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Rencontre avec Rabab Khairy, coordinatrice de la carte Cinéville

Publié le 12/02/2023 par David Hainaut, Marwane Randoux et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

"Pour les petits cinémas, la carte Cinéville est une solution adéquate"

Lancé l'été dernier à Bruxelles à la demande des cinémas indépendants et du public, le pass de fidélité illimité Cinéville (21 par mois, 18 pour les moins de 26 ans) a d'ores et déjà atteint ses premiers objectifs, en se rapprochant de la barre des 3000 abonnés. Rabab Khairy, sa coordinatrice, dresse un premier bilan.

 

 

Cinergie : En quelques mots rappelez-nous : la carte Cinéville, c'est quoi ?

Rabab Khairy : Le pass Cinéville, c'est la carte qui permet de se rendre au cinéma dans toutes les salles d'art et essai (NDLR: pour l'heure à Bruxelles), sans devoir réfléchir au film qu'on veut voir, en se laissant aller vers des œuvres qu'on aurait pas vues si on avait dû acheter un billet. C'est aussi un pass qui permet de partager sa passion et d'appartenir à une communauté de "Cinevillers" - un aspect qu'on veut développer au maximum –, aussi à travers une éditorialisation de films projetés dans tous les cinéma coopérants, une newsletter. Et bien d'autres initiatives !

 

Cinergie : Avec 2.600 abonnés à l'aube de cette nouvelle année, vous êtes satisfaite ?

R.K . : Oui. Ce sont de premiers chiffres intéressants, qui correspondent à nos ambitions. L'engouement, qu'on ne croyait pas aussi fort, a été présent dès le départ. C'est bien la preuve que le public cinéphile attendait ça avec impatience, pour pouvoir se rendre le plus possible au cinéma. On a d'ailleurs reçu beaucoup de messages nous disant «Enfin, vous l'avez fait !», ce qui nous a bien sûr porté. Puis, ce pass permet aux cinémas d'art et essai de mieux comprendre les attentes et les habitudes du public, en vue d'adapter leur offre. Et trois cinémas (Aventure, Cinematek et Nova) ont donc pris le train en marche, rejoignant ainsi les Galeries, le Kinograph (NDLR: situé à Flagey), le Palace et le Vendôme.

 

C. : Avec ce Pass, vous ne faites donc jamais que reproduire un modèle existant et qui fonctionne paraît-il très bien aux Pays-Bas...

R.K. : Voilà. Notre rapprochement avec Cinéville Pays-Bas s'est fait très tôt, pour voir comment ils s'y prenaient, les étapes de leur développement et leurs résultats. Il faut savoir que là-bas, ça a commencé – un peu comme ici – avec cinq cinémas à Amsterdam en 2009, suite au constat d'une crise de fréquentation. Ils observaient un vieillissement des spectateur.ice.s des salles d'art et essai, et voyant que des abonnements d'autres types (comme Pathé) marchaient dans des circuits plus commerciaux, ils se sont dit qu'il y avait quelque chose à faire. Quatorze ans plus tard, 55 cinémas font partie du réseau Cinéville, avec 55 000 abonnés, ce qui équivaut à 1,5 million d'entrées par an. Et toutes les évaluations montrent que le public s'est tellement rajeuni que cela a rejailli sur toute l'économie de distribution d'art et essai. C'est donc un cercle hyper vertueux !

 

C. : Et ici, les jeunes ont déjà été touchés?

R.K. : Fortement ! On ne pensait pas qu'ils le seraient aussi vite. Pour vous situer, toujours aux Pays-Bas, le pic du public qui souscrit l'abonnement se situe à 25 ans, et plus largement, entre 20 et 30 ans. Et le deuxième pic se trouve entre 50 et 70 ans, qui est le deuxième gros groupe d'abonnés...

 

C. : Grâce bien sûr, à un prix attractif, vu ces 18 euros pour les moins de 26 ans.

R.K. : Oui, c'est un prix qui répond aussi aux modes de consommation de cette tranche d'âge, habituée à s'abonner pour tout type de produit de la vie quotidienne, que ce soit pour des plateformes en ligne, de téléphonie ou autre. Autre chiffre parlant : les membres de Cinéville se rendent en moyenne 2,5 fois par mois au cinéma (soit 30 fois par an), et près de 90% s'y rendent une fois et demi en plus qu'avant leur abonnement, beaucoup expérimentant des films qu'ils n'auraient pas spécialement vus en temps normal.

 

C. :  Quatre cinémas ont donc initié l'opération, il y en a sept maintenant. On imagine que ce chiffre va encore grimper ?

R.K. : Oui, on est pratiquement au complet à Bruxelles, mais des contacts ont été pris avec d'autres cinémas, notamment en Wallonie. Car on envisagerait des partenariats dans des villes comme Charleroi, Liège, Mons, Namur et avec la Flandre, où nous avons été présenter le projet. Cela fait partie de nos prochains objectifs, mais on agit pas dans la précipitation, car il faut que tout le monde se sente prêt à entamer la collaboration. En tout cas jusqu'ici, il n'y a eu aucun refus. Pour l'instant, on a surtout répondu à une demande, avec des cinémas qui sont venus vers nous. Mais tous les cinémas d'art et essai en Belgique connaissent et visualisent à présent le projet.

 

C. : Vos soutiens sont nombreux. Mais c'est surtout une aide européenne qui a impulsé ce projet...
R.K. : Celle d'Europa Cinémas, en l'occurrence, oui. Une carte de fidélité germait dans l'esprit de plusieurs salles bruxelloises. L'idée était d'unir leurs forces au sortir du covid et des chamboulements liés à la crise sanitaire. Ces cinémas cherchaient de nouvelles formules pour attirer du public, le rajeunir, le diversifier et le fidéliser. Cinéville s'est vite imposé comme une solution adéquate et à partir de là, le contact a été pris avec Europa Cinémas. Puis, il y a eu une enquête auprès du public et il a fallu que tout ça se mette en route. On a vu que les gens envisageaient cette initiative de façon importante, pour répondre à son envie d'aller plus au cinéma. Et au niveau des soutiens, la région Bruxelles-Capitale a suivi, comme Images de Bruxelles, la Cocof, la Fédération Wallonie-Bruxelles, via le Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel. Et pour notre fonctionnement de 2023, on a en plus l'aide d'Économie Brussels, ce qui va nous permettre d'accompagner l'agrandissement en recrutant un(e) chargé(e) de communication. Car jusque-là, j'étais seule avec deux étudiants. Et c'est tout de même un vaste travail !

 

C. : Participer à un nouveau projet de la sorte, pour vous, c'est forcément emballant...
R.K.: Totalement! C'est d'autant plus excitant qu'on sent que c'était attendu. On a déjà des expériences incroyables, avec des personnes qui, dès le lancement de la carte, se sont rendues quatre fois au cinéma tous les jours pendant l'été! On voit bien que ça entraîne un engouement cinéphile qui devrait avoir des conséquences heureuses sur le secteur. Et qui sait, agrandir le réseau des salles dans le futur, comme ça s'est passé aux Pays-Bas. Car si on prend par exemple Bruxelles, on voit que les salles sont encore très concentrées géographiquement dans le centre. Quand on habite Evere, Etterbeek ou Schaerbeek, il faut quand même faire un certain déplacement. Et là, une de nos autres étapes, c'est de permettre la réservation des places en ligne...

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