Cinergie.be

Les propos de Martine Doyen

Publié le 13/07/2006 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Si Komma raconte l'histoire d'une rencontre, elle n'est pas forcément amoureuse, et c'est plutôt, en effet, de l'ordre de sauver l'autre. D'autant plus qu'il y a une grande différence d'âge entre eux. Mais avec la fin, on se demande si lui sera sauvé par cette rencontre ? Est-ce qu'elle va lui permettre de ne pas lâcher ? Parce qu'il s'accroche à la fin, quand même (rires). J'avais envie d'une fin qui continue dans la tête du spectateur et qui ne soit pas donnée dans le film. Je trouvais cela un peu simple de donner la réponse, le film me semblait alors devenir moins intéressant. Je préférais rester sur un point d'interrogation.

 


Cowboy


Pour moi, c'est avant tout l'histoire de ce personnage masculin qui rencontre cette femme. Si c'était l'histoire d'un couple, ils se seraient rencontrés beaucoup plus tôt dans l'histoire, et il y aurait une fin qui se rapporte à leur rencontre. Tandis que la fin se rapporte plutôt à la recherche du personnage masculin. C'est un anti-héros très romantique, qui n'est pas dans la réflexion. Il fait des choses dingues, comme embarquer cette fille en Bavière et puis, ensuite, il se dit "merde, qu'est ce que j'ai foutu ?" Il reste profondément humain tout en faisant des choses profondément héroïques. J'aime bien aussi cette figure de cowboy à la Sergio Leone, où le personnage débarque on ne sait d'où, fait ses trucs et repart, on ne sait où. Il a juste une gueule, bonne ou méchante. J'avais aussi envie d'un personnage comme ça. Ce n'est pas un prince charmant, puisque le film ne se termine pas comme dans les contes "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants", non !

 

Komma de Martine Doyen


La Belle au Bois Dormant ou La Belle et sa Bête ?

Oui ! (rires). Il y a aussi de La Belle et la Bête. Ce sont des choses auxquelles nous avons pensé à l'écriture. Mais je trouve encore que les références sont trop visibles. Quand je lis des articles qui s'articulent uniquement sur le conte de La Belle au Bois Dormant, cela me gêne aussi parce que pour moi, il n'y a pas que cela. Il y a aussi le mythe de Sisyphe, le personnage masculin. Quant à la fin, elle m'a été inspirée par un conte arabe que j'avais lu il y a super longtemps.
Enfin, tout cela pour dire qu'une histoire, quand elle s'écrit, se nourrit forcément de plein de choses. On a des petits machins éparpillés dans une boîte et puis, peu à peu, cela prend forme avec tout ce qu'on rassemble. L'amnésie, c'est le sommeil, donc La Belle au bois dormant, donc la Bavière et le château dont Walt Disney s'est inspiré pour le dessin animé. Et puis, j'ai toujours été fascinée par Louis de Bavière. J'y suis allée en été et ça m'a beaucoup plu, parce que c'était complètement à l'opposé de Bruxelles, de ce côté sombre de Bruxelles la nuit dans la première partie du film, avec un côté carte postale. Et puis l'occasion de filmer l'hiver s'est présenté et c'était encore mieux, tout était blanc et rappelait le début du film.

A la lisière du réel…

Au départ, Peter est dans la ville, dans le réel, même si ce qui lui arrive est complètement fou. Il a donc un regard subjectif sur l'extérieur, un regard de zombie sur le monde d'aujourd'hui qu'il ne comprend plus vraiment, dans lequel il surnage. Il rencontre une amnésique qui a complètement perdu ses repères. A ce moment-là, on est dans une bulle : il faut des gros plans, on perd un peu ses repères, ses repères spatiaux, on ne sait plus où on est, et puis on va en Bavière. Je me disais qu'il ne fallait pas traiter cette histoire comme un road movie avec des arrêts dans des pompes à essences, des trucs très réels. Non, il fallait que ça "splite" d'un endroit à l'autre pour qu'on perde aussi nos repères. J'avais envie qu'on se sente dans l'état des personnages puisqu'on ne raconte pas précisément leur passé. Je voulais qu'on les sente charnellement, qu'on sente qu'ils transpirent, qu'ils sont angoissés, qu'ils ne sont pas à leur aise, etc. Mon chef opérateur et moi, nous aimions beaucoup les personnages, on essayait de choper de toutes petites choses pour les rendre beaux et fragiles. Il n'y avait pas de machineries lourdes, on a tourné caméra à l'épaule. Heureusement, j'étais assez liée avec lui. Il comprenait bien ce que je cherchais. Je lui avais montréLa Trilogiede Morrissey, des films en très gros plan, en longue focale mais qui sont tournés en caméra portée. Il a bien compris ce que je cherchais et nous avons été très complice. On improvisait à deux. Je lui donnais des indications pendant qu'il filmait ;  nous allions rarement au-delà de trois ou quatre prises, sauf pour les scènes qui étaient un peu plus travaillées, un peu plus longues. Sans cette entente avec le chef opérateur, je pense que le film aurait été très difficile à faire passer, avec un scénario comme celui-là, qui ne donne pas trop d'explication. 

