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Voyage autour de ma chambre d'Olivier Smolders

Publié le 02/12/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Dès l’avant-propos qu’il a consacré à son livre intitulé La Part de l’ombre, Olivier Smolders nous explique que « les plus beaux films sont ceux qu’on imagine sans les avoir jamais vus ». Est-ce là le sujet de Voyage autour de ma chambre ? En partie, puisque dès le générique, le réalisateur, en voix off, nous dit : « Au mouvement, préférer l’immobilité, à la parole, le silence, se retirer dans sa chambre plutôt que de bouger ». 

Voyage autour de ma chambre d'Olivier Smolders
Voyage autour de ma chambre nous propose un espace imaginaire, en voix off, qui renvoie au regard d’Olivier Smolders sur les différents espaces que son corps a pu vivre.
L’Afrique parce qu’il y est né, une « terre où le hasard a voulu que je voie le jour » et qui lui apprend à « désapprendre ses mythes intérieurs », l’Amérique, l’Asie.
Ces coupes mobiles d’images en mouvement, ces impressions confuses de l’apparence du monde, avec les oreilles remplies d’une musique infatigable et avec les yeux éblouis de couleurs picturales, le réalisateur nous les transmet en solarisant ses séquences. L’image n’est pas nécessairement le double du mouvement perpétuel de l’imagerie visuelle.
Un élément créatif proche de la peinture, un art qu’il rapproche du cinéma, pour autant que les fragments narratifs soient davantage présents que le récit (Mulholand Drive de David Lynch) et avec l’arrivée de la technologie numérique (la caméra HD pour Smolders). Celle-ci, comme l’a souligné Victor Erice (Le Songe de la lumière), permet de retravailler l’image lors du montage et peut se rapprocher de la peinture impressionniste.
Capturer le monde en images est loin d’être un geste innocent. À Florence, Olivier Smolders nous montre des milliers de touristes, de toutes les nationalités, photographiant les peintures de la Renaissance ou la statue de Michel-Ange. Et, aussi, celle de Persée, qui tient dans sa main gauche la tête décapitée de la méduse d’où s’échappent des serpents, métaphore du sexe maternel.
 
Dans Mort à Vignole, à Venise, Olivier Smolders, en quittant le cimetière, découvre une salle de dissection où gisent des corps émanant du formol. « Filmer des morts, c’est commencer à dominer sa peur. Non pas celle de mourir ou de voir mourir, mais celle d’imaginer qu’on puisse être abandonné par un corps qui ne veut plus de nous et qui se défait, nous laissant plus seuls encore que nous ne l’avons jamais été » (2). 
Voyage autour de ma chambre nous emmène dans une galerie exposant des corps issus d’une dissection, sortes d’anatomies peintes en couleur, un peu à la manière des peintures flamandes qui exposent le tableau de Vésale. 
On passe de l’indice de la réalité (Mort à Vignole) à sa représentation via l’art créatif de la statuaire (Voyage autour de la chambre).
Le corps, donc, comme expression de la vie et de la mort. L’un des grands sujets de l’histoire de l’art. « C’est là que se concentre le mystère de l’existence, de l’âme. Sommes-nous quelque chose sans notre corps ? Le cinéma est passionné par les corps depuis toujours. Filmer l’autre, ça commence par filmer le corps de l’autre ».
La splendeur de Voyage autour de la chambre n’est pas seulement d’épouser la ligne de fuite de l’existence, mais de nous montrer dans un imaginaire pictural la beauté du monde.

(1) Serge Daney : « La voix off, c’est le chant des sirènes du cinéma. Son grain peut rendre fou, sa séduction est immense ».
(2) Olivier Smolders, La part de l’ombre, éditions Les Impressions Nouvelles

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