Fin avril 2003, L'ARRF (l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices de films) a tenu une conférence de presse. Au cours de celle-ci, il fut question de défendre les films low budget (à petit budget) comme complément aux films classiques qui se bousculent au portillon d'une Commission de sélection dont l'enveloppe budgétaire n'augmente pas. Présent lors de cette réunion Richard Miller, le Ministre de l'audiovisuel, a promis de trouver une solution pour que ces films peu coûteux puissent avoir accès à la commission de sélection des films. Propos avec Frédéric Sojcher, président de l'ARRF et Vincent Lannoo, membre de l'association et réalisateur de Strass, un film à très petit budget. Un entretien qui, petit à petit, a abordé d'autres sujets comme le tax shelter, et ses modalités d'application, et la promotion d'un cinéma qui est plus connu à l'étranger que chez nous.
Le low budget
Le low budget
Frédéric Sojcher : Nous pensons que les formes de production et de création sont liées. On ne peut pas dire que cela ne concerne que les seuls producteurs. Les réalisateurs se sentent entièrement dépendants des sources de financement que l'on aura obtenu pour réaliser leurs films. Il faut donc que les réalisateurs participent au débat sur la façon de faire leurs films. Parce qu'il y a la question du financement mais il y a aussi la philosophie de ce financement. Idéalement producteurs et réalisateurs doivent marcher la main dans la main pour faire, ensemble, le même film, donc on ne peut pas dire que c'est uniquement une question économique. A l'ARRF nous pensons qu'il faut réfléchir là-dessus. Lorsqu'on parle de diversité culturelle il ne faut pas oublier qu'il y a une diversité de production. Il est important qu'il existe des films commerciaux mais aussi des films d'auteurs (l'un n'étant pas incompatible avec l'autre) et, puis, il est aussi important - et c'est une idée défendue par certains membres de l'association, comme Vincent Lannoo ou Joachim Lafosse - de favoriser la mise en place de films low budget. Les nouvelles techniques de prise de vues permettant d'organiser des tournages en petite équipe à moindre coût qu'un tournage classique. Evidemment il ne faut pas qu'il n'y ait plus que des films de ce type parce qu'il ne faudrait pas que les pouvoirs publics sautent là-dessus pour résoudre leur problème budgétaire.
Vincent Lanoo : Nous-mêmes, réalisateurs, devons être attentifs au fait que ce type de films ne puisse être utilisé par les producteurs pour sous-payer les techniciens de manière générale. On doit être attentif au fait qu'il s'agit de situations exceptionnelles dans une carrière. Soit qu'il s'agisse d'un premier film ou d'un film différent (ce type de film offrant une plus grande liberté) entre deux films réalisés avec des budgets classiques.
F. S. : C'est aussi le moyen de réaliser un film entre deux projets qui, étant donné la lourdeur du système, font qu'un réalisateur ne tourne que tous les trois ou quatre ans. Un peu comme Kiarostami qui a tourné Ten, avec de petits moyens, entre deux films, en gardant présent son projet artistique. Réduire les coûts de production en tournant en DV-Cam et en préservant ses ambitions esthétiques n'empêche pas la production courante de subsister.
V L: Je remets actuellement un projet de low budget, de gros low budget, à la Commission de sélection (au deuxième collège), mais cela suppose que le producteur ne surbudgétise pas le projet. Cela veut dire que si le chef. Op. coûte 1.000 euros on ne l'inscrive pas à 2.000 euros pour gonfler en fin de course le pourcentage du producteur, dans le plan de financement du film. Actuellement avec un film au budget moyen on peut réaliser quatre films low budget . Cela veut aussi dire qu'on travaille différemment, que le travail de répétition est plus important ou que l'on n'est pas obligé d'écrire pendant six mois -- parce que cela coûte cher d'écrire - un scénario dans ses moindres détails.
F S : Il y a aussi l'idée qu'on puisse financer un long métrage à cent pour cent en Belgique. Et pour cela il faut réfléchir à la complémentarité des modes de financement entre eux pour arriver à dégager une philosophie et une diversité dans la création et la production. Par exemple, si on parle de tax shelter, il est frappant que les seuls interlocuteurs qui ont mis cette loi au point ont été les producteurs. Avec le risque que la seule logique économique l'emporte. En France lorsque les Soficas ont été créées il y a toute une série de garde-fous qui ont été mis en place pour défendre le cinéma français. La France voulant défendre non pas le cinéma commercial français mais l'industrie du cinéma français ce qui est différent. Grâce aux dispositifs mis en place autour des soficas on constate que le système a profité essentiellement aux films faits par des réalisateurs français ou initiés par des producteurs en France et non pas par des productions américaines qui sont venues tourner en France. Lorsque Patrick Quinet disait, lors du dernier bilan de la Commission, que l'arrivée de la logique économique du tax shelter supposait qu'il faille renforcer parallèlement la logique culturelle, c'est-à-dire la Commission de sélection, on le suit totalement sur ce point - encore que le tax shelter doit aussi pouvoir bénéficier à notre cinéma d'auteur cad qu'il y ait dans le système du tax shelter des balises pour qu'il ne profite pas qu'aux seuls films assurément commerciaux.
