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Benoît Mariage pour Cowboy

Publié le 11/12/2007 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Entrevue

Avec Cowboy, le réalisateur des Convoyeurs attendent retrouve son complice Benoît Poelvoorde et, selon toute vraisemblance, les faveurs du public ! Après une critique suite à la présentation du film en ouverture du festival de Namur, Cinergie vous propose, ce mois-ci, un entretien avec Benoît Mariage, quelques semaines avant la sortie du film, dans toutes les salles cette fois-ci.

Cinergie : La sortie de Cowboy coïncidera avec la diffusion sur la RTBF d’un documentaire, que vous signez, sur la prise d’otage par Michel Strée d’un bus scolaire en 1980. Ce fait divers est également au cœur du film. Quel projet est né le premier et comment les deux se sont-ils nourris?
Benoît Mariage : La première idée était celle d’un documentaire, d’une investigation personnelle sur Michel Strée. Lors des cinquante ans de la RTBF, j’avais revu ces images (NDLR- Les preneurs d’otages ont installés le bus et ses occupants sur le parking de la RTBF, boulevard Reyers) et j’avais regretté que personne ne soit allé rencontrer Michel Strée, pour voir ce qu’il était devenu. J’ai fait la démarche, j’ai retrouvé Strée et les anciens otages et même le bus. Mais ils n’avaient pas vraiment envie d’en reparler, je me suis retrouvé devant un non-événement, en décalage total avec la projection que je m’étais faite de ce documentaire. Cette déception a été le point de départ de l’écriture d’une fiction.

C. : Tu as donc suivi le même chemin que le personnage qu’incarne Benoît Poelvoorde dans le film, Daniel Piron?
B. M. : On peut dire ça oui. Evidemment par la suite, j’ai modifié l’histoire pour créer une dramaturgie, et réinventer un personnage, qui n’était pas Michel Strée, et pouvait s’opposer à Piron, le provoquer dans son échec. Le travail d’écriture m’a aidé à libérer mon imagination et à aller au-delà du fait divers. Ayant travaillé pour Strip-Tease de nombreuses années, j’ai aussi pu puiser dans mes propres émotions passées.

Portrait de Benoît Mariage réalisateur de CowboyC. : Justement, ceux qui, comme moi, ont suivi vos cours de documentaire à l’IAD ne manqueront pas de repérer dans les thématiques de Cowboy de nombreuses problématiques qui vous préoccupent dans ce domaine.
B. M. : Le documentaire est un dilemme. Il s’agit d’aller à la rencontre des gens, mais le film en lui-même reste un objet de valorisation personnelle. Le danger est donc d’instrumentaliser les gens. Un chirurgien qui opère ses patients les soigne, mais celui qui prend l’image de quelqu’un, à quel titre le fait-il ? Dans le film, Daniel Piron pense relancer sa carrière en faisant un documentaire et il va devoir affronter cette valeur dichotomique du documentaire qui peut provoquer le malaise, le doute.

C. : Le personnage de Poelvoorde se rend compte, en les filmant, qu’il n’aime pas les gens, et qu’il lui faut faire le chemin vers eux. C’est autobiographique ?
B. M. :
Quand on filme un documentaire, il y a les gens que l’on peut envisager, et ceux que l’on ne peut que dévisager, c’est-à-dire que l’on reste extérieur à eux. Et on ne peut pas envisager tout le monde si on n’est pas totalement réconcilié avec soi-même. À l’époque de Streap-Tease j’ai parfois été bloqué. J’ai eu un malaise avec un film appelé À fond la caisse (NDLR - qui montrait un père obligeant son fils de trois ans à faire du motocross), je le trouvais malhonnête, et ça a provoqué mon passage à la fiction. Sans être une rédemption, Cowboy est nourri de la réflexion née à cette époque (NDLR - 1988). Dans le film, le paradoxe de Daniel Piron, c’est qu’il veut faire un film sur la fraternité, alors que son accès à la fraternité et à l’affectif est difficile. Il se revendique encore marxiste, mais toutes ses relations sont basées sur le pouvoir et le rapport de force.

C. : À tel point qu’il peut se montrer méprisant avec ses “sujets”. Le film ose une causticité qui est éloignée de l’image relativement bienveillante que l’on a de toi…
B. M. : Ah, mais la fiction permet d’aller trouver sa part d’ombre ! J’aime les gens, profondément, mais dans le cas du Strip Tease que nous évoquions plus haut, j’ai eu une réaction épidermique. Ce père, je ne l’ai pas "loupé”, si l’on peut dire. Il y a donc des parts de moi dans le personnage de Benoît Poelvoorde, mais elles sont forcément accentuées, dramatisées, ne serait-ce que pour permettre la comédie.

