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Sur le plateau de Tango libre (ex-Quartier libre) de Frédéric Fonteyne

Publié le 01/10/2012 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Apprenant la mise en chantier du dernier projet de Frédéric Fonteyne, nous étions tout émoustillés. Enfin ! Après Max et Bobo, l'inoubliable Liaison pornographique et la Femme de Gilles, nous voici sur les fondations de Quartier libre. Bardés de nos caméras, dossier de presse, notes d'intentions et même, pour l'occasion, de la camionnette du caméraman de la Cinémathèque de la Communauté française, Géraud Vandendriessche, nous sommes en grand renfort sur une des étapes du plateau, à Anderlecht, dans un entrepôt comme il y en a dans les environs de la gare du Midi. Pour notre plus grand bonheur, la production, (Sylvie d'Artémis), nous a réservé une journée où tout les protagonistes sont réunis : Sergi Lopez, heureux comme un poisson dans l'eau, Jan Hammenecker, concentré sur son travail, François Damiens, sérieux comme on n'a pas l'habitude de le voir, David Murgia, un jeune homme qui promet, et Anne Paulicevich, la reine, autour de qui toutes ces abeilles virevoltent, et, dans son giron, le très jeune Zack Chasseriaud, que nous allons bientôt découvrir dans Les Géants de Bouli Lanners. Emportés par l'enthousiasme du plateau, on se prend au jeu, et plaçons, devant nos caméras et micros, le monteur qui travaille sur place, Ewin Rijckaert, les comédiens, et même Frédéric, qui prend le temps de nous recevoir. Travail fructueux et réjouissant mené à bien grâce à la complicité de toute l'équipe de Quartier libre, et, en particulier, de Manu Kamanda, 1er assistant, que l'on remercie pour sa sollicitude. Ah que c'est agréable d'être accepté et encouragé dans son travail ! Ce fut une journée comme on les aime, gravée et magistralement orchestrée par Arnaud Crespeigne. La preuve sur notre vidéo...

Frédéric Fonteyne, réalisateur

C'est mon quatrième film. C'est le film de la maturité, ça veut dire que je prends beaucoup de risques. C'est un film très difficile que j'avais envie de réaliser avec une famille d'acteurs que j'aime énormément. Je travaille avec ma femme, Anne, avec Sergi et Jan, avec qui j'ai déjà travaillé, et avec François Damiens, que je rêvais de faire jouer. Alors, il faut s'imaginer ce que c'est que de travailler avec sa propre famille : c'est tout, sauf simple ! Mais c'est miraculeux d'avoir réuni ces gens-là pour faire ce film-là. Moi, j'ai un énorme plaisir à retrouver des acteurs avec lesquels j'ai travaillé, avec cette alchimie en train de se créer. Quartier libre est une histoire de famille, celle créée par Anne, Jan, Sergi et Zack et François. Quand je suis allé voir Sergi, Jan et les autres pour leur proposer ce film, ils m'ont répondu: « Mais pourquoi tu veux faire ce film, juste parce qu'on est potes ? ». En écrivant cette histoire, avec Anne Paulicevich, ma compagne qui joue dans le film et est la co-scénariste avec Philippe Blasband, je me suis inspiré de ce que mes comédiens sont devenus. Je suis allé revoir ce que Sergi et Jan avaient fait entre temps.


Cinergie : Une liaison pornographique est une histoire de couple, la Femme de Gilles met en scène un trio, avec Quartier Libre, ils sont 4.
Frédéric Fonteyne : Exactement, et même, pour être plus exact, ils sont 5, si tu comptes le fils. C'est un film qui, comme tous les films que j'ai faits jusqu'à présent, parle de l'amour, mais sur le ton de la tragi-comédie, (que j'avais déjà approché dans Max et Bobo) : un ton surréaliste, un peu belge. C'est un film que je suis super heureux de tourner, mais qui me fait très peur, parce que, l'expérience faisant, je sais qu'il est possible de passer à côté de ce ton-là.
Je n'ai pas encore d'enfant, j'ai très envie d'en avoir un, et ce film, c'est comme un enfant, il est trop important pour moi, j'ai peur qu'il tombe, qu'il se casse. Bizarrement, je suis terriblement disponible, et je sens qu'il y a une alchimie, je sens qu'il y a une fusion sur ce plateau, mais je suis tendu parce que je ne veux pas rater la moindre scène ! Je peux dire que lorsque je regarde les rushes, je suis heureux, encore plus surpris du résultat, pas seulement par mes acteurs, mais par mon autre famille avec laquelle je travaille depuis des années : Virginie Saint-Martin, Rémon Fromont, Manu Kamanda, Carlo Thoss... On est comme une équipe de jazz, on cherche ensemble.

