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Rencontre avec Frédéric Sojcher pour la sortie de Je veux être actrice

Publié le 11/01/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Après Hitler à Hollywood, l'écrivain, professeur de cinéma et réalisateur, Frédéric Sojcher a décidé de réunir les trois générations de Sojcher, lui, son père et sa fille, dans un même film : Je veux être actrice. L'image s'illumine par le visage candide et enchanté de sa fillette de dix ans, Nastasjia. Son rêve ? Devenir comédienne. Plutôt que de se lancer tête baissée dans l'aventure, elle demande à son père de rencontrer les acteurs avec lesquels il a travaillé. S'ensuivent alors une série de scènes entre l'apprentie comédienne et Michael Lonsdale, Jacques Weber, Denis Podalydès et bien d'autres. Elle récolte les petits secrets dans son baluchon, celui qu'elle emportera peut-être tout au long de sa future carrière d'actrice. Comme à son habitude, Frédéric Sojcher emmène son spectateur dans un entre-deux, entre le documentaire et la fiction, la limite est ténue.

Cinergie : Comment t'est venue l'idée de faire ce film ?
Frédéric Sojcher : Ma fille Nastasjia a commencé à faire de la danse à trois ans, du théâtre à six ans au cours Florent à Paris, qui donnait des cours aux enfants pour la première fois. Elle était passionnée par cela et je voulais me demander ce que le théâtre apportait à un enfant. Tous les enfants qui font du théâtre ne vont pas devenir comédiens, mais je pense que c'est formidable pour vaincre sa timidité, pour apprendre à parler en public, pour vivre une expérience collective, pour avoir un rapport au texte. Et, il me semble que ce serait formidable qu'il y ait des cours de théâtre dans les écoles primaires et dans les lycées, car c'est un bel apprentissage de la vie. C'est étrange que dans l'enseignement on ait des cours sur tout, mais on n'explique pas comment s'exprimer en public ou face à d'autres personnes alors que dans presque tous les métiers, on est amené à s'exprimer en public.

Et Nastasjia m'avait aussi dit qu'elle voulait rencontrer les comédiens que je connaissais et donc l'idée qu'elle les rencontre est née pour qu'ils puissent chacun lui dévoiler un petit secret sur le métier d'acteur. Est-ce que c'est un métier ? Une passion ? C'est quoi jouer ? Et pour beaucoup d'acteurs, notamment Michael Lonsdale, jouer c'est comme rester enfant. Quand les enfants jouent, ils se prennent au jeu, ils croient à leur rôle. Ils peuvent passer d'un monde imaginaire au monde réel en l'espace d'une seconde.

Et enfin, il y a mon père. J'ai appris récemment qu'il voulait être acteur quand il était jeune. Il a quand même joué dans quelques films dont Babel Opéra d'André Delvaux, certains films de Claudio Pazienzia. Mais, il joue toujours son propre rôle, il ne joue pas de rôles de composition.

L'idée était de présenter les trois générations : ma fille, mon père et moi. Au départ, je ne devais pas passer de l'autre côté de la caméra. Quand j'ai commencé à vouloir faire des films, à 15 ans, et que j'allais au Musée de Cinéma de Bruxelles, mon premier professeur de cinéma Hadelin Trinon affirmait que tous les réalisateurs devaient, à un moment ou à un autre, passer devant la caméra sous forme de clin d'œil comme Hitchcock, comme Charlie Chaplin, comme Orson Welles, ou comme les cinéastes de la Nouvelle Vague comme Godard, Truffaut ou Chabrol. Pourquoi sont-ils tous passés devant la caméra ? Car comment faire de la direction d'acteurs sans être passé au moins une fois devant l'objectif ? C'était une initiation pour moi grâce à ma fille. J'ai franchi le cap, même si je ne sais pas si je vais réitérer l'expérience. Ici, c'est curieux, car nous sommes dans un documentaire mais en même temps il y a une part de fiction, de mise en scène. Il y a une sorte de jeu avec le spectateur qui doit faire la différence entre ce qui fait partie du réel et ce qui appartient au jeu, ce qui est le thème du film.

