Au pays des merveilles
Parfois dans la grisaille des films qui collent à notre quotidien, surgit un film rare qui nous éclaire comme un soleil et nous fait ressentir ce que la vie a de beau et de libre. Lettre d'un cinéaste à sa fille, le dernier film d'Eric Pauwels, est de cette qualité - là et touche à ce que le cinéma a de plus de fort et de plus vrai.
Véritable tour de force d'écriture, en état de grâce permanent, cette lettre cinématographique au "je" si personnel, dépasse de loin le simple propos d'un père à sa fille. Elle réussit à nous rendre manifeste, au-delà de toute attente, l'essence même d'un savoir fragile fait…
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La mondialisation par le petit bout de la lorgnette
En 1999, Levi's, la première marque de jeans au monde, qui a attaché son nom à plusieurs générations grâce à une image de liberté, d'aventure et de rébellion, met en place un plan de restructuration radical. Au programme, la fermeture de dizaines d'usines, dont treize aux Etats-Unis et, pour ce qui nous concerne, trois en Belgique et une en France. Raisons invoquées: surproduction, coûts trop élevés, baisse des ventes de jeans. Mais alors qu'elle avance, la main sur le cœur, ses difficultés économiques, la multinationale crée des filiales en Turquie et en Amérique latine, et sous-traite sa production…
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La prisonnière ?
Une mer noire de nuit, gonflée d'une vague lourde et lente qui roule, houleuse de tensions retenues, puis chute, s'écroule pour recommencer encore et toujours ce même mouvement immuable et comme captif de lui-même.C'est avec cette image symbolique d'un présent hors du temps, obscur et brassé de ténèbres, que Chantal Akerman commence son dernier film, la Captive. Cadré à l'extrême limite de l'enfermement, ce premier plan situe d'emblée l'espace imaginaire de son récit, un lieu clos, au motif récurrent dont il est impossible de sortir.
Pourtant dès le second plan, Chantal Akerman oppose à cette impression…
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Terre de tourmentes et de martyre depuis bientôt dix ans, l'Algérie a besoin que se brise la chape de silence qui, peu à peu, s'est refermée sur elle.
Belkacem Hadjadj est l'un de ces courageux cinéastes algériens qui ont la rage de retourner au pays pour y tourner encore, et témoigner dans des conditions difficiles d'un quotidien bouleversé. Il s'attache ici aux pas de Soumicha, une mère de trois enfants qui, à la mort de son mari, pour faire bouillir la marmite, s'est lancée avec la R4 du défunt dans le métier de taxi. A Alger, l'histoire eût encore passé pour commune, mais là, loin dans l'ouest, au pied des basses montagnes de l'Atlas…
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Chronique d'une journée de la vie quotidienne de deux jeunes femmes, l'une belge, l'autre d'origine marocaine. Lynda et Nadia sont collègues. Tôt le matin, elles se réveillent dans leurs familles respectives et se préparent à se rendre au travail. Elles font le chemin jusqu'à Bruxelles dans la voiture de Lynda. A midi, pour oublier un peu l'abrutissement de ce boulot répétitif de télé-opératrice, elles s'échappent pour aller faire les boutiques chics de l'avenue Louise et l'avenue de la Toison d'or. Pour regarder, bien sûr. Le soir, elles reprennent l'auto et retournent à la maison…
En filmant cette complicité quotidienne…
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S'emparant d'une situation directement empruntée à l'actualité, la lutte des sans-papiers, sans logis, le réalisateur et scénariste Luc Bourgeois profite de ce cadre pour monter en spirale la prise de position en leur faveur d'un curé sensibilisé à cette détresse.
Au hasard d'une confession tardive, notre curé sera mis en contact avec Jojo l'Anguille, spécialisé dans le vol de toiles de maîtres. De cette rencontre incongrue naîtra dans la tête du confesseur l'idée d'organiser le vol (une gentille escroquerie à l'assurance) d'un tableau du XVIe°siècle, fierté de sa petite église, pour faire face…
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Une mise en situation par des images d'actualités retraçant la guerre 40-45, l'occupation et la libération finale pose le film, dès le générique, sur le plan de la mémoire.
Un grand-père et son petit-fils devisent en se rendant à l'enregistrement public d'une émission de radio ayant pour invité un auteur racontant ses proustiens souvenirs de guerre (son seul souvenir de guerre est que son gâteau promis pour ses dix ans lui fut ravi par la Libération). La superposition des trois personnages, l'enfant, le grand-père et l'écrivain onaniste, nous mène vers un questionnement par rapport au vécu, sa transmission et l'Histoire avec un…
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Contre l'oubli
Il y a d'abord le noir et le silence, puis vient la mémoire, la mémoire de la douleur et cette alchimie particulière de celui qui se souvient au fil du temps, de ses rencontres et de ces moments fragiles où dans l'écoute de l'autre, disparaissaient soudain cette pesanteur du silence, cette peur des mots trop lourds à porter et cette angoisse des ténèbres. C'est seulement alors, dans cet instant du souvenir, que peuvent naître les sons et les images, les intentions et les enjeux, et cet art du cinéma qui nous fait prendre corps avec celui qui raconte et partager avec lui un instant de résistance à la noirceur du monde.
