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Olivier Smolders dirige le film d'élèves : Regards sur le cinéma belge

Publié le 01/01/2001 / Catégorie: Entrevue

L'image et la culture


Écrivain et cinéaste, Olivier Smolders enseigne également le français au niveau secondaire supérieur. Sous son impulsion, les élèves de l'Institut Saint-Vincent de Paul (Uccle-Forest) ont réalisé un documentaire de 68 minutes, Regards sur le cinéma belge.
Tourné en DV, le film a été projeté le 26 mai dernier à la Cinémathèque Royale de Belgique. A l'origine de cette expérience, une proposition de la Fondation Roi Baudouin encourageant les projets pédagogiques mettant en valeur une partie de notre patrimoine, rejointe ensuite par un programme de la Cocof en faveur des projets artistiques en milieu scolaire. Confiant par expérience dans les bons résultats d'une pédagogie dite de projet (visant à assembler les apprentissages autour d'un projet collectif concret), il apparut d'emblée à Smolders que le cinéma était l'élément du patrimoine culturel le mieux à même de susciter la curiosité de ses élèves. L'enjeu était double : initier des adolescents à la pratique du documentaire ainsi qu'au langage audiovisuel, tout en les confrontant à un cinéma qu'ils ignorent ou mésestiment pour la plupart, les productions américaines constituant l'essentiel de leur paysage cinématographique.

Olivier Smolders dirige le film d'élèves : Regards sur le cinéma belge

Olivier Smolders : La vision qu'ont les adolescents du cinéma est souvent limitée à la consommation qu'ils font des films commerciaux. C'était un pari de leur montrer des films différents, une autre culture de l'image, recentrée sur l'homme et la spécificité du milieu dans lequel il vit. Ce dépaysement se doublait de la nécessité d'apprendre les techniques de base pour filmer puisque c'était à eux que revenait la charge de réaliser le documentaire.

C. : Quelle fut leur première réaction en découvrant les films dont ils allaient ensuite rencontrer les auteurs ?
O.S.
: C'était très varié et finalement pas très différent des réactions d'un public adulte dans une salle de cinéma normale. Pour prendre un exemple, certains ont trouvé Rosetta insupportable car " l'image bouge tout le temps ", " la vie de cette fille n'est pas intéressante, " c'est toujours la même chose ". D'autres au contraire ont été émus par le film et y ont reconnu des choses qui les concernaient directement. Ce qui est certain c'est que peu avaient imaginé que le cinéma pouvait servir à " parler de ça de cette manière ". Les films les plus appréciés étaient ceux dont la structure narrative et les personnages étaient les plus conformes à l'idée qu'il se font du cinéma. Mais même pour les films les plus insolites il se trouvait toujours l'un ou l'autre pour dire qu'il avait aimé, qu'il avait trouvé ça " bizarre mais vachement bien ".

C. : Inversement, comment les cinéastes invités ont-il réagi à cette rencontre ?
O.S.
:C'est à eux qu'il faudrait poser la question. Mais j'ai l'impression que la plupart ont trouvé ces rencontres plutôt positives. Je regrette pour ma part que les élèves n'aient pas toujours osé exposer leurs questions et leur réticences avec la verdeur qui les caractérisent en temps normal. Le statut de l'invité les rendait parfois anormalement dociles. Ce n'est que le lendemain de l'entretien que j'entendais les répliques que j'aurais voulu entendre la veille. Mais l'impertinence courtoise, cela s'apprend aussi.

C. : Dans quelle mesure cette expérience a-t-elle modifié le regard de ces jeunes sur le cinéma belge et sur le cinéma en général, voire éveillé le désir de retoucher un jour à une caméra?
O.S
. : S'il a permis de semer ici et là quelques petites graines de curiosité, de sensibilité à des discours en marge des discours dominants, c'est déjà très bien.
L'important est surtout qu'il a permis de nombreuses autres découvertes : le dialogue possible avec des professionnels du cinéma, les techniques de base de l'entretien filmé et du reportage, la difficulté du discours objectif, la nécessité du point de vue, etc.

