Il y a des maisons de production que nous aimons suivre. Même si les films qu'elles produisent ne sont pas toujours parfaits, elles ont une ligne éditoriale ou des coups de cœur qui nous séduisent. Tarantula nous avait déjà séduits avec ses prises de risques en produisant La Cantante de Tango de Diego Martinez Vignatti, My Queen Karo de Dorothée Van Den Berghe ou, plus récemment, L'Hiver Dernier de John Shank. C'est donc de gaieté de cœur que l'équipe de cinergie s'est rendue sur une journée de tournage de Mobile Home, le premier long métrage de François Pirot. De superbes images ont été prises, tant animées que fixes, et un sentiment d'une belle équipe pleine d'enthousiasme flottait encore dans nos souvenirs lorsque nous avons rencontré le réalisateur, quelques mois plus tard, devant sa table de montage. Une rencontre chaleureuse s’il en est.
Sur le tournage de Mobile Home de François Pirot
Cinergie : Lorsque nous sommes venus sur le tournage, vous tourniez une scène dans un garage. Pourriez-vous nous expliquer le contenu de cette scène ?
François Pirot : Le garage, c'est le début, non pas du film, mais du voyage immobile. À ce moment-là, le camping-car des deux personnages vient d'être accidenté, et ils décident de faire la première étape sur place, plutôt que de reporter leur voyage. C'est le moment où Simon, un des personnages de l'histoire, ayant caché l'achat du camping-car à ses parents, se fait surprendre par eux, juste avant de partir. Il s'en suit une course-poursuite au milieu des bois dans des petits chemins sinueux. Le camping-car est accidenté, ils doivent le réparer avant de partir. Mais ils n'ont plus d'argent. Pour le trouver, ils décident non pas de post-poser le voyage, mais de faire des petits boulots, comme ils avaient prévu de le faire. Ils vont aller travailler dans une pépinière, en Ardenne, tout en s'installant dans le camping-car, immobilisé dans le garage.
C.: C'est donc un road-movie qui fait du surplace.
F. P. : C'est ça. On ne peut pas dire qu'ils ne démarrent pas vraiment, parce qu'ils vivent de la façon qu’ils avaient imaginée, c'est-à-dire, à deux, dans ce camping-car, en faisant des boulots saisonniers. Le seul problème, c'est qu'ils n'ont même pas fait dix kilomètres. C'est le principe narratif du film, le traiter comme un road-movie, mais qui ne démarre pas vraiment; si ce n'est à la toute fin du film.
C. : Pourriez-vous nous expliquer comment vous est venue l'idée de tourner cette séquence dans ce vieux garage.
F.P. : Ce sont les hasards du repérage et l'avantage de travailler avec des personnes extérieures pour la recherche de lieux de tournage. Je crois que pour cet endroit, c'est Christophe Hermans qui a trouvé le lieu. Dans mon idée, je voyais un petit garage familial, de village. Mais il m'a proposé cet endroit, qui est un garage des années 60 pour camions, très vaste, avec de grandes baies vitrées, qui a un côté vieillot, et qui donnait cette dimension road-movie au film. C'est le genre de situation qu'on ne s'imagine pas du tout à l'écriture du film, et qui s'avère être encore mieux. Dès l'écriture du film, je cherchais à mettre en relation les personnages, le camping-car et le décor qui les entoure pour créer une espèce de décalage ironique entre ces personnages dans le camping-car et les endroits qui ne correspondent pas nécessairement à leur situation. Par exemple, ils vont passer plusieurs jours installés sur le parking du garage, le long d'une nationale, plutôt que dans un endroit idyllique auquel ils avaient rêvé.
C.: On vous avait rencontré sur le tournage, maintenant vous êtes en montage. Quel est votre point de vue face à cette étape ?
F.P. : Chaque étape du film est une réécriture, et c'est d'accepter cela qui est agréable. En effet, le scénario était assez construit, puisque j'ai eu beaucoup de temps pour l'écrire. J'arrivais sur le tournage avec une base narrative assez solide, ce qui m'a permis, au stade des répétitions, de revisiter les situations ou les dialogues. Il y a eu vraiment une réécriture. J'aurais voulu faire ce travail plus tôt dans le processus, au moment où j'écrivais, plutôt qu'attendre les répétitions. Pour le repérage aussi : parfois les lieux choisis peuvent modifier l'agencement de l'histoire. En fait, l'histoire se réécrit avec le choix des lieux, le choix des comédiens par exemple, qui donnent une couleur différente à votre histoire. Et le montage, évidemment, qui est une véritable réécriture, chose dont on se rend déjà compte sur un court métrage, mais sur un long, encore plus. La marge de manœuvre de réécriture est plus large. Il faut essayer de ne pas s'accrocher au scénario et rester ouvert à tout ce qu'on peut modifier. La belle improvisation part d'un socle solide. Si on cherche encore le socle sur le tournage, cela peut donner de bons résultats, mais c'est comme aller à la pêche... C'est aléatoire.