 

C. : Ton monteur travaille également en même temps sur le tournage, c'est la première fois que tu travailles de cette façon?
F. F. : Non, je l'ai fait pour Une liaison pornographiqueet pour la Femme de Gillesaussi.
C'est intéressant, il fait déjà des tentatives, des propositions, mais c'est surtout pour nous, pour l'équipe, une façon de voir si ce qu'on a imaginé fonctionne. Dans cette séquence par exemple, on est dans le nœud du film; les parloirs où tous les personnages sont réunis. C'est un film où on passe sans cesse du point de vue d'un personnage à l'autre, c'est terriblement complexe et le montage nous aide à voir si ce qu'on a donné comme matière est suffisant.

 

C. : Tu tournes à l'américaine, avec plusieurs caméras?
F. F. : Oui, j'ai deux caméras. Je travaille beaucoup en improvisation avec les acteurs. On part du texte et sa dramaturgie, mais je leur laisse la liberté d'improviser. Alors si tu veux chopper quelque chose qui apparaît une première fois en improvisation, il me faut ces deux caméras, l'une sur un personnage dans l'axe du regard, et l'autre, sur l'autre personnage, en profil, et j'inverse le système. Avec une seule caméra fixée sur un personnage, si l'autre a inventé quelque chose dans sa réaction, je le rate. Mon rêve, mais c'est impossible de le faire ici, c'est de faire un champ-contrechamp total. J'ai trouvé ce système qui me donne au moins la possibilité de voir la réaction du partenaire pendant l'improvisation et de pouvoir filmer les deux en même temps.

 

Ewin Rijckaert, monteur

Monter pendant le tournage tout en étant sur le plateau me permet de préparer le terrain pour la suite. Pour Frédéric, cela lui permet de voir comment son film prend forme, et de pouvoir aller plus loin dans la recherche de la mise en scène. Très vite, on peut voir si des séquences ne marchent pas, et donc intervenir. Comme on passe une grosse semaine sur un même décor, on a toujours la possibilité de tourner des axes qui manquent ou qui ne fonctionnent pas.


Cinergie : Fut un temps où on préconisait la virginité du regard du monteur. N'est-ce pas contradictoire ?
E. R. : Je ne me sens pas moins critique parce que je suis présent sur le plateau. Même si je vois comment les plans se tournent, je garde quand même un regard extérieur. Par exemple, hier, j'ai regardé un bout de film avec Véronique Sacrez, la décoratrice, et de notre discussion en est sortie, pour ma part, une autre façon d'envisager certains détails du film.

 

C. : Est-ce qu'il faut être plus expérimenté au départ pour pouvoir se permettre de faire le montage sur le plateau ?
E. R. : Peut-être. Le fait d'avoir fait plein de films dans le schéma classique m'a permis d'avoir ce recul. Bien qu'en y pensant, en début de carrière, j'ai monté pas mal de films de fin d'études de Sint Lukas, et pour certains, j'étais script aussi, mais cela n'empêchait pas que, lors du montage, ce sont les images que j'avais dans l'ordi qui étaient ma matière de travail, et non pas ce que j'avais vu sur le plateau.

 

C. : Avec qui revoyez-vous les images du montage ? Uniquement avec Frédéric ?
E. R. : Non, avec Manu aussi, Virginie, Charles, le script. Hier, comme je disais, avec la décoratrice. Mais cela dépend des réalisateurs. Ils n'ont pas tous la confiance nécessaire pour montrer les premiers « ours » à leur équipe quand on est vraiment à un stade très peu avancé. Mais Frédéric a autour de lui une équipe qui se connaît, et moi aussi, je n'ai pas peur de montrer mes premières esquisses.

 

Sergi Lopez, comédien


Cinergie : On vous voit de plus en plus sur les films belges, on imagine que cela vous fait toujours autant plaisir.
Sergi Lopez : Bien sûr, et d'autant plus qu'ici, c'est à nouveau avec mon ami Frédéric Fonteyne, avec qui j'ai déjà tourné Une liaison pornographique. Retrouver Manu (Kamanda), Virginie (Saint-Martin), Philippe Blasband, etc., c'est retrouver une de ces espèces de familles bizarres qui se font dans le cinéma.

 

Cinergie : D'autant plus que pour Frédéric et vous c'est ce même film qui vous a fait connaître auprès du public belge. Se retrouver pour partager une autre expérience ensemble, cela doit être certainement plus marquant ?
S. L.
: C'est tout à fait ça ! Une liaison pornographique est encore très présent dans nos souvenirs. Ce film nous a beaucoup marqués. On a tous l'impression de continuer une vie qu'on avait déjà commencée, il y a quelques années, quand on était plus jeune, et de reprendre un bout de vie ensemble.

