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Inner Lines de Pierre-Yves Vandeweerd

Publié le 09/12/2022 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Filmé en 16mm et super 8, Inner Lines est une ode au silence. Ce silence qui suit les abominations commises en temps de guerre. Ces « lignes intérieures » sont les « itinéraires de secours situés à proximité des lignes adverses. Elles permettent d’échapper aux moyens de contrôles et de prendre la fuite ». Pierre-Yves Vandeweerd les décrit également comme « des voies intérieures où résident nos peines ». Ce film atypique, réflexif et contemplatif met en scène des êtres humains dont les vies ont été marquées par les conflits dans la région qui entoure le mont Arafat. À l’inverse du reportage, ce film fournit les balises minimales de compréhension afin de laisser une place majeure au sensible et au poétique comme clés de lecture. La démarche de ce cinéaste atypique consiste à questionner de manière philosophique les mécanismes de violences immuables à travers les âges lors de conflits entre les peuples.

Inner Lines de Pierre-Yves Vandeweerd

Co-produit par Cobra Films, Inner Lines est tourné en pellicule 16 et super 8 comme l’ensemble de la filmographie de cet anthropologue de formation, ancien professeur de l’IHECS ainsi que du Département cinéma de la Haute Ecole d’Arts et de design (HEAD) de Genève.

Après Némadis (2000) et Racines lointaines (2002) sur les chasseurs nomades et les peuples mauritaniens, ce cinéaste aventurier a relaté son expérience de la guerre au Sud-Soudan dans Closed District (2004). Après plusieurs films tournés dans le Sahara occidental, Les Éternels (2017) abordait déjà la question des conflits de basse intensité dans le Haut-Karabagh. Ce questionnement sur les conflits de longue durée à l’intensité moins importante qu’une guerre suscite l’autoréflexion et la prise de conscience sur la souffrance de populations souvent oubliées par la communauté internationale. Inner Liner relate, à travers les témoignages recueillis, l’impact du passage de conflit de basse intensité, abordé dans son film précédent, à un état de guerre ou de conflit de haute intensité comme ce fut le cas lors de l’opération Point d’acier ou guerre des 44 jours en 2020.

« Chaque film à venir naît du précédent. Lors du tournage du film Les Éternels (2017), en Turquie orientale, j’ai vu descendre d’une montagne des gens. Au départ, c’étaient des petits points noirs dans le paysage. Nous sommes allés à leur rencontre et c’était des Yézidis qui fuyaient Daech. Ils nous avaient expliqué qu’ils avaient réussi à communiquer à l’aide de pigeons voyageurs », nous a confié Yves Vandeweerd.

Grâce à son apprentissage de la vie dans des zones marquées par la guerre, ce cinéaste rend compte de la force des « paroles premières ». Ces paroles ne font pas l’étal d’animosité ni de revanche face à l’injustice. Ce sont juste des discours ou des paroles pures d’existences brisées du jour au lendemain par la folie des autres, nous confie-t-il.

Dans Inner Lines, comme dans ses réalisations précédentes, les images et les témoignages sont asynchrones. Ce choix n’est pas uniquement esthétique ou narratif, mais il permet aux gens de se concentrer entièrement sur leur récit. Ensuite, sa démarche consiste à choisir, parfois avec ces personnes, des images qui vont le mieux illustrer le propos. À ce sujet, Yves Vandeweerd insiste sur la volonté de proposer « le récit de la lumière de leurs corps. Des corps qui sont irradiants de vie malgré les blessures du corps et de l’esprit ». Ce choix de filmer systématiquement en 16mm ou super 8 n’est pas non plus anodin pour ce cinéaste qui voit « la matière argentique comme un langage, à l’opposé de l’hyperréalisme de la vidéo. Ce choix permet de croiser plusieurs notions de temps : passé, présent et futur possible. Ainsi, on touche à une forme d’intemporalité et d’universalité ».

En prenant comme fil conducteur les textes transmis à l’aide de colombes par des Yézidis dont le Mont Arafat est l’épicentre géographique, cette expérience filmique amène le spectateur à vivre des situations et des rencontres que la vie quotidienne ne produit pas. Inner Lines est difficilement classable dans le champ des cinémas du réel dont le spectre large s’étend du reportage au cinéma expérimental. Il constitue néanmoins un bel exemple de cinéma sensible et poétique sans pour autant évacuer la dimension politique de l’œuvre.

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