Nous sommes partis à la rencontre de la jeune comédienne belge Elsa Houben, nommée cette année au Magritte du meilleur espoir féminin pour sa brillante interprétation du personnage de Camille dans Le cœur noir des forêts de Serge Mirzabekiantz. À ses côtés, dans cette dernière ligne droite avant la 12e Cérémonie des Magritte du Cinéma, qui se déroulera ce samedi 4 mars, Éric Godon. Une belle complicité unit ce comédien et réalisateur belge à celle qu’on a déjà pu voir deux fois devant la caméra de Jaco Van Dormael. Amis dans la vie, ils sont aussi présents l’un pour l’autre dans le cadre de leur métier.
Entretien croisé avec Elsa Houben, nominée au Magritte du meilleur espoir féminin, et son complice Éric Godon
Cinergie : Elsa, vous faites partie des quatre jeunes actrices nommées cette année au Magritte du meilleur espoir féminin, pour votre interprétation dans le film Le cœur noir des forêts de Serge Mirzabekiantz. Quel sentiment cela vous procure-t-il ?
Elsa Houben : Je suis très contente ! Mais ce n'est pas quelque chose que j'attendais spécialement. Cependant, c'est toujours un plus et ça fait plaisir, oui.
C. : Éric Godon, vous connaissez bien Elsa. Quelle a été votre réaction quand vous avez appris la nouvelle ?
Éric Godon : J'étais évidemment très content pour elle. Et puis je trouve que ce serait mérité, qu'elle ait cette reconnaissance. Je la connais depuis longtemps. Je sais de quoi elle est capable. Ce n'est peut-être pas le film qui va être le plus médiatisé ni le plus remarqué. C'est un film qui a énormément de qualités. Et pas seulement dans l'interprétation. J'ose espérer qu'elle recevra cette récompense.
C. : Éric, Elsa nous a confié que vous l’aviez prise sous votre aile voici une dizaine d’années maintenant…
É.G. : Quand on s'est connu, il y a 13 ans, Elsa était âgée de six ans. On s'est rencontré sur un court-métrage de Philippe Lamensch - About a Spoon - dans lequel je tenais le premier rôle. C'est l’histoire d’un ancien réfugié qui avait été dans un camp situé dans un ex-pays de l'Est. C'est une histoire qui sort vraiment de l'ordinaire. Et Elsa y jouait une petite fille. Elle courait dans tous les sens. J'ai directement eu un coup de cœur pour elle. Par la suite, on s'est un peu perdu de vue puis on s'est revu il y a quatre ans, quand elle a commencé à jouer dans Clem. Et depuis lors, je la suis. Maintenant, on est voisin, ce qui nous permet de travailler ensemble de temps en temps.
C. : Elsa, comment expliquez-vous cette amitié assez singulière qui vous unit ?
E.H. : C'est difficile de mettre des mots dessus mais on s'entend bien en tant que personnes. Et même professionnellement. Éric, je le vois comme mon mentor, mais à la fois comme mon ami, et puis comme un papa de cinéma. Je pourrais lui mettre plein d'étiquettes. Je pense qu'on bosse bien ensemble donc c'est cool d'avoir quelqu'un qui peut vous aider pour répéter une scène ou même juste pour parler de notre métier. Il n'y a qu'un acteur pour comprendre le métier d'acteur. Vraiment !
É.G. : Ce qui, évidemment, explique aussi que les différences d'âge et d'expérience n'existe quasi pas en réalité, entre nous, puisqu'il n'y a qu'un acteur pour comprendre un autre acteur. Me concernant, j'ajouterais aussi que j’ai un besoin de transmettre. Et je trouve que la transmission, c'est essentiel, surtout quand on arrive à mon âge, avec mon expérience. Sinon, le métier d'acteur, c'est presque de l'onanisme : « Tu as vu ? J'ai tourné là-dedans. » « Tu as vu mon Instagram ? »… Je crois que ce n'est pas ça, le sens du métier. Et pour moi, c'est essentiel de transmettre. En toute humilité, j'essaie d'apporter quelque chose, comme je peux, mon écho à la carrière d'Elsa. Et puis, comme elle l'a dit, on s'entend très bien, peu importe nos âges respectifs. On est d'accord sur plein de choses et on éprouve toujours du plaisir à partager des moments ensemble.
C. : Elsa, vous préparez parfois vos castings respectifs avec Éric. Comment cela se passe-t-il ?
E.H. : Je ne préparais pas du tout mes castings de la bonne manière avant de rencontrer Éric, avant qu'on ne travaille vraiment ensemble sur ce point précis. Il m'a apporté beaucoup. Je détestais faire des vidéos de casting. Quand on ne peut pas aller sur place - ce qui est souvent le cas -, quand ça a lieu à Paris par exemple, on nous demande de faire une vidéo. Moi, je détestais ça, mais avec Éric, ça a tout de suite été plus simple. Avec son expérience, il sait directement comment je dois jouer telle phrase. Et puis on essaie plein de choses. Il me pousse vraiment jusqu'à ce que je me donne à fond, ce que je ne faisais pas avant. C'est donc un énorme atout. C'est génial de travailler ensemble !
