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Filmmagie - Entretien avec Gwendolyn Lootens et Gawan Fagard à propos de « Cinemaximiliaan » - Filmmagie

Publié le 06/09/2017 par Filmmagie / Catégorie: Dossier

 « Du home cinéma mobile pour les réfugiés »

Remplir des salles de cinéma est aujourd’hui un vrai défi. Afin de se faire une idée du paysage des exploitants en Flandre, Filmmagie a rencontré un large éventail d’acteurs travaillant dans ce domaine, allant de l’individu projetant des films dans sa maison aux ciné-clubs et cinémas d’art et essai en passant par les multiplexes.

Premier épisode : l’initiative socioculturelle « Cinemaximiliaan » 

Grâce à leur expérience en tant qu’organisateurs du projet artistique « Cinéma W-O-L-K-E », la documentariste Gwendolyn Lootens et l’historien du cinéma Gawan Fagard ont visité, il y a deux ans, le parc Maximilien de Bruxelles. Ils y ont découvert plus d’un millier de migrants en attente d’un renvoi. À l’aide d’un simple projecteur et d’un écran, Gwendolyn et Gawan ont proposé une alternative à l’ennui, la solitude et la noirceur quotidienne. Une initiative aussi simple que réussie ! Avec l’aide de bénévoles, ils y ont projeté des films tous les jours, attirant de plus en plus de spectateurs. Entre temps, en 2015, leur initiative intitulée « Cinemaximiliaan », reconnue par la Commission de la Communauté flamande, le Fonds Audiovisuel flamand, la Ville de Bruxelles et la Fondation Roi Baudouin, s’est vue décerner le Prix du Travail Culturel et Social par la Flandre. L’organisation propose des films dans les salles de cinéma, les centres d’asile et même à domicile. Leur page Facebook témoigne de ces événements avec de nombreuses photos de personnes en train de danser, de cuisiner, de jouer de la musique et d’assister aux projections.

FILMMAGIE : Peu d’exploitants agissent de manière aussi spontanée que vous, notamment avec ces visites à domicile, ces projections dans des salons… Les instituts et autres lieux établis sont-ils difficiles d’accès ?
Gwendolyn Lootens : Non, bien au contraire : les cinémas et les festivals nous contactent afin de collaborer à nos projections. Notre manière de travailler n’est certainement pas due à une pénurie de possibilités. Nous organisons ces séances de « home cinéma » car cela crée des liens spéciaux.

FM : « Cinemaximiliaan » occupe une place à part dans le paysage cinématographique flamand. Comment vous situez-vous par rapport aux autres acteurs de ce secteur ?
G. L. 
: Nous collaborons régulièrement les uns avec les autres. Nous avons organisé des projections au Sphinx de Gand, aux cinémas Nova, AU RITCS et à Bozar.
Gawan Fagard : Le réseau de « Cinemaximiliaan » est loin de se résumer à la Flandre et à Bruxelles. La diaspora du Moyen-Orient, avec de nombreux réfugiés qui travaillaient auparavant dans le secteur cinématographique et qui sont restés en contact après leur départ, est un phénomène que l’on observe à travers l’Europe toute entière. C’est ainsi que nous créons des contacts. À Bozar, nous avons pu proposer The Emigrants, de Mohammed Abdulaziz, une production syrienne produite sous le radar du régime en place.

FM : Les plateformes de diffusion comme la télévision, le web et la VOD, qui mettent l’accent sur une expérience cinématographique individualisée, se multiplient et attirent de plus en plus l’attention. Que pensez-vous de cette évolution ?
G. F.
: Je pense que cela crée de nouvelles opportunités de multiplier les événements, de proposer des projections en améliorant constamment le contenu. Les spectateurs ont la possibilité de traduire ce qu’ils voient à l’écran dans la réalité. De cette façon, se crée une culture et l’on constate que ce sont des supports auxquels les gens souscrivent en masse. C’était également le cas avec « Cinéma WOLKE » : si vous invitez des intervenants à venir parler du film, si votre programmation s’avère surprenante, vous n’avez pas vraiment à faire de publicité. Tout se fait spontanément dans le cadre social environnant. On ne perd évidemment pas de vue l’individu, mais nos performances transcendent parfois la simple expérience cinématographique, comme par exemple lorsqu’un traducteur présent dans la salle double en direct les courts-métrages somaliens du Cinéma RITCS. C’est une pratique commune dans les pays du Tiers-Monde, mais pas en Belgique !
G. L. : Les migrants qui arrivent chez nous sont souvent un peu perdus, ils ont l’impression de n’être que des numéros. Mais si vous créez réellement des liens avec eux, qu’ils osent prendre le micro, ça devient tout de suite une expérience très agréable. 

