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Les Réalisateurs de Panique au village

Pour parler de leur long-métrage, Panique au Village, les réalisateurs Vincent Patar et Stéphane Aubier ont choisi de nous recevoir, non pas dans leur atelier de travail, mais dans l’entrepôt où ils rangent tout le matériel du tournage. C’est donc dans l’environnement dantesque d’une vieille fabrique où s’entassent pêle-mêle éléments de décor, matériel divers et des dizaines de boîtes en cartons où dorment, sont soigneusement rangées, des centaines de figurines, que nous les retrouvons. Sagement assis côte à côte dans deux fauteuils de fortune, ils nous parlent du travail impressionnant que constitue la création de ce film d’animation de 75 minutes qui les a conduit sur le tapis rouge du palais des festivals de Cannes.
Et aussi du plaisir  intense que leur a procuré ces quatre ans de mise en place en cinémascope du doux délire surréaliste de l’univers de Panique.

Cinergie : Au départ, Panique était une série de courts épisodes, conçue pour la télé. Comment vous est venue l’envie d’en faire un long-métrage ?
Stéphane Aubier : On était très content de la série. On avait eu des bons échos quand on l'avait projeté en salle aux halles de Schaerbeek. On a décidé de tenter le long après en avoir parlé avec Vincent Tavier, le producteur et notre co-scénariste Guillaume Malandrin. 
Vincent Patar : On n’avait pas trop envie de remettre une deuxième série en chantier. On avait l'impression de répéter ce qu'on venait de faire pendant 3 ans. On a eu envie de changer de façon de raconter les histoires.

C.: On ne tourne pas un long-métrage comme on fait un court : le rythme est très différent, plus lent, davantage maîtrisé. C’est moins gag sur gag…
V.P. : Le changement fondamental se situe effectivement au niveau de l'écriture. Du point de vue de la technique, on savait déjà comment procéder. La seule différence par rapport à la série, c’est que comme on tournait en scope, on devait affiner un peu plus les détails. On a davantage travaillé les décors.

C.: Quel est le défi à relever dans l'écriture d'un long ?
V.P. : Nous n'étions pas sûrs au départ qu’une animation aussi sauvage que Panique fonctionne sur un long récit
S.A. : Quand on a eu créé l'histoire en story-board, photographié toutes les images et rajouté les voix pour faire une maquette, on a été plutôt rassuré. Même si ce n’était qu’une succession de dessins avec une bande sonore toute bête,  cela semblait marcher. C’était un bon point de départ.

C.: A ce moment là, vous aviez déjà toute l'histoire ?
S.A. : Oui, mais elle a beaucoup évolué par la suite. 
V.P. : A chaque étape de la fabrication, on a retravaillé le scénario. 
S.A. : Après trois ans de travail, on continuait encore à le modifier parce qu’il y avait des choses, parfois fondamentales, qui n’allaient pas dans l’histoire et qu’on avait envie de changer. 
V.P. : On a encore changé les dialogues quand on était en plein mixage parce qu’on trouvait que ce n’était pas naturel. Dès qu’une petite chose nous ennuyait, même un détail, on retravaillait. 

C.: Parleriez-vous de transposition ou d’adaptation de la série au grand écran ?
V.P. : L’univers reste le même, mais dans la narration, nous avons voulu dès le départ éviter de faire un film à  sketches. 
S.A. : L’idée était que les gens qui découvraient le film Panique oublient la série. Il fallait leur présenter à nouveau les personnages, qu’ils les rencontrent comme s’ils ne les connaissaient pas, et faire en sorte qu’ils deviennent de nouveaux amis.
V.P. : Et il fallait penser au public qui ne connaissait pas la série.

C.: Ce n’est pas un problème de présenter au niveau international un film à ce point ancré dans la belgitude,  ne fut-ce qu’au niveau des accents des personnages?
S.A. : on ne s’est jamais posé la question de son ancrage dans la belgitude.
V.P. : Jacques Brel est écouté partout …(rires) 
S.A. : Les accents ne sont pas un obstacle. Le film a été doublé en flamand, et très bien. 

C.: Vous pouvez nous parler de ces comédiens flamands qui ont fait le doublage ?
V.P. : C’est une troupe qui s’appelle « In the gloria ». Ils sont très populaires en Flandre, ils font des sketches un peu dans la veine des Snuls, avec la différence que les Snuls c’était il y a 20 ans et qu’eux sont toujours actifs actuellement.
Ben, notre assistant réalisateur, et Steven De Beul notre chef animateur, qui sont flamands, sont fan de cette troupe. Pour eux, c’était un rêve de travailler avec ces comédiens. Quand on a commencé le long-métrage, Ben a sauté sur l’occasion pour leur en parler. Ils ont visionné la série, ils ont donné leur accord, et ils ont travaillé tout à fait dans l’esprit Panique. 