Il y a aussi un autre aspect sur lequel on insiste, outre les nombreux jeunes réalisateurs, dont les courts métrages ont été primés en Festival et qui n'arrivent pas, faute de moyens, à monter leur premier long métrage, il y a des réalisateurs confirmés qui comme Yves Hanchar ou Harry Cleven, ont beaucoup de difficultés à poursuivre leur travail.
La Commission du film
F.S. : Dans pratiquement tous les pays européens il y a des commissions d'avances sur recettes. La Commission qui siège en Belgique a plusieurs spécificités. C'est une commission qui examine toute une série de projets à caractères très différents : documentaire, court-métrage, long métrage, fiction télévisuelle, aide à l'écriture. Son budget est d'autant plus insuffisant qu'il a comme objectif d'aider toutes ces démarches cinématographiques. Alors qu'en France ou dans d'autres pays, l'avance sur recettes n'aide que les longs métrages. Il y a d'autres pistes pour le documentaire ou l'aide à l'écriture. Ceci étant, puisque les budgets ne suivent pas, la Commission reçoit de plus en plus de projets à examiner d'où l'adoption de nouvelles règles avec lesquelles nous sommes en désaccord, comme par exemple la loi de la majorité simple qui est remplacée par la loi des 2/3 des voix des membres de la commission. Ou encore que les projets refusés ne puissent plus se représenter sauf si la commission elle-même en donne l'autorisation. Pourquoi est-on contre ces deux mesures prises récemment ? Parce que la mesure des 2/3 transforme la commission en un organe consensuel. Ce ne sont pas les projets artistiques les plus novateurs qui obtiennent les 2/3 des voix. Si l'on examine l'Histoire du cinéma belge, on constatera qu'un grand nombre de films parmi les plus réputés n'aurait pu voir le jour s'ils n'avaient pu se représenter devant la Commission, après un premier refus.
VL : Il y a un autre problème. Cette fameuse règle des deux tiers provoque des situations compliquées. Si jamais on me refuse un projet avec cinq voix pour et quatre voix contre et si on me dit de le retravailler. Ce sera en fonction de quoi, de quel avis ? De la majorité qui était pour ou en fonction de la minorité qui était contre. On va dans quel sens ? Dans son sens à soi ? Mais ce sera le projet qu'on vient de remettre. C'est un des effets pervers de cette règle.
Montage financier
V.L. : Plus on a de partenaires financiers dans le montage d'un film, au plus la gestion est compliquée c'est compliqué à gérer au niveau de la création. Si un film avait besoin de l'aval de dix RTBF, on ne serait pas sorti de l'auberge. Parce que ces gens donnent leur avis et demandent de retravailler les scénarios. Ton projet risque de devenir ridicule et toi complètement schizophrène. Les partenaires financiers multiples c'est possible au niveau français parce qu'ils ont la possibilité d'avoir des castings intéressants. Le cinéma belge, On peut presque dire aujourd'hui, qu'au niveau national, le cinéma belge n'existe pas. Tout en existant au niveau international et de très jolie manière. Le cinéma français existe au niveau national, lui.
Tax shelter
Il faut savoir que si l'on veut renforcer la logique économique (via le tax-shelter, via Wallimage), il faut aussi renforcer la logique culturelle. Sinon on rentre dans une logique où il risque d'y avoir de plus en plus de projets à caractère commercial et cela risque de faire basculer la cinématographie. En Australie, par exemple, explique Jean-Jacques Andrien, qui connaît bien le problème, les producteurs ont le choix entre deux systèmes : le système commercial et le système culturel.Deux guichets, en somme, étanches l'un à l'autre, et lorsqu'on choisit son guichet on va jusqu'au bout de l'option que l'on a choisie mais on ne peut pas changer de voies ou voguer sur les deux à la fois. C'est l'une ou l'autre ! Par projet évidemment. Là-bas, les choses sont claires.