 

C. : Quels sont les aspects communs dans ces deux films ?
S. L. : Il y a de l'humour tout en n'étant pas une comédie pure. L'humour n'est pas traité comme un objectif, un but en soi. Il y a aussi beaucoup de mystère, de questions autour de l'amour; qu'est-ce que c'est d'aimer; pourquoi, comment, combien on peut aimer, qu'est-ce que c'est une famille ? Qu'est-ce qui fait qu'on est ensemble ?

 

C. : Pouvez-vous parler de votre personnage ?
S. L. : Mon personnage, comme moi, a un accent. Il a aussi une boucle d'oreille, et s'appelle Fernand. C'est un des hommes d'Alice, même s'il pense qu'il est le seul. C'est un personnage qui a un côté sanguin, avec une forte personnalité, un fort caractère. Il est entouré de personnes qui s'aiment beaucoup, trop, à tel point que ça fait un peu mal tellement ils s'aiment.

 

C. : Votre personnage a un accent, mais en fait, dans ce film, les trois personnages principaux ont un accent. Ne croyez-vous pas que votre participation dans le cinéma français a ouvert les portes d'un cinéma francophone à des comédiens non-lisses, hors normes ?
S. L. : Je ne crois pas que c'est de ma responsabilité, mais je crois que c'est dans le ton d'aujourd'hui. Dans le temps, dans les écoles de théâtre, on essayait d'enlever les accents, mais c'est bête, car tout le monde a un accent, on a tous un passé, on vient tous de quelque part. Mais on l'accepte plus facilement aujourd'hui qu'il y a cinquante ans.

 

Jan Hammenecker, comédien

inergie : On vous connaît depuis Max et Bobo, mais depuis, on vous voit énormément dans des films français et francophones. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Jan Hammenecker
: Ben, on m'a demandé et j'ai accepté ! C'est vrai qu'au début, en France, j'avais très peur d'être un Flamand parlant français et de maîtriser moins bien la langue française. Mais cela peut aussi être un atout ! Des films comme Quand la mer monte avec Yolande Moreau, ont ouvert des possibilités insoupçonnées. Un film comme La Merditude des choses, un film flamand qui a eu un succès fou en France, laisse des perspectives inattendues. Je crois que le cinéma d'auteurs français est intrigué par l'esthétique du cinéma belge, et c'est peut-être pour cela qu'il accepte plus facilement des comédiens belges, flamands ou pas.

 

C. : Vous avez connu Frédéric Fonteyne dansMax et Boboet vous le retrouvez maintenant, après qu'il ait réalisé un beau succès,Une liaison pornographique, et La Femme de Gilles. Comment se passent ces retrouvailles ?
J. H.
: On a mûri ! En fait, je ne sais pas si on a mûri, mais on a vieilli, c'est sûr. Frédéric restera toujours quelqu'un de particulier pour moi, parce que c'est le premier à m’avoir fait confiance en me donnant le rôle de Bobo. Sur ce film, c'était la première fois pour presque tout le monde; pour lui, pour moi, pour la chef op', Virginie Saint-Martin. Et, il n'y a rien à faire, comme comédien, tu as besoin de la confiance d'un metteur en scène. Est-ce que Fred a changé ? Oui, il est un peu plus sûr de son coup, moins hésitant. Tout le monde a travaillé un peu ailleurs. On est peut-être tous un peu moins naïfs. C'est comme retrouver une ancienne maîtresse qu'on n'a plus vue depuis longtemps. Et on redécouvre cette personne, son rire, sa façon de parler, on découvre ses rides aussi et du vécu en plus.
Je sais qu'il voulait nous mettre ensemble, Sergi et moi, et voilà, il a trouvé l'histoire. C'est pas innocent qu'on soit tous les deux des comédiens à accents, atypiques. Le fait que cette histoire se passe dans une prison, c'est une métaphore, l'enfermement de l'amour, des sentiments, etc. Sans doute qu'il y a quelque chose en moi qu'il reconnaît, qu'il projette, ce côté un peu ours. Sur un plateau, tu cherches le réalisateur derrière la caméra. Tu te dis toujours, mais pourquoi moi ?

 

C. : Votre personnage ?
J. H. : Il s'appelle Dominique, c'est un très grand pote de Fernand (Sergi Lopez). Fernand et Dominique ont fait un coup qui tourne mal, et ils se retrouvent tous les deux en taule. Alice va se retrouver seule avec son gamin, mais elle va tomber amoureuse du gardien de prison avec qui elle pratique le tango. Mon personnage est un peu le contraire de celui de Bobo, il est assez noir. C'est le personnage le plus noir de l'histoire, il est assez déprimé, il ne voit pas l'issue, bien que Fernand fasse tout pour lui remonter le moral.

