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Rencontre avec Marc Didden à l'occasion de sa carte blanche à la CINEMATEK

Publié le 05/09/2019 par Constance Pasquier et Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Quel beau cadeau pour le septuagénaire Marc Didden de se voir offrir non seulement une carte blanche mais aussi un cycle à la CINEMATEK du 8 septembre au 14 octobre. Quatre longs-métrages ont suffi à faire de ce réalisateur une figure emblématique du cinéma belge notamment grâce à son film Brussels By Night. Réalisateur donc, mais aussi professeur à l'école Sint-Lukas, scénariste, documentariste, journaliste, traducteur, script doctor, Marc Didden est incontestablement un vrai cinéphile qui nous a concocté une sélection d'une petite vingtaine de films à (re)découvrir ! Des films à lui et ceux de ses figures de proue.

Cinergie : Qu'est-ce que cela vous fait d'avoir déjà votre hommage à la CINEMATEK ?
Marc Didden : C'est très agréable. Quand on me l'a annoncé, je me demandais si je le méritais car je n'ai pas fait beaucoup de films. Pour faire une rétrospective, il faudrait choisir les meilleurs dans une grande série. J'ai fait uniquement quatre longs-métrages sous mon nom. J'ai beaucoup aidé mes amis dans l'écriture et je suis présent dans des dizaines de films sans être dans le générique. Ce sont des films réalisés par des ex-étudiants à moi qui me demandent des conseils, de relire le scénario.

J'étais très content. En plus, c'était un cadeau d'anniversaire. J'ai eu 70 ans cet été et j'avais dit que je ne voulais rien du tout. Mais, en parlant aux gens de la CINEMATEK, j'ai mentionné cela et ils m'ont proposé une carte blanche qui me faisait déjà plaisir car je suis aussi un éducateur et j'aime transmettre des choses. J'aime que les jeunes s'intéressent aux productions actuelles mais je voudrais qu'ils sachent aussi que d'autres personnes ont réalisé de belles choses dans le passé. J'aime être un passeur. Quand j'étais prof, je n'ai jamais dit qu'il fallait faire comme ceci ou comme cela. Je leur demandais ce qu'ils voulaient faire et je les conseillais en citant des réalisateurs ou réalisatrices qui avaient déjà abordé le sujet précédemment.

Pendant la première discussion avec la CINEMATEK au sujet de la programmation, on m'a dit que je pouvais choisir entre 15 et 20 films mais pas plus. J'ai choisi 17 films, mais on m'a proposé de montrer mes films. Je ne voulais pas les choisir et c'est moi qui leur ai donné carte blanche pour mes films. Ils ont fait un très beau choix et ont même choisi des films que je n'avais jamais vus, par exemple, un film que la VRT a fait sur moi. Ils ont aussi choisi des films dont j'avais fait le scénario ou que j'avais coécrits pour lesquels je n'avais assisté qu'à la première et que je vais revoir après 10 ou 20 ans.

Sur les films que j'ai faits, il y en a que j'aime moins car je me dis que je ne les ai pas bien réalisés. Quand on parle de moi, on mentionne souvent Brussels by night, qui est un film qui a une certaine renommée, qui a circulé dans les festivals internationaux, qui était presque à Cannes mais il avait déjà été montré à San Sébastian, donc c'était impossible par rapport au règlement. C'est un film que j'ai pris beaucoup de plaisir à réaliser et que j'ai fait très innocemment. Je ne savais pas qu'il allait exister, on l'avait fait en pensant qu'on allait seulement le montrer une fois aux amis. Il n'était pas monté comme un vrai film.

C'est Sailors don't cry qui sera présenté le 8 septembre. C'est un film que beaucoup de gens détestent car il est trop gentil, trop poétique. Selon certains, il est trop beau par rapport à l'image que les gens avaient de moi. C'est un film d'amour que j'ai beaucoup aimé faire car c'était mon troisième et je connaissais déjà un peu le métier, j'étais à l'aise sur le plateau. Istanbul, mon deuxième film, était plus complexe au niveau de la production mais finalement je ne trouvais pas que c'était un mauvais film lorsque j'ai dû le revoir pour la version DVD.

Pour Sailors don't cry, je repense au tournage, en été, sur une plage à Rotterdam, une plage naturelle, entre deux ports, qui n'est pas exploitée. On a fait ce film comme si c'était un film de studio. C'est un film qui me tenait beaucoup à cœur et je me suis toujours dit que les gens qui le détestaient me détestaient aussi par la même occasion car ce film, c'est moi.

