Cartographie
Ulrike Knorr est un personnage quelque peu deleuzien, nomade, préférant un parcours moléculaire à l'exploration des machines molaires, la déterritorialisation, la bifurcation. D'où l'impression d'une fille insaisissable qui vous glisse entre les doigts dès que vous essayez de la déchiffrer (la décoder ou la codifier sont deux expressions que nous n'oserions utiliser tant elles sont antinomiques de ses agencements). Née à Dresde (1), dans l'ancienne Allemagne de l'Est, déboussolée par l'Ouest où l'argent est fétichisé comme nulle part ailleurs, Ulrike a fui les clichés comme la peste pour atterrir à Nashville…
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Van Volxem
Pas beaucoup de passage dehors. Normal. C'est un matin gris et pluvieux qui vous fait patauger dans les flaques d'eau ou la boue. Dans la cour du 264, avenue Van Volxem, un mec en jeans et parka à capuche couleur de la US Army nous regarde d'un air suspect. Brrr. Nous bredouillons que c'est pour le tournage. Il nous lance un regard las, tourne le dos en haussant les épaules, ouvre la grille et quitte les lieux. Un chat miaule mais nous n'arrivons pas à décrypter son message.
Nous nous décidons à faire coulisser la porte d'une sorte de hangar plongé dans la pénombre. L'endroit est vaste et à moitié vide. Nous avisons une ombre et nous précipitons sur une forme humaine…
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Plic ! Ploc ! Un petit crachin parsème de minuscules gouttes de pluie les verres de nos lunettes. Des morceaux de silence surgissent brisés par le crachotement d'une moto lointaine. Ce qui ne nous empêche pas de descendre sur les pavés mouillés la rue des Trois Tilleuls, au risque de glisser et de nous étaler sans personne pour nous relever tant l'endroit est désert, comme une ruelle désaffectée peuplée de chats errants au poil hirsute. Hou hou, les rafales de vent se mêlent aux aboiements des chiens de garde. Des feuilles mortes gisent au milieu de dépliants publicitaires souillés.
Des lumières commencent à s'allumer, petits points blancs qui clignotent…
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L'ange exterminateur (Le cinéma m'a donné le monde. Vidiadhar Surajprasad Naipaul)
Les feuilles d'automne flottent au vent ou se collent à la terre grasse des trottoirs - si, si, vous avez bien lu les trottoirs sont en terre -, dans une rue au nom étrange : la rue du Mystère. Bizarre ? Vous avez dit bizarre, mon cher cousin ? Comme c'est étrange ! Non.Nous ne vous emmenons pas dans Drôle de drame ni chez Edgar Poe mais dans Mamaman, un court métrage que tourne Iao Lethem dans le bas de la rue du Mystère, la plus escarpée de Bruxelles, qui serpente de haut en bas et vice-versa le Parc Dudden.
Sac à dos en bandoulière, mains dans les poches, Julie (Circé Lethem)…
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Fuyant une lumière du jour plombée de nuages gris, nous nous engouffrons dans les couloirs du métro bruxellois, auberge espagnole de notre temps, pour nous saouler de néon, les oreilles pleines du vacarme des rames. Un SDF passe de wagon en wagon en hurlant sa douleur et en tendant aux voyageurs une sébile en carton bosselée, griffée Coca-Cola. La misère des pays développés.
En espoir de cause
Nous accordons un regard distrait à la girl vautrée sur le fauteuil d'en face qui exhibe ses jeans dirty customisés grâce à des patches en cuir et des peintures au pochoir, un anneau dans une narine, les cheveux tressés de dreadlocks. Station Arts-Loi, nous descendons. Le CBA n'est…
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"Karl Kraus avait raison de penser que la pire espèce de mal est l'accoutumance au mal et que la tolérance dont bénéficie la corruption est une chose plus grave que la corruption elle-même."
Jacques Bouveresse.
Interrogatoire
Vous aimez Howard Hawks ? Mouais, Rio Bravo, Rio Lobo, Rio Dorado, heu, El Dorado. J'adooore, Giga ! Et Faulkner, le mec à l'épi de maïs dans Sanctuaire, Woofti quel polar ! Putain, ça m'a scié ! Sur le tournage de la Terre des Pharaons, en Egypte, Hawks avait fait venir Faulkner à l'Hôtel Mena House. Un mois plus tard, Harry Kurniz, le producteur exécutif, est secoué de convulsions. Hawks se précipite et s'aperçoit…
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La vie est un songe éveillé. Le rêve, lui, tout à la fois régresse vers l'amont et galope vers l'aval (...) Oui, le rêve délie le temps.
Jean-Bertrand Pontalis, Ce temps qui ne passe pas - Greenwich
Avenue Louise au mois d'août. Chic. Bof ! Les trottoirs sont bondés, les gens sont pressés et en tenue légère. Personne ne prête attention à qui que ce soit, hormis votre serviteur qui, sirotant son café matinal à la terrasse d'un glacier, observe les allées et venues de filles en mini-jupes girly ou en jeans Dolce et Gabbana et en top, au rouge à lèvres fuchsia ou indigo assorti aux ongles des mains ou des pieds, à la démarche…
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Documentariste à la tête d'une filmographie qui se décline comme un jeu de l'oie sur la Belgique, Richard Olivier n'arrête pas de fixer sur pellicule (cinéma, photo et depuis peu vidéo numérique) les curiosités, les révoltes, les coup de gueule ou de tendresse que lui inspire ce pays secret qui dissimule son identité en cultivant un folklore où l'autodérision le dispute aux nunucheries kitsch de tout acabit.
Cinéaste d'intervention, mousquetaire et bretteur, électron libre, n'appartenant à aucune chapelle, tenant les institutions pour suspectes, Richard Olivier est tout sauf consensuel dans un pays et à une époque où le consensus est devenu…
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La ville dont les princes sont des artistes
A l'Ouest, si vous êtes un poète ou un créateur la vox-populi de la post modernité célébrant un savoir préfabriqué vous prend au mieux, pour un mec complètement ringard au pire pour un mec tout à fait gaga. Absolutely, guys ! "C'est un artissse " dit-on à Bruxelles, avec l'index pointé sur la tempe. Bref, vous êtes et, surtout en Belgique, ultramal dans votre statut social. Danis Tanovic, le réalisateur bosno-belge de No man's land expliquait récemment à un journaliste français que, dans notre pays, un plombier était plus considéré qu'un artiste.
Woofti ! Que faire si vous…
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Jeudi 16 mai
Pour y arriver, il faut quitter le royaume des fripes débraillées, trashy, l'antidote au devenir-fringues siglées Calvin Klein ou Ralph Lauren : le stock américain de la rue des Alexiens (haut lieu de la culture rock), tourner à gauche dans la rue du Midi. Passé le porche de l`Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, la concierge nous invite à suivre un parcours que depuis notre adolescence nous n'avons plus guère fréquenté. Le couloir n'a pas changé, il est toujours plein de répliques de statues grecques. Un Hermès, une Vénus, une Artémis de Praxitèle donnent leur cachet à l'endroit sous le regard indifférent de jeunes gens…
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Tout se passe comme si chaque guerre avait sa " personnalité " propre qui crée pour les enfants des conditions de blessure et de réparations différentes (…) Ces enfants mûrissent trop tôt parce que, ayant été rendus sensibles aux malheurs, c'est qu'ils savent mieux le voir.
Boris Cyrulnik, les Vilains Petits Canards
Avec le Temps Avec le temps va, tout s'en va, peut-être pas. Symbolisé par le Guernica de Picasso, la guerre civile espagnole a suscité une littérature abondante célébrant les faits héroïques des républicains et des brigades internationales. Quelques films ont été réalisés, à mi-chemin entre le documentaire…
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"J'ai connu des gens, en particulier des femmes, qui sans tomber dans la folie, la psychose ou la névrose, vivaient dans un univers où les choses ne se passaient pas comme pour tout le monde." Julio Cortázar, Entretiens avec Omar Prego. Gallimard.
Mercedes et varilux
Personne ne saura jamais comment il faudra raconter ça, à la première ou à la deuxième personne du singulier, ou à la troisième du pluriel, ou en inventant au fur et à mesure des formes nouvelles. Raccord. Blow Up d'Antonioni, adaptation d'une nouvelle de Julio Cortázar intitulée les Fils de la vierge (las Babas del Diablo). Il y est question du flux de la réalité et de sa représentation. Du trouble…
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Deux à Deux
"Le fantastique est pour moi l'opposé de l'arbitraire : une voie pour rejoindre l'universel de la représentation mythique." Italo Calvino, Ermite à Paris.
XL
Yves Cantraine est un cinéaste rare et un personnage singulier.Réalisateur de cinq films trop peu connus à notre goût. Enseignant de cinéma, animateur d'un atelier d'écriture cinématographique et lecteur de Flaubert, Lacan, Deleuze et Rifkin (1), Yves Cantraine a tout pour nous plaire. C'est donc avec curiosité que nous nous rendons sur le plateau où il tourne le premier plan de son nouveau court métrage, au coeur d'Ixelles. Des nuages d'orage s'amassent à l'horizon.…
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La vie est ailleurs
Le temps humain ne tourne pas en cercle mais avance en ligne droite, c'est pourquoi l'homme ne peut être heureux puisque le bonheur est le désir de répétition.
Milan Kundera. L'Insoutenable légèreté de l'être.
Présents bien qu'exilés
On pourrait dire d'Eva Houdova qu'elle ressemble au personnage de l'un des romans de Milan Kundera. On pourrait dire qu'elle a l'allure tendre, déterminée et ironique de Sabina dans L' Insoutenable légéreté de l'être, un roman sur les variations - au sens musical du terme - de l'exil. On pourrait dire que le premier contact professionnel d'Eva avec le cinéma…
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Œdipe énergumène
Fermez l'œil et le bon. Imaginez un ciel gris plombé, pluvieux. Un crachin incessant. Le froid humide et cinglant du vent âpre de l'automne, son souffle. Un glissando pulsé comme un slap de Scott LaFaro, à la contrebasse pour faire rebondir le chorus entamé par Bill Evans dans Solar, feutré, exempt de tout vibrato. Avec une régularité de tempo coïncidant avec l'apparition d'un soleil hivernal qui donne de la lumière mais ne réchauffe personne. Ou si peu qu'il est inutile d'en parler. La sonorité du vent se fait plus ronde. Avec des silences pulsés comme les reprises légères des balais entre les doigts de Paul Motian aux…
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