 

C. : Comment vous êtes-vous préparé à ce tournage ?
J. H. : On a répété, oui, mais on s'est beaucoup parlé surtout. Fred et moi, on se voit depuis des années. On se donne rendez-vous à la place Jourdan pour manger des frites et boire une bière. C'est l'occasion de parler de tout et de rien, de ce qui nous préoccupe, de projets. Et puis, Fred aime bien garder le secret entre nous, il dit des choses à l'un qu'il cache à l'autre, pour créer un peu de tensions, de non-dits, pour essayer d'alimenter le moteur.

 

C. : La prochaine étape du tournage se passe en Pologne ?
J. H. :On part en Pologne pour filmer les couloirs et la cour extérieure de la prison. C'est une prison qui a accepté de nous accueillir. Elle est en état de marche. À mon avis, ça va changer le ton du film quand on va tourner là-bas, entouré de vrais prisonniers. Je n'ai pas peur, mais je ne suis pas non plus très à l'aise, je ne voudrais pas qu'on nous prenne pour des voyeurs.

 

François Damiens, comédien

C. : On vous voit de plus en plus au cinéma, vous avez même eu droit à un article dans les Cahiers du cinéma.
François Damiens :Cela s'est fait naturellement, les réalisateurs ont pensé à moi et sont venus me chercher. Je sais que c'est assez exceptionnel dans une carrière de comédien. Comme pour ce film-ci, Frédéric Fonteyne a créé le personnage en pensant à moi. Ça fait vraiment plaisir.

 

C. : Qu'est-ce que cela fait de vous retrouver entre grosses pointures réunies sur un même plateau ? Vue de l'extérieur, l'ambiance a l'air très agréable.
F. D. : Oui, c'est très familial. Et puis, Frédéric travaille avec la même équipe depuis une vingtaine d'années, c'est un peu sa famille, et ça se ressent tout de suite. On sent bien que ce n'est pas une équipe qui a été constituée par un producteur.
Cela m'est déjà arrivé de travailler sur des films où personne ne se connaît et chacun fait son boulot dans son coin. Ici, on sent la cohésion, tous travaillent dans le même but, pour le même film. Moi aussi c'est ce que je faisais avec « Caméra cachée », j'ai travaillé plus de dix ans avec les mêmes, ce qui crée des automatismes et fait gagner du temps.

 

C. Après avoir réalisé ces capsules, avez-vous envie de réaliser un film ?
F. D.: J'attends que la réalisation s'ouvre à moi. Je sais que je vais y arriver, mais pas encore, je ne suis pas prêt. Ce plateau est inspirant. J'aime la façon de travailler de Frédéric. Si un jour je fais un film, je m'inspirerai de ce que je vis et vois ici. Il a énormément d'expérience, et vu qu'il sait exactement où il veut aller, il se permet d'écouter tout le monde, sans craindre de se laisser pervertir. Si je devais faire un film maintenant, et que je demandais à tous leur avis, c'est parce que je ne saurais pas vers où aller, et il n'y a rien de pire qu'un capitaine de bateau dans le doute, car le doute est contagieux.

 

David Murgia, jeune comédien

C. : Nous t'avons découvert dans La Régate de Bernard Bellefroid, tu as aussi tenu le rôle de cet ado taré qui attaque le protagoniste de Rundskop (Tête de bœuf) de Michael Roskam et on te retrouve dans ce film de Frédéric Fonteyne.
David Murgia : Oui. Ici, je joue le rôle d'un jeune gardien de prison, un apprenti. Je fais partie d'une équipe de 6-7 gardiens autour de François. Ce que voulait Fred, c'est qu'il y ait une ambiance d'équipe entre nous, alors on s'est vu plusieurs fois avant le tournage, pour composer une bande, un groupe de gens qui se connaissent, qui se fréquentent. Moi, je suis l'apprenti, le jeune bleu à qui on fait des clés pour lui montrer comment se défendre, etc.

 

C. : Quel est le terreau qui a donné naissance à deux comédiens dans une même famille; ton frère Fabrice et toi?
D. M. : Je ne sais pas... On vient de Soumagne, dans les environs de Liège, à une vingtaine de kilomètres. On a fait beaucoup de théâtre, surtout Fabrice qui écrit aussi. On tisse des liens avec des partenaires, des amis, des gens avec qui on a grandi, qui viennent du son, de la vidéo. C est la compagnie ARTARA. A part le travail avec mon frère, et dans une toute autre dynamique de création, je fais partie d'un collectif de cinq acteurs qui travaillons sans metteur en scène : le Raoul collectif. Je suis entré au Conservatoire de Liège parce que je voulais prendre le temps de réfléchir, ne pas devoir prendre des décisions sur mon avenir professionnel. Entre la fin du secondaire et la vie professionnelle, je me suis permis une parenthèse. Et cette parenthèse devient tous les jours un peu plus large.

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