L'imaginaire au travail

Pour tenir le film, il fallait ôter au montage tout ce qui n'était pas de la même famille de plans et essayer d'avoir un truc cohérent quitte à ce que les gens soient un peu perdus. Je trouve ça important d'essayer de garder quelque chose de cohérent au niveau de l'esthétique, de l'image. J'aime bien quand tout est un peu lié, qu'on a le sentiment de rentrer dans une bulle et de ne plus en sortir jusqu'à la fin. C'est toujours un peu surprenant de voir l'interprétation des gens. Que les gens comblent les trous que j'avais moi-même dans la compréhension de mon travail, c'est ce qui me plaît. On a tourné en 5 semaines. Il a donc fallu que je fasse énormément de concessions et que je sucre un maximum de trucs explicatifs. Le problème, quand on fait un premier film, c'est qu'on n'est pas connu. Il faut alors un scénario béton où l'on explique tout. Cela ne me plaisait déjà pas au niveau du scénario, mais j'ai en plus dû écrire des scènes explicatives. Quand je me suis retrouvée sur le tournage, je me suis dit qu'on n'avait pas le temps, et j'ai donc sucré tout ce que je n'aimais pas (rires). Au montage, je me suis rendue compte que ça continuait dans cette voie-là, que j'avais toujours envie d'enlever ce qui était explicatif. C'était une bataille, mais je crois que c'était induit au départ dans le scénario, une envie de ne pas trop situer les choses dans le réel, d'être plus subjectif, de raconter une histoire intime ou philosophique, de pas faire avancer une intrigue avec des solutions.

 

Komma de Martine Doyen

Je l'ai rencontrée sur mon premier court métrage, elle était l'amie d'un des acteurs, et elle écrivait aussi des pièces de théâtre. Elle m'avait proposé qu'on écrive un truc ensemble. Je me suis dit pourquoi pas, d'autant plus que nous étions sur la même longueur d'onde. On a donc écrit ensemble  L'Insoupçonnable univers de Josiane et ça s'est bien passé, c'était une chouette expérience. J'ai écrit seule Noël au balcon et Pâques au tison mais j'ai choisi Valérie pour jouer dedans. Ensuite, j'ai écrit d'autres trucs de mon côté, et puis nous nous sommes revues.

Je travaillais sur un autre projet de long en parallèle, un truc plus cher, un film d'époque qui se passait dans les années 30. Ce n'était vraiment pas le moment de venir avec ce genre de projet pour un premier film. Donc, je me suis dit qu'il fallait écrire quelque chose de plus simple, moins cher, etc. Evidemment, la condition sine qua non était qu'elle joue le rôle principal. Je pense qu'écrire avec la comédienne qui va jouer dans le film est quelquechose de très difficile à la fois pour la comédienne et pour le metteur en scène. Un personnage ne sait pas pourquoi il réagit de telle ou telle manière par rapport à ce qui arrive. On ne sait jamais dans la vie. Si je sors d'ici, que je prends mon vélo, et que je vois un accident, je ne sais pas comment je vais réagir. C'est complètement spontané. J'essaie de garder l'acteur dans une espèce d'inconscience de ce qui va lui arriver et ça, je ne pouvais pas le faire avec Valérie puisqu'elle connaissait le scénario. C'était là, la difficulté : comment faire pour qu'elle reste assez vierge de tout ? On y arrivait, mais c'était difficile, autant pour elle que moi d'ailleurs. Mais c'est intéressant comme expérience.

