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Sur le tournage de Ultranova (ex - Zoning-Lonesome cowboys) de Bouli Lanners

Publié le 01/03/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Au lieu d'ajuster les personnages à l'histoire, c'est l'histoire qui s'ajuste aux personnages

— John Cassavetes



Atteindre le ton juste, un peu "à côté" est un exercice dans lequel excelle Bouli Lanners depuis ses débuts. Montrer sans dire. Tel est l'esthétique du décalage qu'il propose aux spectateurs. Pour parodier un célèbre critique, le sujet est traité à côté du scénario. Et c'est tant mieux ! Les surprises n'en sont que plus grandes. Les scénarios en béton sont si souvent indigestes qu'ils ne font que le bonheur des pharmaciens.

Sur le tournage de Ultranova (ex - Zoning-Lonesome cowboys) de Bouli Lanners

Tour à tour peintre, comédien (notamment dans Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage ou Petites misères de Philippe Boon et Laurent Brandebourger, mais aussi avec Janin et Liberski dans les Snuls et JAADTOLY, sur Canal +), Bouli Lanners est passé, en 2001, derrière la caméra pour réaliser Travellinckx, un court métrage qui est sans conteste le meilleur film existant sur l'évasion de Marc Dutroux mais aussi sur ce mal de vivre qui surprend certains d'entre nous et qui est incarné par un personnage, asthmatique et hypocondriaque, hurlant sa honte d'être Belge ! Muno, son second court métrage, tourné également en noir et blanc, est un parfait exemple d'oxymoron. Il montre, mine de rien, le racisme quotidien et inconscient d'une localité provinciale en contant les mésaventures de Raphaël, un aspirant journaliste, incapable d'enregistrer ses interviews pour cause de magnétoscope défectueux. Les plans cadrés au format 1.85, en noir et blanc de Muno semblent illustrer la célèbre rubrique de Cavanna : Je ne l'ai pas vu, je ne l'ai pas lu, j'en ai entendu parler.

 

C'est dire si nous attendions avec impatience d'aller sur le tournage de Zoning-Lonesome cowboys, le premier long métrage de Bouli Lanners. Nous n'avons pas été déçus. Bouli Lanners tourne non pas en improvisant mais en se servant de son scénario pour en explorer les diverses possibilités. Se servir des accidents de tournage pour accentuer la vérité des scènes, leur donner une meilleure plasticité n'est pas donné à tout le monde. Cela suppose une équipe soudée ce qui est le cas avec le noyau qui l'entoure. Ceux-ci ont participé aux précédents courts métrages ou fait partie de l'épopée de Canal +. Belgique.

 

La séquence dont nous observons le tournage voit Dimitri (Vincent Lecuyer), un jeune vendeur de maisons "clé sur porte" qui zone, accompagné ce jour-là d'une amie Cathy (Hélène De Reymaeker), qui vient reprendre ce qui appartient à un ami victime d'un accident de voiture. Nous sommes dans une sorte d'immense garage pour voitures accidentées. La caméra S16 - une Aaton XTR-prod - cadre les jeunes gens qui pénètrent dans le garage précédés par une dépanneuse de couleur rouge. Les répétitions sont longues, d'autant que la caméra suit une trajectoire qui est proche de la chorégraphie. Une fois que la mise en place du plan est au point, les prises - formatées en scope et observées attentivement dans tous leurs détails par le réalisateur sur un écran vidéo - sont peu nombreuses.

 

Réalisateur

"Le film devait être tourné en noir et blanc mais je voulais obtenir le format cinémascope, nous explique le réalisateur, et il se trouve que la filière S16- noir et blanc-Scope n'était pas fiable. Le résultat des essais n'était pas probant. Le point restait mou, il n'y avait pas un beau grain et pas de définition. Après avoir essayé toutes les filières possibles, à trois semaines du tournage on est passé à la couleur. La préparation n'avait pas été prévue pour ça, je ne me sentais pas prêt psychologiquement mais les costumes et les décors le permettaient. Je suis passé à la couleur sans le faire exprès. Finalement je suis très content que cela se soit passé comme cela. Je n'ai pas eu le temps d'avoir des angoisses puisque les essais couleur ont eu lieu deux jours avant le début du tournage.

 

Pour le ton, j'ai un côté instinctif, brut, que je préfère conserver - en sachant que je peux me planter - plutôt que d'analyser le découpage des autres. J'essaie des choses et si ça ne marche pas on change. Dans ce film-ci, on a pu réécrire et retourner pas mal de plans. Certaines scènes ne fonctionnant pas. C'est pourquoi il est intéressant de travailler avec une équipe qui te permet d'être à l'aise. C'est un des avantages de monter pendant le tournage. Aujourd'hui c'est le dernier jour du tournage, le quarante-cinquième jour, je viens de recevoir la dernière continuité, ce qui m'a permis de rechanger encore des choses hier. Cela n'a pas arrêté de changer, d'être réécrit, d'être transformé. Le tournage s'est passé comme dans un rêve, ce n'est donc pas ce qui m'a fatigué mais d'avoir, sans cesse, pensé et repensé au film. C'est la première fois que je travaille comme cela. Dés lors, j'ai demandé à Jacques-Henri Bronckaert, de prévoir une semaine de retournage. Au montage on change quelque chose et la séquence boîte d'autant plus que je ne respecte pas clairement ce qui est écrit car ce n'est qu'un passage par rapport à la finalité du film. Ici on a prévu de refaire des repérages, de réécrire de petits rôles qui n'étaient pas prévus, d'opérer de nouveaux castings. Le luxe c'est d `avoir du temps pas de l'argent, celui-ci oblige à tenir impérativement des délais. C'est la première fois que je travaille comme cela parce que je travaille sur le long terme.

