Sans économie
Philippe Simon est un drôle de pistolet. Cinéaste, libraire à l'occasion, voyageur impénitent (cinq mois par an il parcourt le monde à pied, sac au dos), critique de cinéma (les lecteurs de Cinergie connaissent bien ses emportements), il n'arrête pas de bouger et de s'exprimer. Les titres de ses films en disent long sur ses convictions : Tu peux crever, Flinguez-moi tout ça, On est tout seul dans son cercueil. Le petit dernier, Sans réserve, une vidéo de 50' lui ressemble en tout point.
Le premier plan annonce le propos du film sans ambiguïté : un mur qu'on démolit, en voix off : "je pourrais commencer par ce rêve". Gros plan sur les yeux de Géronimo,…
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Cette volonté d'expliciter son sujet, qui ramène souvent la démarche documentaire à un travail trop didactique, nous la retrouvons à un autre niveau dans le dernier film de Frédéric Fichefet. Dans Al Qantara ou vacances d'exil, ce dernier s'attache à suivre Moktar, travailleur marocain immigré en Belgique et qui, à toutes les grandes vacances, retourne au Maroc.Très vite, il cerne le sujet de son film, l'exil, ici, là-bas et pour toujours.
Très vite, il trouve une mise en scène adéquate et un point de vue personnel qui créent tension et intérêt et font exister personnages et voyage. Hélas, une fois au Maroc, Moktar lui échappe, refuse…
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Dans le témoignage documentaire, Jean Timmerman franchit une étape supplémentaire en plantant, sa caméra directement au cœur de l’action. Celle-ci se situe en pleine Amazonie, au nord ouest du Brésil, près de la frontière bolivienne, dans l’état de Rondonia. La lutte partagée est celle des paysans sans terre et le constat est celui d’un échec programmé : celui de la réforme agraire.
Des gens sont là, lâchés en pleine Amazonie sans moyens de subsistance, dans l’attente de se voir allouer les terres qui leur ont été promises dans le cadre de la réforme agraire. Mais elles n’arrivent pas, monopolisées qu’elles sont par les…
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Un roi à Bruxelles
"N'écoutez pas ce type. Quoiqu’il dise, c'est un salaud, un sale escroc. Vous n'aurez que des ennuis avec lui !", s'exclame Safi, une jeune étudiante zaïroise, en s'adressant à Mayele. Le salaud c'est Viva-wa-Viva, un jeune sapeur de Mantongé qui essaye d'escroquer Mayele. Celui-ci n'étant pas dupe, Viva empoigne rageusement Mayele par le col à l'instant même où Van Loo, le commissaire adjoint de la police, surgit devant le trio en leur réclamant leurs papiers d'identité.
Prestement, Viva-wa-Viva se dégage et s'enfuit, poursuivi par Van Loo. Cloué sur place, Mayele demande à Safi : "Ça va ?" Elle…
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J'ai failli titrer : L'Incroyant. J'ai hésité puis y ai renoncé. Après tout si le cinéma cessait de me fasciner, de garder, à mes yeux, un aspect magique sinon ludique, je n'y consacrerais pas autant de temps. Comme toute représentation ou toute fiction, le cinéma fait appel à la croyance. Sa mise en boîte, le tournage, est une liturgie complexe, une sorte d'ars perfecta - l'art parfait d'embaumer le temps - dans laquelle il est difficile pour un outsider de participer surtout s'il est photojournaliste, c'est-à-dire, par métier, un incroyant.
Un tournage, ce n'est pas seulement une équipe au sein de laquelle chacun a un rôle précis et le…
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"De l'homme à l'homme vrai, le chemin passe par l'homme fou". Michel Foucault, Histoire de la folie.
Mardi 17 juin. 15 heures. Nous arrivons à Lerneux, un village de l'Ardenne. Karine de Villers, la productrice exécutive du film, gare sa Renault 5 dans le Parc de l'Hôpital psychiatrique. Le ciel s'obscurcit, on va éviter, de justesse, l'averse qui s'annonce. Nous entrons dans la cafétéria. Manu Bonmariage y tourne l'un des derniers plans de la journée. Sur une estrade, une dizaine de personnes chantent en choeur Etoile des neiges, accompagnés par la guitare de Maddy, une animatrice. Ils ont le texte des chansons dans les mains et s'il n'y avait le regard un peu trop fixe…
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"L'amour est la seule passion qui se paye d'une monnaie qu'elle fabrique". Stendhal, Fragments divers.
On se fait une répétition?" lance Guillaume Malandrin, l'assistant. Nous sommes, au carrefour des boulevards d'Ypres et de Dixmude, à Bruxelles.