C. : Éric, je suppose qu'Elsa vous apporte aussi des choses quand c'est vous qui êtes sur le point de passer un casting, ou que vous répétez un rôle…
É.G. : Tout à fait, parce que c'est le regard qui compte. L'expérience, c'est une chose, mais le regard qui est posé est plus important encore. Elsa me voit tel que je ne me vois pas. Ce que je peux également apporter, c'est la dimension technique, parce que je connais la musique. Des self-tapes, j'en ai fait des dizaines et des dizaines, principalement pour le marché anglo-saxon. Il y vraiment une technique, certaines normes, à respecter. Il y a toutes sortes de détails qui font que ça va sembler professionnel d'office, et que ça va correspondre à ce qui est attendu. Et ça, ça aide aussi. Cela peut sembler très strict mais ça aide à cadrer le jeu. Il faut jouer le jeu. Ça m'est arrivé de faire passer des self-tapes à d'autres personnes aussi. Si au bout de la troisième prise, je dis que ça ne va pas et qu'il faut recommencer, que la personne le fait mais me dit : « Qui tu es pour me dire comment faire ? », à ce moment-là, j'arrête tout. Parce que je connais la musique et, en toute humilité, je sais exactement comment il faut procéder. Même si chacun est différent et que la lecture de la personne compte aussi. Mais quand ce n'est pas bon, ce n'est pas bon. Qu'on joue dans une couleur ou une autre, ça, c'est un autre débat. Et cette rigueur, je pense qu'elle amène beaucoup aussi dans la préparation d’un rôle. Il y a la rigueur du cadre, tous les aspects techniques, à respecter, dans des langues étrangères la plupart du temps. Je tourne en effet beaucoup en anglais. Mais je travaille aussi en espagnol, en italien, en allemand, en néerlandais, en russe. Donc il est obligatoire d'être extrêmement rigoureux.
C. : Éric, quelle comédienne est Elsa Houben ?
É.G. : C'est une question piége ! Je vois en effet toujours la petite fille blonde qui court partout. Si je la vois à l'écran, je fais abstraction du fait qu'on se connaît depuis longtemps. D'abord, il y a une complexité chez elle. C'est une comédienne multicouches. On croit savoir comment elle est. Puis, on découvre une deuxième couche, et on réalise qu'on voit autre chose. Il faut voir cela dans Le Cœur noir des forêts. Forcément, comme elle est présente dans quasiment tout le film, on la découvre dans des situations très différentes. Donc là, j'ai découvert des aspects d'Elsa que je ne connaissais pas. Et elle est capable d'accéder à des endroits où il n'est pas facile d'aller. C'est difficile de dire quel genre de comédienne elle est parce que cela équivaudrait à la catégoriser. Je pense qu'aucun comédien digne de ce nom ne peut réellement être catégorisé. Elle a, à mon sens, un énorme jardin secret, qu'elle révèle au fur et à mesure, parfois malgré elle, dans certaines scènes de film.
C. : Elsa, quel comédien est Éric Godon ?
E.H. : (Elle rit) Trouver les mots, c'est compliqué. Je dirais qu'il sait ce qu'il veut. Et en fait, avec toute l'expérience qu'il a eu sur tous ses tournages, il sait comment jouer, il connaît son corps. Il y a chez lui un professionnalisme incroyable. Je ne connais pas quelqu'un de plus rigoureux que lui ! Quand il rejoint un projet, il va vraiment se lancer à fond. C'est difficile de décrire ce qu'il est.
É.G. : Je peux être chiant sur un plateau parce que c'est une question d'exigence. Parfois, les gens croient que c'est une question d'égo. C’est vrai même pour les costumes. Si je fais valoir mon point de vue, ce n'est pas pour moi. C'est parce que je pense que c'est mieux pour le personnage. C'est parfois mal perçu et il faut faire attention où on met les pieds et à qui on a affaire. Il ne faut pas être trop assertif non plus. C'est mon petit défaut, sur un plateau. C'est vrai que je connais aussi le métier de l'autre côté parce que j'ai réalisé quelques courts métrages et que je coache beaucoup. Donc parfois, il faut juste tenir sa place, surtout sur les tournages anglo-saxons.
C. : Elsa, dans quel film ou dans quelle série Éric livre-t-il, selon vous, la performance qui vous a le plus marquée ?
E.H. : Il y en a tellement ! Éric, il joue des rôles de méchants. Il a un truc dur : il a un de ces regards ! Moi, comme je le connais, je sais qu'il a un cœur tout tendre.
