entre ce qu’elle mettait dans son travail et le contexte d’indifférence où il s’inscrivait, écart majeur entre la sensibilité du vivant et une structure mortifère incapable de proposer autre chose que ses critères d’efficacité et de rentabilité.
Ici, ce qui frappe, c' est cette distance entre les mots simples et comme chargés d’une poésie vraie évoquant la présence fantôme d’une nécessaire communauté, et l’absence totale de lien qui règne sur les lieux de travail.
En écoutant Madame Khôl dire les différentes étapes de sa vie de labeur, on saisit mieux le pourquoi et le comment de cette négation systématique de toute dimension sensible dans le travail. Mais surtout derrière cette intensification de l’isolement, voulue et permanente, on mesure dans l’émotion, ce qui là est détruit, perdu, anéanti et qui est notre relation à nous-mêmes et aux autres.
Enfin, cette parole, il nous est rarement donné de l’entendre dans la nudité de sa détresse et de sa vérité, car précisément, une telle parole se suffisant à elle-même n’a pas droit de cité. C’est pourquoi il faut encore souligner le formidable travail de Sophie Bruneau et de Marc-Antoine Roudil qui avec une véritable démarche de cinéastes ont su faire de cette parole donnée, une parole écoutée.