 

Si je travaille de cette manière, ce n'est pas en hommage à Cassavetes, (ce n'est qu'après qu'on m'a dit que Cassavetes travaillait de cette façon (1) c'est parce que n'ayant pas fait d'école de cinéma je n'ai pas appris à respecter les règles standard de la réalisation. Le caractère brut de mon travail est une méthode me permettant de comprendre ce que je fais et de corriger certaines erreurs. Ce n'est que lorsque je termine le film que je découvre ma démarche intellectuelle, au début elle est davantage instinctive.

 

Le fil conducteur du film est Dimitri qui zone dans la banlieue industrielle et dont le destin va croiser celui de Cathy, une jeune femme qui va lui permettre de respirer. A travers ce fil rouge je pense qu'il y a une atmosphère qui se dégage des décors, de l'urbanisme ambiant, des zonings, etc., qui à mon avis, à aussi une valeur dramatique même si elle est en toile de fond. A travers la trajectoire de Dimitri on croise six personnages en manque de repères, d'amour et de vie sociale. Dimitri, tel un guide, nous permet de voyager pendant trois semaines dans ce monde-là. C'est un zone-movie ! Tu évoques mon prochain film puisque celui-ci se termine dans quelques heures. Pourquoi pas ? Il est déjà à moitié écrit et c'est quelque chose qui me tient très fort à coeur. C'est l'histoire de trois personnages. Ce sera un boat-movie."

 

Acteurs

Dimitri, est un personnage assez solitaire, nous explique Vincent Lecuyer, il rentre très peu en communication avec ses collègues. On vit un peu à côté des autres sans vraiment se connaître, en ignorant les choses essentielles. Au début du film c'est un personnage à qui cela convient tout à fait. Il est plutôt solitaire. La rencontre avec Cathy va changer les choses. A partir du moment où la communication s'établit, elle bouleverse complètement sa vie puisqu'il ne peut plus s'en passer. Bouli est très précis dans ses indications, ajoute Hélène De Reymaeker, il sait quand le ton n'est pas juste et en même temps il nous demande notre avis pendant les répétitions. On est donc très impliqué avec lui dans la recherche du ton juste. C'est d'ailleurs pareil pour toute l'équipe que ce soit à l'image ou au son. Il implique tout le monde. Tout à l'heure avec la dépanneuse, cela ne marchait pas. On a cherché jusqu'à trouver le bon rythme. Cathy est un personnage plus extraverti que Dimitri. C'est elle qui va vers lui et l'oblige en quelque sorte à s'ouvrir aux autres.

 

Producteur

Jacques-Henri Bronckaert a produit le premier film de Bouli Lanners. C'est donc un euphémisme de dire que les deux hommes se connaissent bien. "C'est le réalisateur parmi ceux avec lesquels je travaille depuis la création de Versus Production, avec lequel j'ai le plus de complicité", nous précise-t-il. Ce qui est important sur le tournage de ce premier long métrage de Bouli est qu'il soit entouré d'une sorte de noyau dur qui l'accompagne depuis son premier court métrage. Il y a une complicité de travail qui va au-delà du film. Dès le début Bouli a voulu imprimer une atmosphère concentrée mais décontractée en donnant la primauté aux relations humaines. On ne fait pas qu'un film, on vit ensemble quelques semaines. Il a très bien compris que l'important sur un plateau ce n'est pas le pouvoir mais la connivence, la collaboration. Il a ce charisme-là qui lui permet de tourner dans la bonne humeur et en même temps c'est quelqu'un d'anxieux mais sachant bien s'entourer.

 

C'est un premier film. On s'est dit qu'on allait essayer de réduire la technique et l'équipe pour se donner les moyens de faire les choses dans la durée. On a eu 45 jours et jamais on a eu l'impression de courir après le temps. On a pu revoir le plan de travail et faire des retakes. Bouli, a une conception - devenue de plus en plus rare - d'écrire le scénario comme quelque chose qui peut bouger pendant le tournage en fonction des rushes.
C'est pourquoi Cathy Mlakar, l'assistante réal., a conçu dans les rouages du plan de travail des moments creux de façon à pouvoir déplacer certaines scènes ou en tourner d'autres. On ne désirait pas non plus pas être contraints par des plannings de comédiens qui ont des engagements ultérieurs. On a voulu pouvoir disposer de tout le monde pour la durée du tournage.

 

Le prochain film on l'imagine déjà avec une équipe un peu plus réduite en considérant le tournage comme un work in progress et pas comme quelque chose qui consiste à mettre en boîte les scènes déjà écrites. On a pris des risques mais on termine sans dépassement. L'essentiel c'est la durée. La priorité est la même sur le prochain film d'Olivier Masset-Depasse, prendre le temps de faire les choses. Surtout sur des premiers films. Chaque film est singulier et il faut s'adapter sinon on tombe dans les films formatés pour le prime time de la télé.
On ne veut pas être dans le compromis. Les réalisateurs ont plein d'idées au départ mais aussi une énorme pression pour faire entrer les films dans un moule. C'est cela le danger du cinéma belge actuel.

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