A chaque fois, quand je vois Éric, c'est cette double facette que je vois, et que j'aime bien. J'ai tellement envie de le voir dans un rôle de nounours. (Elle rit.) Mais il n’y a pas de rôle spécifique qui me vient en tête.
É.G. : Ce n'est pas encore arrivé mais ça peut peut-être venir ! On va dire que The badass protects the little kid! That's what it's all about! (NDLR : Le teigneux protège l'enfant ! Voilà de quoi il est question !)
C. : Éric, dans quel film ou dans quelle série Elsa livre-t-elle la performance qui vous a le plus marquée ?
É.G. : Sans aucune hésitation, Le Cœur noir des forêts, parce que ça lui a permis de développer toute une palette. On est dans d'autres enjeux que dans des séries télé, même si je la trouve très juste dans tout ce qu'elle fait. En fait, pour avoir un César, un Oscar ou un Magritte, il faut d'abord un bon rôle. Il faut un bon film et puis il faut un bon rôle. La meilleure des comédiennes, si elle n'a pas le rôle qu'il lui faut, elle n'aura jamais la reconnaissance. Ici, je pense que ce rôle permet ça. J'espère que beaucoup de gens ont vu ou iront voir ce film, qui lui a permis de déployer toute sa palette. Même des choses dont elle ne se savait pas capable, à mon avis.
C. : Éric, si vous êtes acteur, vous êtes aussi, depuis dix ans, réalisateur, avec plusieurs courts-métrages à votre actif : Rosa, Emma et Marguerite. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le rôle de réalisateur ?
É.G. : Ce n'est pas une trilogie, mais je les ai tournés dans la continuité, en douze jours, avec la même comédienne principale. C'était un peu un concours de circonstances parce qu'une comédienne que je coachais, qui faisait le Cours Florent, à Paris, m'a demandé de la filmer en train de faire un monologue pour avoir un showreel, une démo. Mais ça, ça ne sert pas à grand-chose parce que ça passe au classement vertical chez les directeurs de casting. Je lui ai donc dit que, idéalement, il faudrait des images professionnelles donc, au minimum, un court-métrage. Et puis le lendemain, elle est revenue en me disant que son mari allait financer le film. On voulait travailler sur plusieurs aspects. Et ça a donc donné trois courts-métrages. Pour moi, c'était une belle opportunité. Mais il y avait un véritable challenge parce qu'il y avait quasiment un cahier des charges, à savoir déjà la matière première, entre guillemets : je travaillais avec une jeune femme de 27 ans qui était plutôt mannequin à la base, qui n’avait que huit mois de formation en tout et pour tout, et il fallait qu'elle soit très présente à l'écran. C'était donc intéressant comme challenge.
Pour la suite, faire un long-métrage, ça demande énormément de temps et de patience. Le fait est que j'ai enchaîné les tournages, beaucoup à l'étranger, et donc ce temps-là, maintenant, je ne l'ai pas. Mais nous envisageons de commencer à écrire à deux, Elsa et moi, un projet commun.
E.H. : Oui ! (Elle sourit.) Il n'y a pas grand-chose à dire pour l'instant mais en fait, on a une même vision du cinéma et je pense qu'on peut vraiment créer quelque chose de bien ensemble.
É.G. : Et puis au-delà du fait qu'on peut faire quelque chose de bien, je crois qu'il y a vraiment cette envie. On s'est dit qu'il était temps qu'on tourne ensemble maintenant.
C. : Vous souhaitez coécrire et coréaliser alors ?
E.H. et É.G. : Oui !
C. : Elsa, vous souhaitez, vous aussi, passer un jour à la réalisation…
E.H. : Oui, clairement ! J'ai envie de voir aussi ce que cela fait d’être de l'autre côté de la caméra. Et je pense que j'ai une vision des choses à partager.
C. : Éric Godon, pouvez-vous nous présenter votre film ou votre série « actualité » ?
É.G. : Je vais notamment reprendre cet été le tournage d'une série HBO. Il s’agit de Dune : The Sisterhood. J'imagine que ça sortira en 2024. Ça va être une grosse machine. Je tourne aussi en ce moment une série finlandaise : Ride Out. Elle est centrée sur les pilotes de moto à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ça va être une très belle série aussi.
C. : Elsa, pouvez-vous nous présenter, en quelques mots, Le Cœur noir des forêts ?
E.H. : Le Cœur noir des forêts, c'est un film qui permet de se plonger dans l'histoire d'un couple de personnages qui vont, ensemble, sortir de leur foyer et essayer de fonder une famille, celle qu'ils n'ont pas pu avoir, et trouver l'amour à leur façon. Je vous conseille de le voir parce qu'il y a une bande-son incroyable, des images superbes. Et moi, j'ai essayé de donner ce que je pouvais dans l'interprétation. Je pense vraiment que c'est un très bon film. Et la réalisation de Serge Mirzabekiantz est incroyable !