Arno


Quand j'ai pensé à Arno, je me suis dit que cela correspondait bien à ce que je cherchais. J'avais besoin d'un visage familier. A l'écriture avec Valérie, on se disait qu'il nous fallait quelqu'un de connu, parce que c'est un personnage hors normes que nous n'allions pas expliquer. Il fallait créer une identification, et le fait que le visage de cet acteur soit familier permettait de rentrer dans la logique de ce personnage hors normes et border line. Le fait que ce soit Arno est encore mieux : ce n'est pas un acteur qui joue des rôles dans d'autres films, il est assez "vierge" de cinéma. Javais donc le beurre et l'argent du beurre : un personnage connu, dont le visage est familier et en plus "vierge" de cinéma. J'aurais pu prendre un footballeur célèbre ou Patrick Poivre d'Arvor, cela n'aurait pas fait le même film (rires) ! C'est amusant de penser qu'on peut prendre PPDA plutôt qu'un acteur ultra connu qu'on a déjà vu dans 130 000 films ! On a l'impression que tous les films français sont joués par les mêmes acteurs. C'est un peu coinçant à la longue. Quand je cherchais un acteur de cet âge-là, on me disait "Il y a Daniel Auteuil… Daniel Auteuil ou… Daniel Auteuil". J'aime beaucoup Auteuil, mais ça limite un peu.

C'est un vrai plaisir de travailler avec Arno, Edith Scob ou François Negret. Des acteurs comme ça, on les choisit parce qu'on les aime. Je connais Arno personnellement depuis quinze ans. J'avais déjà fait un clip pour lui, et quand j'ai pensé à lui, c'est devenu évident, une sorte de conviction. Tout à coup, réadapter le scénario est devenu beaucoup plus facile, tout s'éclaircissait, le film allait vers ce dont j'avais envie, c'est-à-dire qu'il devenait plus minimaliste dans les dialogues. J'avais envie de revenir vers des choses minimalistes comme mes premiers courts muets en super 8. Je tournais avec mes comédiens dans la forêt, nous étions en improvisation, complètement seuls, il y avait une intimité, j'étais souvent en gros plan.

Evolution

J'aime bien parler de ça. Je n'aime pas trop qu'on dise que j'ai complètement changé de style. Mes deux derniers courts métrages étaient des films choraux, mais les deux premiers étaient plus des visions subjectives comme dans Komma et notamment le premier, centré sur un seul personnage. Même dans mes premiers films en super 8, il s'agissait de types tout seuls, complètement perdus dans la forêt de Soignes (rires). Après ces deux courts métrages où les décors étaient super importants, où les personnages entraient, sortaient, j'avais envie d'aller à l'opposé, plus dans l'abstraction, d'essayer quelque chose d'autre. Dans ces courts métrages que j'avais fait, j'avais prévu de faire de très gros plans. J'avais envie d'une sorte de mélange de très gros plans avec des plans très larges. Mais je n'avais pas eu le temps de faire ces gros plans, qui sont des trucs plus chipotés. Pour Komma, je n'avais pas l'argent pour les décors. Si j'ai la chance de faire un film avec un peu plus de confort - pas trop de confort, parce que sinon, il y a d'autres contraintes - j'arriverai peut-être à faire ce que j'ai envie de faire, c'est-à-dire mélanger ces deux approches.

Komma de Martine Doyen

Tourner

Je suis graphiste à la base. J'ai fait plein de films super 8. Après mon premier court métrage officiel subventionné, j'ai eu envie de faire le second, puis envie de faire un long métrage, mais j'ai fait un troisième court. Là, je me suis dit qu'il serait pas mal d'en faire un quatrième qui soit une prolongation du troisième. Et puis, j'ai eu envie de faire de ces deux volets un long métrage, et j'ai perdu énormément de temps parce qu'on n'est pas arrivé à le faire.

J'ai ensuite mis 5 ans à faire Komma. Après tout un temps d'attente, on tourne finalement cinq semaines, en super 16, dans des conditions très difficiles. Il y a un décalage total et c'est très difficile à vivre pour un réalisateur. Pas tellement pour les autres qui sont pris dans d'autres tournages. Il y a un côté absurde, comme ça, difficile, mais intéressant. Pour un réalisateur, il vaut mieux tourner qu'attendre. C'était peut-être bien avant, quand 35 premiers films se faisaient tous les ans mais grâce au numérique, ce n'est plus le cas. Je trouve ça très bien que des types comme Vincent Lanoo ou Joachim Lafosse ne soient pas dans l'idée de faire un chef-d'œuvre et de mettre dix ans pour le faire : c'est débile, ça use. Si on a envie de faire un long, il vaut mieux le faire tout de suite.

Pour un réalisateur, c'est plus intéressant de se frotter à un truc difficile tout de suite. D'autant plus que les moyens plus légers le permettent aujourd'hui. C'est pour ça qu'au niveau des aides, il faudrait plus de facilités pour faire des longs low budget plutôt que de donner autant d'argent aux courts métrages, ou en tout cas, avoir une poche d'argent pour faire des films moins chers. On est dans le règne du scénario, on nous pousse à écrire des scénarios plus ficelés, alors qu'il faudrait peut-être revenir à des moyens très simples de faire des films, des toutes petites équipes.

Tout à propos de: