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La Restanza réalisé par Alessandra Coppola

Publié le 27/01/2022 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Avant de nous transmettre le goût de la terre, le documentaire La Restanza, réalisé par Alessandra Coppola nous parle d’une valeur commune : l’accueil de l’autre par la transmission et le partage de gestes.

La Restanza réalisé par Alessandra Coppola

C’est dans cette lignée artisanale que le regard de la réalisatrice s’est posé sur un groupe de trentenaires du Sud de l’Italie refusant l’émigration vers la ville. Après avoir proposé aux propriétaires de terres non cultivées de partager leurs propriétés, ils transforment Castiglione en un lieu où l'on prend soin de la biodiversité et dans lequel les décisions sont prises en commun. Toutes et tous décident de rester, de résister, et de lier leurs vies à la terre. Plongée au cœur de cette aventure, Alessandra Coppola a recueilli les initiatives et combats de ces rebelles qui ont développé une économie de proximité pérenne, sociale, et écologique. 

Au milieu d’un champ à Castiglione d’Otranto à «l’heure tranquille où les lions vont boire», les petites mains terreuses donnent vie aux variétés prolifiques, délicieuses et locales des Pouilles. En hors champ, une voix nous parle des gestes ancestraux et produit une incursion critique en comparant notre rapport moderne au monde à une relation aseptisée où rien n’est vivant. Alessandra Coppola poursuit cette posture critique en alternant des images de rues vides et de maisons à vendre et des échanges entre des personnes lisant les offres d’emploi d’Amazon qui explosent, ou leur obligation à émigrer pour vivre décemment, et la nostalgie de leur pays d’origine. Et c’est cette thématique d’émigration des villages vers les villes qui va intéresser l’œil sauvage de la réalisatrice, thématique qu’elle éprouve au fil des séquences entre la recherche d’un vivre ensemble, d’un engagement local, et de luttes contre les séparatismes. Car à celles et ceux qui travaillent aux champs, au dévouement de ces villageois et villageoises, correspond un objectif vital, celui d’accueillir des migrants pour redonner vie aux villages et partager la richesse du brassage culturel autour de la mise en place d’un moulin communautaire. Le film suit dès lors les différentes étapes du développement de cette initiative collective et participative avec ces rencontres, ces doutes, ces moments de joie, et parvient à insuffler un sentiment puissant qui nous transmet une volonté profonde d’œuvrer aux changements.

Si la valeur de « partage » semble être l’une des thématiques du film, les multiples fissures initiées par la réalisatrice ne manquent pas d’apporter une dimension critique au film et interroge les rapports de l’image et son artisanat au politique. Tel est notamment le cas lors de la séquence de confrontation et d’immersion du film dans l’actualité télévisée d’une part et celle lors d’un meeting de Salvini.

La réalisatrice Alessandra Coppola cristallise son point de vue et son engagement dans les mots de la jeune trentenaire qui, face à une classe de jeunes, modifie le paradigme des rapports nord-sud et ville-campagne : « On peut repenser la campagne, qu’elle ne représente pas que l’effort mais un affranchissement de nos communautés ».

C’est dire si la campagne est une terre d’accueil et d’avenir dans laquelle celles et ceux que le système ne désire pas, les personnes rejetées par le capitalisme, les migrants et migrantes, les personnes âgées, peuvent réinvestir ce lieu comme point névralgique d’une société à réinventer. C’est précisément dans ces séquences d’échanges multiples (de regards, de services, de paroles, de gestes, …) que le sens politique de « rester » sur ces terres prend son ampleur, et devient un acte de résistance pour réinventer un autre système de société.

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