 

C. : Et ces deux films sont assez similaires dans leur thème lié à l'incapacité de faire des choix.
M.D. : C'est un peu mon attitude envers la vie, je ne suis pas quelqu'un qui prend de grandes décisions. Je n'ai pas acheté de maison, je n'ai pas d'enfant. Pour cela, je me sens un peu différent des autres sans pour autant faire quoique ce soit de spécial. On fait souvent le même film quand on est cinéaste. Je remarque cela souvent chez certains auteurs qui veulent dire des choses avec leur caméra. Le personnage mal ajusté, qui a peu d'ambition est récurrent chez moi. J'aime rencontrer des gens qui veulent juste vivre sans avoir spécialement d'ambition. J'aime les gens qui ne veulent pas être admirés, des hommes sans visage.

 

C. : Est-ce que le succès de Brussels by night vous a paralysé dans votre créativité ?
M.D. : J'ai eu ce sentiment. Quand le film est sorti, beaucoup de gens ont aimé. Les critiques étaient à 85% bonnes. J'ai eu beaucoup de chance car il a été montré partout dans le monde, j'ai voyagé grâce à ce film. Je suis allé dans des endroits où on n'entre jamais comme la bibliothèque de Washington, à Paris, à Londres, à Berlin, etc. Cela m'a fait très plaisir et tous les gens reconnaissaient ce film comme étant un film de chez eux. Quelqu'un à Barcelone regrettait que cela s'appelle Brussels by Night car il pourrait se passer n'importe où. Mais, c'est aussi un poids autour du cou de se promener avec un film qui a du succès. Un écrivain flamand a dit que le premier livre qu'on écrit est comparé à rien du tout. On le juge sur ses mérites. Par contre, le deuxième livre, on le compare au premier. Je trouve cela normal. Pour Istanbul, on m'a aussi proposé d'aller dans les festivals mais je n'avais pas envie. Je n'ai jamais aimé le côté commercial du cinéma. J'ai de mauvais souvenirs en festivals où j'étais stressé lors de la projection, où il fallait toujours répondre aux mêmes questions. J'avais peu de plaisir à défendre mes films, discuter, expliquer, voyager, etc.

 

C. : Mais vous n’en avez pas beaucoup réalisé.
M.D. : J'en ai fait 4 en 10 ans, ce qui est beaucoup. Après, j'ai arrêté. Je suis aussi quelqu'un d'un peu apatride. Je ne suis pas dans la communauté française et je ne suis pas flamand car je ne vis pas en Flandre. J'habite au centre de Bruxelles, je suis bruxellois d'expression néerlandaise. Je ne suis pas contre le flamand ou les Flamands mais je ne dis pas que je suis flamand parce que ce serait faux. Je n'ai jamais vécu en Flandre. Je suis entre deux chaises et pour monter un film, c'est difficile de trouver un financement. Il faut se mettre à genoux et demander de l'argent un peu partout. C'est vraiment un parcours du combattant de trouver de l'argent, de s'organiser, de constituer une équipe. Monter un film, c'est aussi une sorte de jeu, il faut connaître les codes, savoir à qui on doit s'adresser. Pour un film commercial, c'est le producteur qui se charge de tout cela mais dans mon cas, les gens veulent me rencontrer pour que je leur explique et je n'aime pas ça. J'ai co-financé mon premier film en demandant de l'argent à ma famille.
C'est cet aspect-là qui m'a fait arrêter mais aussi mon corps. Il faut être en forme pour faire un film. C'est une sorte de sport de haut niveau. J'ai eu des problèmes de santé vers 50 ans. Je pourrais faire des films chez moi, mais je n'ai plus la force de supporter le calvaire qui est autour.

 

C. : En tant que spectateurs, on est frustré car on a vu de très beaux films que vous avez réalisés et on en aurait voulu en voir d'autres.
M.D. : On n'a qu'une vie. C'est vrai que j'ai écrit beaucoup de scénarios qui n'ont jamais été filmés. Récemment, j'ai nettoyé mon grenier et j'ai trouvé une quinzaine de scénarios écrits depuis les années 1980 et qui n'avaient jamais été acceptés même si j'y croyais vraiment en les écrivant. C'est vrai que je n'ai pas souvent eu la force de me lancer à cause de ma santé, c'était plus difficile que je le croyais.