C.: Comment as-tu fait ton casting ?
F. P. : Je savais que le casting allait être un des enjeux particulièrement importants. Narrativement, il y a quelque chose de fragile dans ce film, c'est un road-movie qui fait du surplace, et pour que ça marche, il fallait une espèce d'énergie au sein de chaque scène, indépendamment du récit global. Il fallait que ce qui se passe entre les deux personnages principaux soit suffisamment vivant pour que ce parti-pris narratif sur le fil puisse tenir. J'ai vu beaucoup de comédiens, comme toujours, et puis j'ai rencontré séparément les deux acteurs, Arthur Dupont et Guillaume Gouix, et coïncidence heureuse, ils sont amis dans la vie. Dès la première lecture, cela a tout de suite pris entre eux, cette connivence déjà établie dégageait quelque chose de très fort.
C. : Tu as déjà réalisé deux courts métrages, tu passes aujourd’hui au long. Qu'est-ce que ça change ?
F. P. : Il n'y a pas vraiment de différence dans le travail, mais une pression plus forte car les enjeux financiers et humains et le temps qu'on y passe sont beaucoup plus importants. Avec le long métrage, on arrive dans une dimension que je ne connaissais pas, celle du marché d'un film. On a quelque chose de nouveau à gérer. Un long métrage, c'est à la fois quelque chose d'artistique et un « produit » qui correspond à un certain marché. C'est cela qui est le plus difficile, c'est garder ses intentions tout en acceptant cette dimension liée à l'argent. Et puis, faire un long, c'est se jeter à l'eau. On a l'impression qu'on court après le train, on ne maîtrise plus grand-chose. C'est grâce aux collaborateurs qui nous entourent qu'on y arrive, par leur qualité, leur professionnalisme, et leur soutien.
C. : Quels sont les films qui t'ont inspirés ?
F. P. : Il y a beaucoup de type de cinéma que j'adore, et des cinéastes que j'adore, mais je suis incapable de faire ce genre de film. Il y a les films de référence, qu'on aime, et les films qu'on a envie de faire. Moi, ce que j'aimerais faire, c'est raconter de « petites » histoires, de personnes qui appartiennent à la classe moyenne, qui n'ont pas une vie exceptionnellement différente et arriver malgré tout à rendre cela cinématographique. La littérature américaine contemporaine m'inspire beaucoup. Ce sont les écrivains qui se sont intéressés à la classe moyenne, à des histoires de familles, d'anti-héros, dans de petites villes de province, sans chercher des sujets graves ou exceptionnels... Ils sont parvenus à le faire parce qu'ils ont une certaine ironie, une certaine tendresse ou une certaine distance vis-à-vis de leurs personnages, mais pas de froideur. Il y a un cinéaste que j'adore qui a presque toujours fait le même film, c'est Ozu. Il parle de petits drames familiers ou familiaux, de gens qui n'arrivent pas à quitter leurs parents, d'autres qui ont l'impression d'être passé à côté de leur vie...
C'est quelqu'un qui me rassure beaucoup, parce que même si ses scénarios sont très bien construits, il a osé s'attaquer à des situations a priori pas cinématographiques et a réussi à faire des films magnifiques. Ou Robert Altman, avec son film Short Cuts, d'abord parce que j'adore les romans de Raymond Carver, mais aussi parce que je trouve que c'est une des plus belles adaptations que j’ai jamais vues. Il filme des situations difficiles, des divorces, la mort d'un enfant, mais il arrive presque à en faire une comédie tout en prenant au sérieux la douleur de ses personnages. Par sa forme, sa distance, par son énergie, il en fait quelque chose de léger. Idem avec Cookie's Fortune, qui aurait pu, dans son thème, être un film très noir, avec une vielle dame qui se suicide, dans un contexte de ségrégation raciale, etc. Et en fait, il en a fait une comédie. J'adore ce type d'humour, qui n'est pas un humour franc, mais malicieux, où on sourit des personnages tout en restant dans un certain réalisme.