C. : Au final, la prise d’otage n’est que la toile de fond de Cowboy.
B.M. : Le vrai sujet du film c’est cet homme qui va droit dans le mur et de voir comment il pourrait s’en sortir. C’est le rapport à l’échec et au lâcher prise. Je crois qu’apprendre à vivre, c’est apprendre à lâcher prise, ça correspond à un constat personnel que j’ai fait à quarante ans, et auquel Ben pouvait s’identifier. Le documentaire réhabilitera, lui, Michel Strée, dans sa véritable vie présente. J’ai détourné son passé avec son accord, mais je voulais lui rendre justice.

Portrait de Benoît Mariage réalisateur de Cowboy

C. : Le film n’aborde-t-il pas aussi de front la question des idéaux de gauche dans le monde du vingt-et-unième siècle? Il n’y a pas de jugement, mais beaucoup de questions et de contradictions exposées.
B. M. : C’est intéressant que vous parliez de ça car mon monteur a eu la même réaction. Il m’a dit que je faisais un film sur la faillite de la gauche ! Et soudain, je me suis dit qu’il avait peut-être raison. On vit dans une société où tout le monde doit avoir un avis sur tous les sujets. Mais, avoir un avis altruiste, ou alter-mondialiste, ça ne coûte rien. La seule chose importante c’est l’adéquation entre le vie que tu mènes et les jugements que tu portes. Ça, ça comporte un prix à payer, et c’est la raison de l’échec actuel de la gauche (on peut même la rapporter aux récentes “affaires” à Charleroi).

C. : Dans la mise en scène, on remarque plus de gros plans que dans tes autres fictions.
B. M. : C’est tout simplement que Piron vit une fracture mentale dans le film, il y a des scènes où tout se passe dans sa tête. Sa femme croit qu’il rentre du boulot, mais lui revient d’Hiroshima ! C’est aussi un film plus bavard, car le héros est un journaliste, un tchatcheur.

C. : Sur la longueur, le film change de ton, et même de sujet. Sans en dévoiler trop ici, la bouleversante scène finale parvient à synthétiser tout le film. Comment est-elle née ?
B. M. : L’idée est de dire que dans la dépression, dans l’échec profond même, on a la possibilité de se retrouver plus proche de soi-même que jamais. Je voulais l’exprimer “énergétiquement”, par le contact. On en a discuté avec Ben lorsqu’on faisait des retakes (NDLR - tournage de nouvelles scènes après un premier montage) et on a trouvé l’idée de la chorale. La voix chantée ensemble provoque chez moi un sentiment d’énergie solidaire et profonde. Ce qui m’intéressait dans la mise en scène, c’était de montrer Piron non plus au-dessus des gens, à juger, mais parmi les gens.

C. : Pourquoi ces retakes ? Qu’est-ce qui a changé dans le film en cours de route ?
B. M. : Il manquait des choses, mais on sentait qu’il y avait une force. J’ai réécrit en me battant pour garder la puissance émotionnelle de la fin sans totalement sacrifier la comédie. Faire un film, c’est souvent rentrer en conflit mais, au bout du compte, je suis fier du film : il parle de ce dont j’avais envie de parler lorsque j’ai jeté les bases du scénario, il y a trois ans.

C. : Pour assurer cet aspect comique, vous pouvez compter sur Benoît Poelvoorde, mais aussi sur François Damiens (célèbre pour ses caméras cachées sur RTL-TVI). Comment gérer deux personnalités aussi fortes ?
B. M. : La gestion des acteurs c’est d’abord la gestion de soi-même. On a discuté du propos et ils savaient que j’étais sincère. Ben est un ami, il me rejoignait sur le fond, et son engagement s’est fait automatiquement. Quant à Franz, c’est un homme d’une grande humilité et d’une grande tendresse. C’est un forte personnalité, mais ce n'est pas quelqu’un qui impose des choses, il était heureux de s’engager à fond et prêt à aller où je voulais l’emmener. Il ne s’agissait pas seulement d’amener un comique pour donner la répartie à Poelvoorde, mais aussi de construire un personnage riche, même si son développement est épisodique. C’est devenu un ami, et je réécris pour l’instant pour lui. Il a un grand sens de l’observation et c’est la base du talent en cinéma.

C. : Un mot encore sur le titre…
B. M. : C’est devenu tellement difficile de faire rentrer des gens dans une salle de cinéma… Autant je voulais être rigoureux sur le fond, autant je ne cache pas avoir cherché un titre vendeur. En Wallonie, un cowboy c’est un macho, un fonceur privé de sa part féminine, et puis il y a cette prise d’otage avec une Winchester. “Cowboy/Poelvoorde” c’est une belle accroche, mais ça n’est quand même pas totalement gratuit !

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