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50/50 - Eldorado de Bouli Lanners

Publié le 07/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

De sa formation aux Beaux-arts de Liège, les films de Bouli Lanners ont gardé une indéniable picturalité, sorte de tableaux mouvants exaltant les paysages de son plat pays. Tombé un peu par hasard dans le cinéma, après avoir démarré sa carrière à la télévision sous le signe de la belgitude auprès des Snuls, Bouli Lanners trouve dans cette nouvelle forme d’expression un terrain de jeu prédestiné pour mettre en scène ses rêves de nature et de grands espaces, de familles un peu dysfonctionnelles, souvent recomposées au hasard des rencontres. A la fin des années 90, sa silhouette apparaît de plus en plus régulièrement sur le grand écran, d’abord en arrière-plan, puis dans des rôles de moins en moins seconds, imposant peu à peu son physique tour à tour bourru, lunaire et débonnaire comme une valeur sure du cinéma hexagonal.

50/50 - Eldorado de Bouli Lanners

Philippe Manche : En quoi l’expérience vécue à travers vos deux premiers courts métrages, Travellinckx et Muno, et votre premier long métrage, Ultranova, a nourri Eldorado ?

Bouli Lanners : J’ai appris le métier. Travellinckx, je l’ai produit tout seul, avant d’avoir une aide à la finition via Jacques-Henri Bronckart, qui allait devenir mon producteur et qui l’est toujours aujourd’hui. Quand je l’ai tourné et produit, Travellinckx était juste un film de potes. Muno m’a permis de faire ensuite un vrai court métrage avec des champs et des contre-champs, ainsi que d’utiliser cette grammaire du cinéma que je ne connaissais pas. Ultranova m’a, quant à lui, appris à comprendre toute la problématique liée à l’écriture d’un long métrage. C’est un exercice très différent. C’est comme passer de l’écriture d’une nouvelle à l’écriture d’un roman. Il faut arriver à tenir une narration sur un laps de temps beaucoup plus long, y compris pour l’écriture du scénario parce que, là aussi, je n’avais aucune technique d’écriture. Et, dans l’écriture d’un long, il y a d’autres ressorts dramatiques qui rentrent en ligne de compte, que je ne maîtrisais pas non plus. D’ailleurs, Ultranova est une espèce d’ovni parce que l’écriture a continué à se faire pendant le tournage, et même le montage.

 

P.M. : Eldorado épouse la forme d’un road movie. En quoi cette forme cinématographique résonne-t-elle chez vous ?

B.L. : Quand on commence une carrière qui est fragile, comme peut l’être celle d’un réalisateur en communauté française, on a tendance à se dire que le film qu’on est en train de faire sera peut-être le dernier. Je voulais vraiment faire ce que j’avais envie de faire, à savoir un road movie, parce que c’est un genre que j’aime bien. Et je voulais le faire dans un pays improbable, puisqu’après deux heures de route, on n’est plus en Belgique. C’est ce qui était drôle aussi. C’est une logique de fiction qui permet d’inventer le pays et d’ignorer les réalités géographiques. Par exemple, j’aime bien les voitures américaines, alors j’ai mis une grosse américaine. Ensuite, l’histoire se construit sur base de ce qui vous plaît dans la forme. Pour le fond, c’est tout ce qui est personnel qui intervient par après. Les résonances personnelles sont liées aux souvenirs que j’ai avec mes parents, lorsqu’on partait chaque week-end entre les Ardennes et La Calamine à une époque où il n’y avait pas d’autoroute. C’était à chaque fois un vrai petit voyage. Et puis, le road movie permet de raconter une errance. Sur la route, dans une voiture, vous rentrez dans une forme d’intimité qui n’est pas la même que lorsque vous rencontrez quelqu’un dans la rue. Cette intimité est un accélérateur qui me permettait d’intégrer les paysages et cette forme d’errance qui m’est chère.

 

P.M. : Eldorado oscille entre comique de situation, burlesque, mélancolie et gravité. Comment avez-vous réussi à garder l’équilibre entre ces paramètres ?

B.L. : A l’écriture, c’était beaucoup plus dramatique. Je pense qu’il faut d’abord écrire la trame dramatique en amont. Comme je ne suis pas dans l’humour verbeux lié à des jeux de mots mais plus dans le comique de situation, il fallait saisir ce qui se crée sur le plateau. C’est au feeling que ça se passe. C’est sûr que les images y sont pour beaucoup aussi. On voit qu’il se passe quelque chose physiquement entre Elie (que joue Fabrice Abbe) et mon personnage. Nos deux corps sont très différents. Les mettre à poil dans une rivière après une scène dramatique chez la maman rajoute à un espace libérateur.

 

P.M. : La fin d’Eldorado est très sombre, voire désespérée, et ramène à la dure réalité du monde de la toxicomanie. Un happy end était inenvisageable ? 

B.L. : Même si le rire permet d’accéder au propos, le propos n’est pas drôle. Par la forme du road movie, avec la musique et l’humour, ça reste un film accessible et grand public. Mais c’est impossible de signer un happy end en parlant de la came et habiter à Liège, et pourtant on a essayé.

 

P.M. : Avec quels cinéastes et films francophones avez-vous des affinités particulières ?

B.L. : Je me sens en adéquation sur certaines choses avec Benoît Mariage mais aussi avec Fabrice Du Welz, alors qu’on fait un cinéma très différent. J’aime aussi le cinéma d’Olivier Masset-Depasse pour l’élégance de la mise en scène et de l’image.

 

Philippe Manche

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