C. : Comment s'est effectué le choix des films dont il est question dans le documentaire ?
O.S. : L'actualité n'a pas été notre premier critère, mais il eût été évidemment dommage de ne pas tirer parti de la Palme d'Or de Rosetta ou de la sortie des Convoyeurs attendent et d'Une liaison pornographique. Nous voulions montrer aussi aux élèves que les films belges existaient, sortaient dans les salles, recevaient d'importantes récompenses à l'étranger. C'est souvent à partir de sorties récentes qu'on s'est tourné vers des films plus anciens. Les enfants du borinage de Patric Jean a poussé un professeur à montrer Misère au borinage d'Henri Storck puis à faire un reportage avec les élèves au Musée de la mine à Bois du Luc. Mobutu, Roi du Zaïre de Thierry Michel (il y a assez bien de Zaïrois dans notre école) nous a donné l'envie de montrer Les Enfants de la rue. Le choix des films étaient laissés à l'initiative des professeurs car les élèves avaient peu de repères dans ce domaine.

C. : Vous êtes crédité de l'encadrement-réalisation. Concrètement, quelle forme a pris cet encadrement, et comment le groupe fonctionnait-il ?
O.S. : Différents professeurs de l'école se sont répartis le travail en traitant certains sujets avec leur classe, souvent en relation avec des matières qu'ils enseignaient par ailleurs dans leurs cours. Une classe de quatrième socio-éducative était cependant coordonatrice de l'ensemble et responsable du produit final. La répartition du travail au sein même d'une classe était laissée à l'appréciation de chaque groupe. En général, les choses n'étaient pas très figées. Après vision des films, les élèves préparaient des questions par petits groupes. Ils se succédaient derrière la caméra, relayés par un professeur lorsqu'il s'agissait de longs entretiens fixes. Les élèves aimaient surtout filmer des reportages hors de l'école, au festival de Bruxelles par exemple. Certains ont fait une caméra-trottoir dans les rues de Paris. La prise de son était effectuée par un autre élève, au moyen d'un micro additionnel.

C. : Qui a conçu le dispositif du film ?
O.S. : Lors de la mise en route du projet, il y a eu quelques discussions générales avec les élèves pour faire l'inventaire de tout ce qu'il était possible de filmer et d'inclure dans le film. Il y a eu des propositions assez amusantes : rejouer et refilmer une scène de C'est arrivé près de chez vous, par exemple. Et puis des choix se sont imposés un peu en fonction des envies et des circonstances.

C. : Quel regard portez-vous sur cette expérience?
O.S. : D'abord le sentiment d'avoir pu porter l'effort des élèves jusqu'à son terme, de sorte que les projections publiques du film leur ont permis de mesurer la réalité de leur travail collectif. Le principal objectif du projet était une dynamique d'apprentissage plutôt que la fabrication d'un produit fini. Cela dit, j'ai le sentiment que le film peut quand même intéresser n'importe quel public curieux de ce qui se passe en Belgique dans le domaine du cinéma. Quelques figures de proue - Jean-Pierre Dardenne, Jaco Van Dormael, Thierry Michel, etc. - y parlent assez bien de leur travail. Ils ont une sincérité et un naturel qu'il n'est peut-être pas toujours facile d'obtenir devant des interlocuteurs plus officiels. Le film a aussi un défaut évident à mes yeux : il n'est pas assez ludique, il scolarise un peu trop le cinéma, plie les interviews à une mise en place maître-élèves trop systématique. Il eût peut-être été souhaitable que les élèves prennent davantage le discours du film en main. Dans une nouvelle expérience actuellement en cours, je vais essayer que ce soit le cas. Une classe a commencé cette année un film sur le ramadan, sujet qui les concerne directement, qui les rassemble et les divise à la fois, et qu'ils connaissent généralement mieux que les professeurs. Ce qui est plutôt stimulant.

www.smolderscarabee.be

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