C.: C’est aussi eux qui ont fait la traduction.
V.P. : Oui, ils ont gardé l’âme du film, mais en même temps, ils ont travaillé en fonction des nécessités de la transposition. Il y a forcément des choses drôles en français qui passent à la trappe, mais il y en a aussi qui sont rajoutées ou retravaillées pour le flamand.

C.: Dans la version française on retrouve la bande de copains présents dès le début …  et quelqu’un qu’on découvre avec étonnement : Jeanne Balibar.
V.P. : Effectivement Jeanne Balibar est la seule nouvelle de la bande. Elle apporte un plus.
On a pensé à elle assez tôt grâce à  Philippe Kauffman, notre coproducteur, qui la connaissait un petit peu.
On voulait voir ce que cela donnerait et les essais ont été concluant, pour nous comme pour elle. On n’a donc pas cherché plus loin.

C.: Comment choisissez-vous les voix des personnages ?
S.A. : Dès le pilote de la série, on voulait une voix aiguë pour le cow-boy, parce que c’est moi qui le fait et que je fais surtout les voix aiguës. Pour le cheval, en contraste, il fallait une voix grave et bourrue comme Vincent sait les prendre.  Pour l’indien, nous hésitions. Vincent avait tenté une voix assez lymphatique qui contrastait avec le côté nerveux de l’indien. Mais quand Vincent Tavier est allé montrer le pilote à Paris, ils ne trouvaient pas ça drôle du tout. On a donc changé notre fusil d’épaule et cherché une voix super nerveuse. On a directement pensé au chanteur de PPZ 30, Bruce Ellison.. Les autres personnages sont arrivés au fur et à mesure. Benoît Poelvoorde avait déjà travaillé avec nous. On aurait pu lui donner n’importe quel personnage. Il est tombé sur le petit fermier et c’est sublime. Bouli, c’était un peu la même chose. Il a donné une vie extraordinaire à tous les personnages secondaires. Et notre découverte, c’est le liégeois David Ricci qui fait l’âne. Il a une voix très grave qui convient vraiment bien. 

C.: La voix est très importante car elle caractérise le personnage.  Vous avez cherché le ton, l’intensité de la voix pour chaque personnage ? Vous donniez des indications précises ?
V.P. : L’avantage de la technique d’animation de Panique, c’est comme il n’y a pas de lipping on peut remodeler les dialogues. On essaye différentes choses. Même si les dialogues sont écrits, ils sont chaque fois dits un petit peu différemment. Benoît est le meilleur exemple. Il prend ce qu’on écrit, il en respecte le sens mais le restitue avec ses mots à lui. Il arrive à rebondir. Dès qu’il voit un petit détail à l’image, il fait parler Steven et le fait réagir. 
S.A. : C’est super drôle avec lui. On peut faire autant de prises qu’on veut, il trouve d’autres mots à chaque prise. Par exemple, « Suivez mes pneus » quand il avance avec son tracteur pour conduire les animaux en prairie. C’est rempli d’improvisations comme cela
V.P. : Du coup, on a trop de matière et ne sait plus trop quoi choisir. C’est tellement bien tout le temps. Ben, c’est le luxe. 

C.: Pourriez vous nous parler un peu plus des séquences sous- marines?
V.P. : Ca vient d’un des épisodes de la série, « les voleurs de cartes », où il y avait des atlantes qui venaient voler les cartes à jouer dans une partie chez Jeannine et Steven. On est parti de ce monde créé dans la série sur 2 minutes, mais on a profité du long-métrage pour le développer.
S.A. : Au début on voulait faire une ville sous l’eau, puis on s’est dit  qu’il était plus intéressant de mettre en valeur trois personnages principaux et deux personnages qui tournent autour d’eux.

C.: Vous avez recréé à l’envers le monde du village.  Tout est en miroir. C’était difficile à mettre en place?
S.A. : Pas à partir du moment où on rentre dans la logique de Cow-boy, Indien et les autres. Pour eux c’est normal. On leur vole leurs affaires et ils vont les rechercher. Ils y vont à pied. Ils passent par le pôle nord en poursuivant un monstre palmé et ils se trouvent là sans se poser de questions. C’est normal.

C.: Au niveau technique, il faut installer certains artifices pour recréer les univers aquatiques ?
V.P. : Les poissons que l’on voit nager à l’avant plan ou à l’arrière plan, viennent matérialiser l’eau. C’est un des seuls effets digitaux qu’on a rajouté par après, car notre philosophie est qu’un maximum de choses doivent se passer au naturel, devant la caméra. Pour le reste ce n’est que des histoires de jeux de lumières bleutées et de flou.
S.A. : Un moment, l’équipe qui s’occupait de la 3D nous a proposé de mettre un effet d’ondulation de l’image pour matérialiser l’eau, comme dans les films des années 50. On a essayé mais on n’avait pas envie de trop d’artifices. On préférait avoir des flous autour des formes que de vraiment rentrer dans des effets trop réalistes, trop bien techniquement.
V.P. : Ce qui était important, c’était d’avoir une impression générale, plutôt qu’une illusion. On voulait rester sobres.