 

Frédéric Sojcher, réalisateur © Camille Deboucq/Cinergie

 

C. : Tu aurais pu faire ce film sans ta fille mais tu l'as intégrée dans le film. Du coup, il y a une relation différente entre les comédiens qui répondent à Nastasjia et pas à toi. Est-ce que c'était ton idée de départ ?
F.S. :
Dès le départ, c'était une des envies du film. Je voulais voir comment des comédiens allaient parler de leur métier, de leur passion, de ce que c'est jouer à une enfant de dix ans. Et ils ne parlent pas de la même manière que s'ils avaient été confrontés à un adulte. C'est la question de la transmission qui est aussi au cœur du film. C'est pour cela que j'ai choisi des acteurs qui ont de l'expérience, qui ont des années de carrière. Et je trouve cela incroyable qu'ils aient accepté cette idée de transmission. Il y a une vraie générosité de leur part, ils disent vraiment ce qu'ils pensent. Ils ne répondent pas à Nastasjia de manière niaise ou bébête, ce qu'ils disent peut être complexe, profond mais compréhensible parce qu'ils s'adressent à une enfant de dix ans. Je pense que cela fonctionne, mais grâce à ces immenses comédiens qui sont à la fois des comédiens au théâtre et au cinéma. Selon moi, ces comédiens ont plus de substance, de richesse que les comédiens qui ne font que du cinéma parce qu'ils ont un autre rapport au texte et une certaine humilité aussi.

Il y a un vrai échange qui fonctionne grâce à cela, mais aussi parce que Nastasjia est vraiment intéressée par ce qu'ils racontent et ils le sentent. On peut faire un parallèle avec une interview réalisée par des journalistes différents, l'interviewé ne répondra pas forcément de la même manière parce qu'avec l'attention qu'on a en face, il y a un échange qui se produit avec plus ou moins d'intensité. Je pense que Nastasjia a cette qualité d'être vraiment à l'écoute. Les acteurs sentent cela et ils sont touchés qu'une enfant de dix ans soit vraiment intéressée par ce qu'ils racontent. Et du coup, il y a cette générosité et cet échange qui peut avoir lieu.

 

C. : Comment s'est passé le tournage ? Est-ce que vous avez fait plusieurs prises ? Est-ce qu'ils avaient le temps de préparer leur texte ?
F.S. : C'était un peu étrange car c'était la méthode que j'utilise depuis plusieurs films : il y a un scénario au départ qui existe, on sait comment le film commence, il y a des balises, des séquences. Cela trouble d'ailleurs les gens en Commission d'avoir un scénario presque écrit comme pour une fiction. Pour moi, c'est juste une base de travail importante car on connaît la direction du film et après, le grand pari, c'est d'être ouvert à ce qui va se passer sur le plateau et donc de pouvoir s'adapter en sachant où on veut aller. Concrètement, pour chaque scène où Nastasjia rencontrait des comédiens, il y avait des questions qui étaient préparées, des thèmes que je voulais aborder, des lieux qui avaient été choisis. Par exemple, quand Nastasjia rencontre Denis Podalydès à la Comédie française, je lui avais dit de faire les répliques de Roméo et Juliette de Shakespeare et de voir comment il réagit. Denis Podalydès, qui n'était pas au courant de cela, dit à Nastasjia que plus tard elle pourra jouer de plus grands rôles, par exemple, Roméo et Juliette. Comme on avait préparé cela à l'avance, Nastasjia a eu la dextérité d'esprit de lui dire la fameuse réplique de Roméo et Juliette et donc, il était sidéré par cette réponse qui n'aurait pas pu avoir lieu si on n'avait pas préparé à l'avance la scène. Du coup, il y a eu un échange entre eux, où il fait une vraie direction d'acteurs, il lui fait répéter la réplique, il lui donne la réplique et devient en quelque sorte son metteur en scène. La démarche du film est là : il y a une préparation qui permet parfois de faire advenir des choses incroyables.