FM : Vos projections à domicile mettent en contact des demandeurs d’asile avec des résidents de Bruxelles et de la Flandre. Pourquoi le cinéma est-il le médium spécifique que vous utilisez pour ces rencontres ?
G. F. 
: Gwendolyn est une artiste visuelle et documentariste. Quant à moi, j’écris mon doctorat sur le thème de la contemplation au cinéma. Nous sommes donc tous les deux de grands passionnés du septième art. « Cinemaximiliaan » montre l’importance du cinéma en tant que fuite. Nombre de nos spectateurs se trouvent confrontés à une réalité difficile, ainsi qu’à un blocage mental. Le cinéma est un moyen d’occuper leurs journées pendant qu’ils attendent d’obtenir leurs papiers. De plus, c’est une activité qui ne nécessite pas que l’on parle, ce qui est attrayant pour les personnes timides. Dans ce sens, un film est beaucoup plus parlant qu’une simple fête, même si des fêtes spontanées ont souvent lieu après les projections.
G. L. : Le choix des films n’est évidemment qu’une petite partie de notre travail. Nous plaisantons souvent en disant que tout ce que nous organisons comporte une grande part de « froufrou et de patience ». Pour vous donner un exemple, nous avons reçu deux familles qui ont fait le chemin du Limbourg vers Gand pour la projection de The Land of the Enlightened. Avec d'autres bénévoles, nous nous sommes donc occupés de la nourriture et de toute l’organisation de la soirée. Le réalisateur Pieter-Jan De Pue a également souhaité venir et nous avons donc organisé un vrai « dîner d'artistes ». Quelle belle expérience ! Certaines de ces personnes survivent avec seulement 1 euro par jour ! Il est donc important de s’assurer que leurs billets de train soient remboursés et qu’ils aient de quoi se nourrir et un endroit pour dormir. Nous essayons de prendre soin de tout ça.

FM : Quels genres de films programmez-vous ?
G. F.
: Dans les centres d’asile, principalement des films légers, en particulier des comédies. Nous amenons une sélection de dvds parmi lesquels les spectateurs peuvent choisir. Les films d’action violents ne nous semblent pas adéquats, nous essayons de faire en sorte que le public puisse mettre ses problèmes de côté et simplement se détendre. En ce qui concerne nos projections en salles, nous choisissons généralement des films susceptibles de provoquer des débats intéressants et profonds.
G. L. : Cela dépend beaucoup de l’endroit et du nombre de spectateurs. Pour nos séances « pop-up cinéma », nous piochons davantage dans le cinéma d’art et essai européen, de Sharunas Bartas à Francis Alÿs… Parfois, c’est un Alfred Hitchcock ! Nous tâtons le terrain et nous constatons souvent que nos spectateurs en connaissent un bout en la matière !

FM : Les préférences de votre public vont-elles à des films occidentaux ?
G. F. : Pas nécessairement. Nous avons également proposé pas mal de films indiens, turcs et égyptiens. Les films de Bollywood sont toujours très populaires. Tout comme certains films américains, de Charlie Chaplin à Karaté Kid ! Il y avait beaucoup de films en numérique au début. Mais peu à peu, on commence naturellement à développer un langage commun et à comprendre ce que nos spectateurs attendent. Au bout d’un certain temps, nous avons même commencé à proposer des films expérimentaux, mais surtout à domicile, pas dans les centres d’asile !
G. L. : Avec l’écrivain et documentariste iranien Rokhsareh Ghaem Maghami, nous avons visité divers centres d’accueil belges, où nous avons projeté son film Sonita, que nous avions découvert au festival MOOOV. Il s’agit d’un documentaire intense à propos d’une jeune rappeuse afghane qui a été mariée de force en Iran et qui chante pour dénoncer cette pratique. L’émigration et le mariage forcé sont des sujets qui sont très proches du quotidien de nos spectateurs, avec pour résultat des débats souvent très intéressants. Le film est bien trop controversé pour être montré en Iran ou en Afghanistan, ce qui veut donc dire que grâce à nos efforts, il a pu être vu par un public afghan pour la première fois. 

FM : Vous vous êtes lancés depuis peu dans la production cinématographique. Est-ce que vous pouvez déjà nous en dire un peu plus ?...
G. L. : Nous venons effectivement de lancer une plateforme destinée à produire des courts-métrages. En filmant dans notre grand emplacement de la Rue de Manchester, nous espérons recevoir un peu d’uniformité. Notre objectif est d’aider des personnes qui ne font pas partie de la profession et nous demandons à des professionnels de les assister. Cela restera toujours du low-budget mais nous considérons ces contraintes comme un défi pour stimuler l’imagination. Cela donnera probablement des résultats très naïfs, du cinéma à la Méliès… 

Charlotte Timmermans
Traduction par Grégory Cavinato