C.: Cela ressemble aux séries B des années 50, comme l’Etrange Créature du Lac Noir… C’est ce que vous recherchiez ?
V.P. : On n’y pense pas forcement sur le moment même mais c’est sans doute des influences qui ressortent de manière automatique. Cela se ressent un peu dans le design, les créatures avec les oreilles palmées…

C.: Est-ce qu’il y a une autre séquence qui vous tient particulièrement à cœur, qui vous à pris beaucoup de travail  ou que vous avez eu beaucoup de plaisir à réaliser ?
S.A. : Il y en a beaucoup. La scène onirique de Cheval, quand il est dans la grange et qu’il commence à rêver sur une musique de Gabriel Fauré est une de mes préférées. Quand Jeannine fait les tartines au choco à Steven. La séquence de la circulation des camions qui viennent livrer les briques sur la route...
V.P. : Il y a de nombreuses scènes compliquées,  mais en même temps, on ne pense pas à ça. On fabrique la chose et on est dedans. Il y a un plaisir à chaque instant. Par exemple quand le cheval revient du conservatoire, avec la musique à fond dans la voiture, et les vaches qui suivent la voiture. 
S.A. : L’ambiance du conservatoire aussi était chouette Au départ, cette scène était très dense au niveau du son. Il fallait gérer tous les bruits d’instruments, les échos des pas, on faisait parler les animaux,… Tant et si bien que l’ingénieur du son, Franco Piscopo, a décidé de calmer le jeu parce qu’il y avait trop de références sonores. On ne s’y retrouvait plus. On a un peu épuré pour se concentrer sur les deux chevaux, les personnages principaux.

C.: Techniquement, c’est un énorme travail  qui vous à pris beaucoup de temps. Tout a été fait à la main. De combien de personnes se composait votre équipe?
V.P. : Il y avait plus ou moins 20 personnes, et cela nous a pris 14 mois de fabrication. Un temps assez court pour un film d’animation. La technique de Panique est simple à la base, même si on l’a un peu complexifiée par rapport à la série parce qu’il fallait qu’on affine les mouvements. Par exemple, Cheval, pour la série, avait 3 attitudes. Il courait tout le temps. Ici, on ne pouvait pas le faire courir pendant une heure et demie, car on aurait explosé la tête des spectateurs. On a donc développé 8 attitudes différentes pour lui donner un petit trot plus lent.
S.A. : La proportion des personnages nous fait gagner pas mal de temps par rapport à d’autres films d’animation. Ils sont tout petits. Jan Van Den Bussche, qui a l’habitude des tournages, nous disait que les films d’animation ne sont jamais fait à cette échelle là. Wallace et Gromit, par exemple, sont dix fois plus grands, et les décors sont énormes en proportion. Nos personnages sont petits, et tout le reste, décors « etc…, sont à l’avenant. Du coup, on gagne énormément de temps. On peut se permettre aussi de faire de larges décors où évoluent nos petits personnages.
V.P. : L’animation est aussi beaucoup plus simple. Nous travaillons avec des jouets en plastique et le but, c’est de faire vivre ces petites figurines rigides. On a les personnages dans différentes attitudes, et on les  remplace en fonction des scènes. De cette manière on faisait, en gros, dix à quinze secondes sur chaque plateau par jour alors que chez Aardman peut-être font-ils à peine une seconde. Finalement, on a bouclé en neuf mois de tournage à peine. 

C.: Un même personnage comme le cheval par exemple a huit attitudes, pour mais pour le faire bouger (et je suppose qu’il y a eu des casses), combien de figurines avez-vous dû utiliser ?
V.P. : Pour le film, on a fabriqué en tout, 1500 figurines. Cheval est le personnage qui en a nécessité le plus car il avait beaucoup d’attitudes différentes. Peut-être 130 ou 140 figurines. Cowboy et Indien en ont mobilisé une petite centaine chacun. A l’inverse, un petit personnage comme Steven n’a besoin que d’une quinzaine d’attitudes différentes. Cela suffit pour le faire vivre. Gendarme a quatre ou cinq attitudes différentes parce qu’il est rigide et ne bouge pas. C’est un gendarme.

C.: M.V. : Il y a dans votre univers très masculin, un nouveau personnage qui apporte une touche de sentiment romantique. L’amie de Cheval humanise le personnage, qui est plutôt une figure paternelle ou de grand frère autoritaire face à ces deux garnements que sont Cowboy et Indien. Comment vous est venue l’idée d’amener Mme Longrée  ? 
S.A. : Il nous a semblé évident qu’on avait besoin de cela, pour justement se démarquer de la série. 
V.P. : Ca fait évoluer le caractère de cheval. Il n’est plus juste un faire valoir par rapport à Cowboy et Indien, il a une vraie vie à lui. Et tous les personnages ont évolué par rapport à la série.

C.: Bientôt Panique au village numéro deux ?
S.A. et V.P. : On va déjà voir avec le premier.

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