VL : Le projet de low-budget que je remets à la prochaine Commission, est une espèce de road movie avec un concept particulier autour duquel il y a l'idée de la promotion. C'est un film pour adolescents. Quand j'étais ado., j'avais envie de voir certains films parce que j'avais l'impression qu'ils me comprenaient. Aujourd'hui, j'ai envie de renvoyer la balle. J'ai donc imaginé un film low budget avec une logique économique que je pousse plus loin que celle du financement du film puisque je propose en parallèle de celui-ci, une émission quotidienne de cinq minutes pendant toute la durée du casting, des répétitions et du tournage, qui soit réalisée par une équipe qui se comporte de manière agressive. Une sorte de making off quotidien. C'est une idée de promotion mais qui reste dans une logique économique et où donc le tax shelter peut très bien fonctionner malgré toutes les réserves que l'on a vis-à-vis de celui-ci.
F.S : Ce n'est pas l'idée du tax shelter, notion avec laquelle je suis tout à fait favorable --bien que j'eusse préféré que la concertation soit plus démocratique, se fasse entre davantage de protagonistes qu'entre les producteurs et le Ministre de l'économie--- ce sont les modalités de son fonctionnement qui permettent notamment -d'après JC Batz - des dérapages. Je suis entièrement favorable à ce qu'il y ait une logique économique qui se mette en place mais pas au détriment de la logique culturelle. Ce qui me pose problème c'est qu'il n'y ait pas eu de réflexion pour essayer d'articuler les deux logiques.
V.L. : Il y deux possibilités avec le tax shelter. Soit les prestataires de services ont plus de boulot, sont mieux payés et grâce à cela des films belges petits budgets se développent. L'autre possibilité c'est qu'ils soient submergés et n'aient absolument plus besoin de nous.
F.S : Et puis, il y a un dernier point qui n'a pas été éclairci. Le tax shelter pose la question de la garantie de bonne fin qui assure à l'investisseur que le film soit livré. C'est une clause de type anglo-saxonne qui permet de virer le réalisateur et même le producteur en cours de production. Il faudrait au moins une assurance qui respecte le droit d'auteur tel qu'il est prévu par la loi Lallemand, c'est-à-dire par la loi belge. Nous avons demandé au comité de concertation qu'un groupe d'accompagnement soit crée pour les modalités d'application du tax shelter. On va voir si notre proposition sera acceptée ou pas.
Télévision
V. L. : Reste la télévision. Que celle-ci vienne chercher de l'argent à la Commission c'est tout de même un peu lourd. Ou alors qu'on crée une commission particulière pour le téléfilm avec de l'argent qu'on imputerait directement au budget de la RTBF. Sans parler du problème des fictions nationales. La RTBF est la seule télévision d'Europe à ne pas produire ses propres fictions nationales. Là encore, dans ce secteur, des séries réalisées suivant le modèle du low budget pourraient être une manière de conquérir un public jeune et de dynamiser notre production.
Promotion
F.S. : Il y a un vrai déficit de promotion. C'est intéressant parce que ce n'est pas comme pour le financement c'est une question d'état d'esprit et de philosophie. C'est un problème d'autant plus important qu'aucune cinématographie au monde ne peut fonctionner uniquement sur la reconnaissance du Festival International de Cannes. Ce qui se passe partout ailleurs c'est qu'on est d'abord reconnu chez soi avant d'être reconnu à l'étranger. Ici on a le système inverse : pour être connu chez soi il faut être distingué à l'étranger. Du moins du côté francophone parce que du côté flamand ce n'est pas pareil. Il faudrait que la promotion de la RTBF ne se fasse pas uniquement lorsque le film sort en salles mais aussi en amont de sa réalisation : lors de son tournage, de sa postproduction. Il faut créer, de la part du spectateur de la curiosité vis-à-vis d'un film qui ne sortira sur écran que bien plus tard. Et pour y arriver il convient que le cinéma belge bénéficie d'une meilleure visibilité télévisuelle afin d'habituer le spectateur aux films et aux comédiens issus de notre communauté.
V.L. : Personnellement, je pense à la promotion du film au moment de sa conception. En France on engage souvent un attaché de presse ayant le scénario en main dés la préproduction du film. Il y a également une idée que l'association a envie de développer qui est l'idée d'un cinéma des cinéastes. L'association pourrait être active dans ce domaine. On pourrait créer un cinéma des cinéastes, comme cela existe en France. Il faut savoir que la plupart de nos films sont projetés à Paris au cinéma des cinéastes. Pourquoi ne pas reprendre l'idée chez nous ? On essaiera d'y intéresser le public avec le meilleur pop corn d'Europe. J'ai d'excellentes recettes !
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