 

C. : Tu as rencontré plusieurs acteurs pour ce film-ci et pour d'autres. Qu'est-ce qui fait qu'un acteur est exceptionnel, qu'il a du charisme ? D'où vient cette aura qui illumine un acteur plus qu'un autre ?
F.S. : Personne n'a réussi à répondre à cette question, il y a un mystère qui plane. Mais certains acteurs sont habités. Quand j'avais 18 ans, j'avais vu Michael Lonsdale au théâtre qui jouait Beckett. Pendant dix minutes, il n'a rien dit mais tout le monde était captivé dans la salle parce qu'il avait une présence sur scène que d'autres n'ont pas. Au cinéma, c'est différent. Il y a certaines actrices qu'on ne remarquerait pas dans la rue mais la caméra (et le chef opérateur, la lumière, le cadrage) opère une sublimation. Jacques Weber dit que la caméra c'est comme une femme à séduire. Il y a ce rapport de séduction avec l'objectif qu'il n'y a pas au théâtre. Ce que je dis là, les acteurs l'ont dit. Lors du montage, on a dû faire des choix et on n'a pas pu tout mettre dans le film mais un livre, qui contient tous les propos coupés au montage, va sortir et va permettre à ceux qui s'intéressent à l'acteur (et à toutes les questions qui lui sont corrélées) d'avoir le complément du film.

 

Frédéric Sojcher, réalisateur © Camille Deboucq/Cinergie

 

C. : C'est un livre qui s'inscrit dans la suite de tes publications liées aux différentes facettes du cinéma ?
F.S. : Ici, c'est le cinéma et le théâtre. Je suis fasciné par les comédiens (comment on s'identifie à eux ? Comment on se projette ?) Un texte de théâtre doit être porté par des comédiens, un grand film est réussi grâce à ses comédiens. François Morel dit qu'un acteur est celui qui sait dire les choses entre les mots.

 

C. : Tu es parvenu à convaincre Nastasjia de prendre une décision après toutes ces rencontres ?
F.S. : En tant que réalisateur, on s'expose à la critique, au public. Ici, quelque chose m'inquiétait vraiment beaucoup plus. C'était comment est-ce que Nastasjia allait réagir au film ? J'avais peur d'avoir entraîné ma fille dans une aventure où je n'aurais pas dû l'emmener et je me demandais comment elle allait réagir quand le film serait terminé. Mon premier bonheur a eu lieu lors de la première projection du film à Dijon, Nastasjia m'a rejoint sur scène parce qu'il y avait un débat avec le public et elle m'a juste glissé à l'oreille : "Merci papa". C'était le plus important pour moi : qu'elle soit heureuse d'avoir participé au film. Mais elle a dit aussi : "Depuis que j'ai fait ce film, je ne veux plus être actrice", parce qu'elle a pris conscience de l'attente sur le plateau. Actuellement, elle a une position particulière : elle veut continuer ses cours de théâtre à l'académie et en même temps elle dit que ce n'est pas vraiment le métier qu'elle voudra faire plus tard. C'est pour moi une preuve de grande sagesse car je fais aussi l'éloge des comédiens amateurs (étymologiquement celui qui aime) qui ont un métier et une passion à côté. Le métier n'est pas forcément une finalité et ce n'est pas aux parents de choisir pour leurs enfants.

 

C. : Tu aimes bien cette idée de passion amatrice déjà présente dans Cinéastes à tout prix.
F.S.: Parfois, les professionnels ne sont pas passionnés. C'est un paradoxe, mais c'est plus vrai dans la télévision que dans le cinéma. On peut parfois adopter une démarche professionnelle qui peut être réductrice car on court après les cachets. J'ai la chance d'être enseignant donc je transmets et on apprend autant de ses étudiants que ce qu'on peut leur apprendre. Et je bénéficie d'un salaire sans dépendre de la production de mes films. Il y a beaucoup de techniciens, réalisateurs, acteurs qui acceptent des choses qu'ils ne feraient pas s'ils n'avaient pas besoin de gagner leur vie avec ce métier. Et il y a très peu de personnes qui font vraiment ce qu'ils veulent. Alors que l'amateur ne fera que ce qu'il lui plaît puisqu'il a son métier à côté. Je pense qu'il y a une vraie noblesse pour l'amateur. L'idée de passion est importante et quand on fait un film, on peut partager cette passion avec les autres membres de l'équipe : mon chef opérateur Lubomir Bakchev, ma monteuse Minh-Tam Nguyen, mon assistant réalisateur Jean-Paul Figasso avec qui je pouvais échanger sur des questions de création. Il faut trouver des personnes avec lesquels on veut travailler et avec lesquels on partage un univers de référence. Il faut trouver où les affinités fonctionnent, c'est la clé.

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