Wild Blue, le dernier film de Thierry…
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Heartbreak boucherie
Il y a Rita. Il y a sa mère, Nicole. Il y a la petite boucherie familiale que Nicole tient à bout de bras sans pouvoir l'empêcher de péricliter, seule, depuis la mort de son Léo de mari, il y a dix ans. Entre les deux femmes, ce drame (la mort du père) pèse. Les blessures du quotidien, sans cesse exacerbées par les peines de l'absence et la culpabilité diffuse, finissent par empoisonner l'atmosphère au point de la rendre invivable. Pour Rita, une seule solution: s'en aller. Sa mère, elle, est terrifiée à l'idée d'envisager cette hypothèse. Que faire quand, pour se dire qu'on s'aime, la douleur ne laisse que les mots nés…
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L'affaire Lumumba fut vécue en Belgique comme l'épisode le plus douloureux de la décolonisation. Chez les bourgeois, on se souvient encore de la "haine hystérique" soulevée contre "ce nègre à barbiche de chèvre".
A gauche, l'indignation provoquée par le traitement réservé au "frère socialiste, immolé pour cause de communisme", prévaut encore.
Il a fallu près de quarante ans pour qu'on ose enfin s'interroger officiellement sur la part de responsabilité des autorités belges dans ce monstrueux assassinat. Et au Congo, les répliques des convulsions qui agitèrent le pays sont toujours discernables dans ses déchirements d'aujourd'hui.…
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Madame de Maintenon et ses filles
A la fin du XVIIe siècle en France, Madame de Maintenon, devenue à force d'intrigues l'épouse du Roi Louis XIV, réalise son rêve: créer une école où 250 jeunes filles nobles mais désargentées ou orphelines de guerre recevront la meilleure éducation afin de les préparer au monde. Acquise à l'idée de former une élite féminine, elle veut selon ses termes "le contraire d'un couvent: un lieu où les idées bouillonnent, où souffle l'esprit".
Mais les années passent, les petites filles deviennent de jeunes femmes auxquelles ces messieurs de la cour commencent à s'intéresser…
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Famille je te hais
Sophie, post-adolescente roulée dans la fausse soie d'une petite vie bourgeoise, vivote en solitaire malgré la présence financière d'un petit copain emballé bcbg et aussi passionnant qu'un mauvais épisode de Dallas. Un matin, des flics lui apprennent que son père, cavaleur notoire et qu'elle n'a pas vu depuis dix ans (on découvrira par après que son passé familial est loin du rose aimant) est recherché pour meurtre et reste introuvable.
Au commissariat, elle se découvre une demi-soeur, sorte de ready-made de jeune beur dont la phrase slogan et qui la résume totalement claque toute les vingt secondes : "J'en ai rien à foutre". Leur…
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Epouvanté par l'hypocrisie générale du pays, et le sens des conventions d'une bourgeoisie étriquée qui méprise artistes et écrivains, Charles Baudelaire s'écrie : " En Belgique pas d'Art ; l'Art s'est retiré du pays. Pas d'artiste excepté Rops " (1). Et d'ajouter dans un sonnet : " A dire là-bas combien j'aime/ ce tant folâtre monsieur Rops/ Qui n'est pas un grand prix de Rome/ Mais dont le talent est haut comme/ La pyramide de Chéops " (2).
Félicien Rops, un artiste dans tous ses états, qui a mis plus d'un siècle pour être reconnu dans son pays natal. Cette reconnaissance, on la doit en partie aux Muses sataniques, un…
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Premier mouvement : expérience.
Fin mai 99 avaient lieu à Bruxelles, dans le cadre du KunstFESTIVALdesArts, les rencontres " D'ici et d'ailleurs " qui réunissaient de nombreux artistes autour d'une même préoccupation : "comment les artistes et les intellectuels, toutes origines confondues, vivent-ils la pluralité des cultures à Bruxelles ou dans d'autres contextes urbains européens?" y trouvaient place plus particulièrement des entretiens avec des artistes étrangers vivant en Belgique et qui directement confrontés aux problèmes de l'exil ou du déracinement, en parlaient à partir de leur démarche artistique. Longues interviews où les interviewés…
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Y a-t-il un seul enfant nourri au sein de nos terroirs wallons qui n'aie pas dans sa mémoire le souvenir fugace d'au moins un livre d'Arthur Masson? Si je pose la question, c'est que l'écrivain fait chez nous figure de phénomène littéraire, avec certains de ses romans ayant largement dépassé le chiffre ahurissant, pour un auteur patoisant de Wallonie, de 100.000 exemplaires vendus.
Et moi aussi, parlez-moi de Toine Culot, de Thanasse et Casimir, de Barrettes et casquettes, et c'est des pans entiers de mon enfance qui me reviennent en tête, avec une formidable faculté d'évocation, pour me chatouiller la gorge, le nez, les oreilles et les yeux. Gérald Frydman n'est sans doute…
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