Après la coupure du déjeuner, l'équipe du Sourire des femmes reprend le travail. C'est une équipe jeune, on sent qu'ils se connaissent bien, la plupart d'entre eux ayant travaillé avec le réalisateur sur le tournage de Terre natale. Lors du plan précédent, distrait par le spectacle d'une fille à moto, la BMW d'Etienne, un jeune homme d'une vingtaine d'années, a percuté la rutilante Mercedes…
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Nous sommes en compagnie de Manuel Poutte qui termine le montage du Miracle de la Saint Alba, un long métrage de fiction qu'il a réalisé et dont il nous montre quelques séquences achevées. Un jeune homme, appelé Donissan en hommage à Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos, cadré en plan large, entre dans une église qui paraît à l'abandon. Il range quelques chaises dans la nef principale, époussette un crucifix accroché aux murs, remplace les cierges consumés par des cierges neufs. Puis, il monte sur une échelle pour nettoyer un vieux tableau poussiéreux: un triptyque dont les deux volets latéraux repliés sur celui du milieu empêchent de découvrir… Lire l'article
Lucien et les siens
On se met au départ, la figuration!" lance Alexandre, l'assistant, d'une voix de stentor. Des figurants, hommes et femmes, en tenue de soirée déambulent autour de blocs vitrés exposant des chaussures féminines au stylisme extravagant. Des serveurs en livrée blanche se glissent parmi les invités pour leur offrir des rafraîchissements. Nous sommes au milieu de la salle de l'armée de l'air au Musée du Cinquantenaire, entourés de tas de vieux zincs : des biplans et des monoplans de 14-18, un Spitfire, un Messerschmitt 108 de 40-45, un hélico Huey Cobra US, etc., posés au sol ou suspendus dans les airs à l'aide de câbles.Avec son toit de verre l'endroit…
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De bruit et de douceur
Premier volet d'une série d'entretiens sur les métiers du cinéma, Cinergie ouvre le feu dans ce numéro avec le son, et plus précisément le bruitage. Un choix qui permet de tracer un trait d'union avec le vidéogramme les Coulisses du réveil (voir article sur la mallette pédagogique), consacré à la fabrication du film le Réveil, dans lequel précisément le bruitage, réalisé par Marie-Jeanne Wyckmans, tient une place primordiale.
Elle claque les talons, frappe du poing ou caresse du bout des doigts selon les humeurs des personnages. Marie-Jeanne Wyckmans est bruiteuse. Depuis plus de dix ans, on retrouve son nom sur les génériques…
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Le gardien de l'ange
La chambre d'un bordel. Eclairage aux néons, un peu glauque. Sur un canapé usé, Max et Bobo. La prostituée s'est éclipsée. Les deux hommes attendent heureux qu'elle revienne avec des préservatifs. Soudain, Harry, son mec, surgit revolver au poing, avec un air d'apache, terrorisant nos deux loulous dont l'expression d 'effarement se transforme en peur. Harry oblige Bobo à aller chercher le butin de leur casse en gardant Max en otage.La caméra cadre Harry, revolver au poing, de face à mi-hauteur. Max est en amorce, dans le coin droit du cadre, recroquevillé sur lui-même dans le canapé. Frédéric Dumont, l'assistant, réclame…
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"Se réfugier dans un pays conquis et ne pas tarder à le trouver intolérable, car on ne peut se réfugier nulle part". Franz Kafka, Journal.
"...La digestion commence dans la bouche, avec la mastication" dit Claudia en coupant de maigres et rares aliments dans de petites assiettes: une carotte, une sardine à l'huile, une asperge. A sa droite, Philémon observe ses gestes avec attention et gourmandise. Nous sommes dans une villa de la côte belge, à Coxyde. La pièce ressemble à une maison de poupées encombrée d'objets hétéroclites, de jouets, de peluches, de morceaux de puzzle épars, d'images pieuses. Au plafond, un ruban encollé de papier tue-mouches déroule…
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L'amour du jeu
La nuit. Dans un bar. Stella, la tenancière, est derrière le comptoir, de l'autre côté, face au miroir, Marthe, une cliente. Bols entre et s'approche de Marthe. C'est visiblement un habitué des lieux. La nuit est sa "cup of tea", elle apaise ses angoisses existentielles.
Il est euphorique, Marthe s'en aperçoit et attaque les yeux rivés sur ceux de Bols: "je parie tout ce que tu as sur toi que je te paie le champagne avant ce soir!". "O.K., sors ton pognon!", répond Bols.
Et il prend un paquet de cartons de bière les place sur le bord du comptoir puis, d’un revers de main les lance et les rattrape avec un sourire triomphant. Marthe en souriant fait la même chose. - Quitte ou…
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Le hall d'arrivée de l'aéroport de Zaventem, une après-midi du mois de mars. Un flot de voyageurs pressés encombrés de bagages se dirige vers la sortie. À contre-courant, un cameraman, Arriflex BL à l'épaule, enregistre l’événement tandis qu'un assistant éclaire le plan à l'aide d'un Quartz. Cela ressemble à une équipe de télé filmant, dans la bousculade, l'arrivée d'un chef d'état européen. Et c'est cette tonalité-là que George Sluizer, le réalisateur, veut donner au plan de l'arrivée à Bruxelles de James Morton. Un peu en retrait, appuyé sur une canne, il surveille… Lire l'article
Tempo Ma Non Troppo
Elle a débuté dans les années 70 en assurant le montage son de Home Sweet Home de Benoît Lamy, avant de "retailler" et assembler de nombreux longs jusqu'à Abracadabra et Je m'appelle Victor. Ancienne élève de l'INSAS, Susana Rossberg traverse allègrement tout le ciné belge de ces deux dernières décennies sans pour autant désavouer deux fidelités, Marion Hänsel et Jaco Van Dormael. Coupes et découpes sur le travail de montage.
Cinergie : On pourrait peut-être commencer par définir ce qu'est concrètement le montage.Susana Rossberg : Pendant le tournage, on enregistre, on le sait, une très grande quantité de plans, tout…
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