J'ai eu une drôle de sensation pour mon dernier film, Mannen maken plannen. Je ne le sentais pas, dès le premier jour. On a tourné le jour où ma mère a été enterrée et ce film devait être une comédie. Or, pendant le tournage, j'ai toujours été triste. J'aurais dû arrêter le tournage mais mon producteur ne voulait pas car tout était organisé. C'est comme un TGV qu'on ne pouvait plus arrêter. Je me sentais mal dès le premier jour mais on a quand même fait ce film. Certains fragments sont réussis mais je ne le sentais pas. Et, en Belgique, il y a cette règle qu'on vaut autant que son dernier film. Après un film qui n'a pas marché, que j'ai mal défendu, c'est difficile de demander de l'argent pour un autre projet. Les Belges francophones peuvent avoir parfois de l'aide de la France mais pour les Flamands c'est vraiment difficile d'avoir l'aide de la Hollande où le cinéma est en crise.

J'ai eu plus de plaisir en écrivant avec Dominique Derrudere Crazy Love. On n'a même pas pensé à l'argent. On s'était installé à la mer, on avait acheté un petit magnétophone, on a parlé, parlé puis on s'est retiré, on a écrit la même scène tous les deux et au petit-déjeuner on se la lisait et on se donnait des points. C'était un plaisir et il n'y avait aucune responsabilité de ma part pour chercher de l'argent. C'était la même chose avec d'autres films avec Dominique et Frank Van Passel. Quand la période d'écriture est terminée, je suis disponible s'ils veulent que je réécrive une scène mais les soucis sont finis.

Je ne suis pas triste car j'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, j'ai écrit des livres, j'ai été enseignant. J'ai beaucoup appris de mes étudiants et je n'avais rien à apprendre à certains. Lors de nos discussions, essentiellement tournées vers la vie, on re-voyait leur scénario initial pour l'améliorer. J'ai aussi fait des traductions, j'ai aussi été script doctor, j'ai fait du journalisme.

 

C. : Vous avez aussi réalisé un documentaire, Dikke Vrienden, dans lequel vous abordiez le sujet de l'obésité.
M.D. : La VRT avait fait un appel à projets pour la série TABOU. Il y avait beaucoup de propositions comme l'homosexualité dans les pays de l'Islam, l'autisme, etc. Il y avait de l'argent pour 10 épisodes. J'ai écrit sur ce qui me gêne le plus dans ma vie : l'obésité. Je voulais parler de 3 niveaux : le niveau personnel, le niveau médical et le niveau historique. J'ai trouvé les personnes parfaites pour parler de ça et la VRT a directement accepté mon projet. Je voulais aussi "mettre mon poids" dans ce film que j'aime notamment parce que 80% des images sont faites par d'autres.

J'ai aussi fait un documentaire de 7 minutes sur toutes les rues dans lesquelles j'ai habité dans la ville, Musée sentimental. Canvas, la deuxième chaîne de la VRT, m'avait dit que j'avais droit à 7 minutes et à 7000 euros. J'ai pris un caméraman, Jonathan Wannyn, et je me suis promené dans les 14 maisons et rues dans lesquelles j'avais vécu pour prendre des photos. Ensuite, j'en ai choisi 7 et je voulais que le film soit en noir et blanc. En deux jours, on s'est promené à pied et on a filmé et j'ai ensuite écrit des phrases clés sur les maisons choisies. Ensuite, on a monté et j'ai fait appel à un ingénieur son, Kwinten Van Laethem, à qui j'ai laissé carte blanche. C'est un de mes films préférés car il correspond aux films que je veux faire de manière simple. Je pense que je vais peut-être faire des films chez moi sans moyen, comme Alain Cavalier.

 

C. : Sur les 17 films que vous avez choisis pour la carte blanche, quel est celui que vous voulez épingler ?
M.D. : Ils sont tous là pour une raison mais je voulais surtout que les gens viennent voir des films qu'ils ne connaissent pas. Celui que je choisis c'est Le jour se lève qui m'a beaucoup impressionné la première fois que je l'ai vu. Il y a Jean Gabin qui n'appartient pas vraiment à mon univers à l'époque mais mes parents l'admiraient beaucoup et j'en ai fait un homme spécial pour cette raison. Déjà jeune, j'étais passionné par les dialogues, qui faisaient défaut en Belgique, et ceux de Jacques Prévert m'ont séduit. Je me demandais si ce film allait vieillir mais ce n'est pas le cas grâce aux décors, à la caméra, aux acteurs. Il me surprend à chaque vision.

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