Un film qui interroge une vérité qui se délite entre le règlement administratif et les numéros de cirque. Un film drôle et fantaisiste que Raphaël Balboni a mis du temps à réaliser. Ce passionné de cinéma qui à sept ans découvrait Bergman, Antonioni et les dessins animés est passé de l’analyse théorique des films à leur réalisation. On en est heureux. Les Habitants est un film au casting impeccable. Cédric Eeckhout et Jan Hammenecker dans un duo digne de Buster Keaton et Fatty Arbuckle nous ont complètement bluffés.
Les Habitants nous narre la rencontre entre un recenseur venant annoncer aux habitants du bord d'une autoroute que celle-ci va être prolongée et que la forêt environnante va être rasée pour laisse place au bitûme. Parmi ces habitants, le bien connu Jan Hammenecker et une tribu de personnages tous plus farfelus et dérangés les uns que les autres.
Baignant dans une ambiance comico-fantastique rendant hommage au réalisme magique (on pense à Un Soir, un Train d'André Delvaux ), les Habitants amusera les amateurs de curiosités et d’absurde décalé très belgo-belge dans l'âme...
Raphaël Balboni : les Habitants
Enfant, les premiers films qu’il découvre sont ceux de Chaplin. « Je crois qu'avant ça, j’avais vu Fantasia, au Rex, qui m’avait quand même impressionné, surtout la taille de la salle, en fait ». Ce qui a été déterminant pour Raphaël est d’avoir eu une grande sœur cinéphile. « On avait une seule télévision, donc c’est elle qui décidait ce qu’on devait regarder. On voyait des Bergman, Allen, Antonioni, Wenders... Elle avait quinze ans et aimait beaucoup tout ça. Moi, du haut de mes sept ans, j’aurais préféré regarder des dessins animés, mais je rentrais quand même dans ces films qui ont formé mon regard. »
Du coup, Raphaël avoue avoir toujours fait du cinéma. À dix-sept ans, au lycée en France, il décide de suivre des études de cinéma. « J’ai opté pour le cinéma, même si je ne savais pas encore en quoi celui-ci consisterait. Je ne savais pas si je voulais pratiquer, si je voulais être technicien ou théoricien, et j’ai donc commencé par la théorie à l’université. J’ai fait une licence en théorie du cinéma à Paris 8. Quand je suis arrivé à l’université, j’ai pu avoir un panorama de l’histoire du cinéma et du cinéma actuel pendant trois ans. Ça m’intéressait énormément, mais je me rendais compte que la théorie du cinéma, c’est-à-dire analyser, c’était pour devenir chercheur; c’était écrire, devenir critique et je sentais bien que ce n’était pas vraiment dans mes compétences.
Je ne suis pas quelqu’un qui écrit, je n’ai pas une bonne plume, je n’ai pas cette facilité. Mais le terrain m’intéressait, et c'est ainsi que j’ai réalisé mon premier film en vidéo à l’université, avec quelques amis, sans vraiment savoir ce qu’on faisait ».
Il commence par utiliser le numérique qu’il pratique beaucoup. « En dehors de l’IAD, j’ai fait beaucoup d’art vidéo, 8 ou 9 films au total. Quand je suis entré à l’IAD, j’avais déjà fait plusieurs films et j’ai continué à pratiquer. J’ai donc une grande habitude du numérique. Je faisais tout, la réalisation, le montage, ce qui m’a d’ailleurs beaucoup aidé durant mes études».
Les Habitants n’est pas pour autant tourné en numérique. « C’est mon film de fin d’études pour l'IAD, et là, c’est de la pellicule super 16 mm pour une production tout à fait classique. 25 personnes m'entouraient, moi je n’ai rien fait d’autre que réaliser et co-écrire le scénario. Je n’ai pas cadré, ni pris le son... mais ça m’a aidé de savoir faire tout ça pour comprendre ce qu’ils faisaient et faire comprendre ce que je voulais ».
Les Habitants est un film drôle “à la belge”, avec une tribu de farfelus qu’un employé de l’administration des départements territoriaux (sic !) rencontre dans un campement au bord de la route. Des personnages qui ne comprennent rien à ce qu’on leur demande, préférant le jeu du cirque. Très belge. Y a-t-il des films belges qui ont marqué Raphaël Balboni, réalisateur français?
« Déjà, à l’IAD, on côtoie pas mal de réalisateurs comme Frédéric Fonteyne, Benoît Mariage ou Pierre-Paul Renders. C’est très intéressant de les rencontrer et de découvrir leur cinéma. J’avais vu des films de Bruno Mariage avant d’arriver ici. À l’IAD, j'ai aussi découvert comment s’est construit le cinéma belge. À l’université, en France, on abordait bien le sujet, mais c’était assez sommaire. Par rapport à ça, il y a ce côté très documentarisant du cinéma belge qui est très loin de ce que j’ai produit ici, mais je sais que les cinéastes qui m’intéressent ne sont pas forcément proches de ce que j’ai fait. J’aurais du mal à dire quels sont les cinéastes belges qui m’ont influencé pour ce film, mais en tout cas, mon rapport à la Belgique m’a beaucoup influencé. »
Les acteurs sont excellents. Comment le réalisateur a-t-il conçu le casting ?
« L’avantage de l’IAD, c'est d’être conseillé. Frédéric Fonteyne et Pierre-Paul Renders m’ont aidé pour le casting. Ensuite, je suis allé proposer le scénario aux comédiens. Faire un film de fin d’études pour des comédiens comme eux, qui marchent bien, n’est pas évident. On est parti d’un scénario très écrit et pendant les répétions, ils improvisaient parce qu’ils ne connaissaient pas encore leurs textes. C’était d’un richesse énorme et on a donc choisi d’oublier le texte et de ne faire que de l’improvisation. Et c’était un vrai bonheur, c’est vraiment agréable de travailler avec des comédiens aussi intéressants ! »
Le cinéma numérique est en train de se développer. Particulièrement dans le cinéma asiatique. Raphaël Balboni a démarré avec le numérique avant de passer à la pellicule. Il compte réaliser son prochain film - L’œil Tambour - en pellicule, sans pour autant abandonner le numérique.
« Le numérique chez Kiarostami - je fais mon mémoire sur Kiarostami - m’a fasciné. Moi, j’ai commencé par la vidéo. Des films en pellicule, je n’en ai tourné que trois. Je ne suis pas du tout quelqu’un qui a l’habitude de la pellicule et qui va soudain se mettre au numérique. Je ne suis pas dans la même démarche. La pellicule est pour moi très obscure, alors que le numérique est évident. Après, la qualité de l’image que j’ai connue en numérique avec des moyens très faibles, ne se révèle pas très intéressante.
Cet été, justement, je pars sur un projet pour un tournage vidéo. On va tourner en progressif, c’est-à-dire des entrelacés, un peu comme la HD. On veut, à la fin, aboutir à un film en 35 mm. On tourne en vidéo cet été parce qu’on n’a pas les moyens de tourner autrement. Lorsqu’on voit les films chinois, le numérique est fascinant. Il permet énormément de choses qui étaient impossibles auparavant. Aujourd’hui, avec mon ordinateur et ma petite caméra, je fais un film de qualité sans que ça ne me coûte grand chose. On n’a besoin de rien pour faire un film, sauf d’un bon chef op’."