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Karim Ouelhaj, réalisateur de Mégalomaniac

Publié le 13/09/2022 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Gagnant du Cheval Noir, Grand Prix attribué au meilleur film de la compétition internationale du festival FanTasia d’Amérique du Nord, Mégalomaniac est le dernier long-métrage de Karim Ouelhaj. Ce réalisateur belge passionné est bien connu des cinéphiles belges depuis la sélection de son film Parabola en 2005 au festival de Venise. L’équipe de Cinergie.be est allée à sa rencontre au Palais 10 à l’occasion du Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).

Cinergie : Comment avez-vous décidé de vous plonger dans cette affaire atroce du dépeceur de Mons ? Comment ce projet a-t-il germé dans votre esprit ?

Karim Ouelhaj : Ce n’est pas vraiment le récit du dépeceur de Mons en soi qui m’a poussé à aller vers l’écriture de ce film. Néanmoins, cette histoire me paraissait assez intéressante. Comme je n’avais pas assez de budget, j’ai commencé à bifurquer dans l’écriture et à en faire une sorte de huis clos. L’aspect économique et la faisabilité du projet étaient également primordiaux dans mes choix. Mais on ne peut pas dire que j’avais une motivation particulière à exploiter le sujet du dépeceur de Mons. C’est un fait divers parmi tant d’autres malheureusement, aussi cruel et sordide soit-il.

Ce qui m’a motivé, c’est surtout de réaliser un film fort et esthétiquement sans concession. L’envie était de revenir à la base d’un cinéma hyper émotionnel simplement parce que j’adore ça. Quand je vais au cinéma, je ne regarde pas un film seulement avec ma tête et mes yeux. Je le regarde avec le cœur et les tripes. J’avais l’envie de revenir à ce genre de cinéma complètement viscéral. De nos jours, on remarque une demande et une attente accrue pour cette forme de cinéma. Le sujet du dépeceur était plus un prétexte qu’autre chose pour aborder ce type de cinéma.

 

C. : Depuis le début du BIFFF 2022, plusieurs professionnels du secteur, belges ou non, m’ont parlé d’une forme de renouveau du cinéma de genre. Pensez-vous que le cinéma de genre est plus porteur de nos jours que par le passé en Belgique ?

K.O. : Le cinéma de genre a toujours fonctionné, c’est l’élite qui l’a toujours méprisé. Pour nous, les fans, ça n’a pas changé. C’est un peu comme mes premiers films où j’ai toujours proposé des premiers rôles féminins. Je n’ai pas cherché à réaliser un film féministe ou à le devenir, je l’étais déjà avant que ce soit la mode. Mais c’est seulement maintenant qu’on se rend compte qu’il y a des femmes qui ont des premiers rôles dans mes films. L’existence de films d’horreur de qualité, ce n’est pas quelque chose de nouveau. J’ai toujours fonctionné de la sorte en réalisant des films qui font écho à la société dans laquelle je vis et Mégalomaniac ne fait pas exception.

 

C. : Comment s’est déroulé le casting ? La performance d’Eline Schumacher est vraiment de très haute volée. A-t-elle influencé le personnage ou l’intrigue par certaines propositions originales ?

K.O. : Eline a fait un super travail. Elle a appliqué pratiquement à la lettre le scénario. Elle a eu confiance en moi et dans ma direction d’actrice. Avec sa personnalité et sa subtilité, ses émotions et son vécu, elle a rajouté cette petite touche personnelle qui fait toute la différence finalement. Avec les techniciens et les comédiens tout s’est très bien déroulé également. Ils étaient plutôt agréablement surpris qu’on puisse faire ce type de film en Belgique. C’était vraiment assez idyllique de pouvoir travailler avec des équipes disposant d’une telle motivation. Pour la postproduction, c’est un sujet complexe mais le film est désormais disponible et on est très content du résultat.

 

C. : Quel a été le rôle du BIFFF Market dans le lancement du projet ?

K.O. : Le BIFFF Market permet au cinéma de genre de sortir des frontières du pays. Qu’il soit reconnu et valorisé. Le BIFFF Market ça sert à ça, ça sert à trouver des vendeurs internationaux qui mettent les films dans des grands festivals et qui valorisent le cinéma de genre belge. C’est hyper important !

 

C. : En parlant du festival international, qu’est-ce que cela représente pour vous d’avoir obtenu le Grand Prix du jury international dans un festival à la renommée mondiale comme FanTasia ?

K.O. : Le Grand prix de FanTasia (rires). Je ne m’y attendais pas du tout. Donc c’était que du bonus. Réaliser un long-métrage comme celui-là, c’est déjà une victoire en soi. Quand son film gagne le Grand Prix du jury international ainsi que le prix d’interprétation à FanTasia, ça rend fier. On a des retours assez dithyrambiques de la presse américaine et le projet est en train de se vendre un peu partout dans le monde. Il est prévu en salles aux États-Unis, en Allemagne… mais pas encore de dates en Belgique malheureusement. On se demande pourquoi…

 

C. : Mégalomaniac donne une réponse assez complexe à la question du poids de l’héritage familial. Il conforte l’idée d’un déterminisme social et familial pour les descendants de familles meurtries. Que pouvez-vous nous dire par rapport à cette affirmation ?

K.O. : Si l’on part d’un sujet sordide et violent, il faut l’assumer jusqu’au bout. Et la violence, elle vient généralement d’où ? Du centre familial, du foyer, des proches. C’est un peu ça aussi cette histoire. On se demande comment le mal engendre le mal, telle une boucle infernale ou le serpent mord sa propre queue. Les erreurs passées qu’on n’a pas pu résoudre nous retombent toujours dessus en pleine face un jour. Mégalomaniac raconte aussi ça. Je pense que c’est important de le dire et qu’il faut être honnête quand on exploite ce thème. Le public le voit si on réalise un film sur le patriarcat juste pour répondre à un effet de mode. Ici, ce n’est pas le cas, on y va sans hésitations et on défonce le patriarcat. Et je l’assume totalement.

 

C. : Qu’est-ce qui est le pire selon vous ? Être un criminel inconscient ou un complice conscient (en référence au contenu du film) ?

K.O. : Pour le crime, si l’on est pris la main dans le sac, souvent il y a une justice. Mais les gens qui regardent et qui ne disent rien, il y en a beaucoup dans notre société. Le film parle aussi de ça. Le pire, selon moi, c’est le silence des gens face aux victimes.

 

C. : Ce long-métrage procure une diversité d’émotions (de la pitié à la colère). Les personnages évoluent de manière surprenante et chacun d’entre-deux peut être considéré à la fois comme une victime et un bourreau. Est-ce que vous considérez Mégalomaniac comme un film gore ?

K.O. : Non, non, je ne peux pas dire que Mégalomaniac soit un film gore, c’est un film violent. Certes sanglant mais ce n’est pas du gore non plus. La plupart des moments les plus difficiles sont suggérés. On ne voit rien même si quelques secrets de mise en scène donnent l’illusion de le voir. Si effectivement le film est sanglant par moments, il ne l’est pas uniquement. J’ai décidé de réaliser un film d’horreur. On ne peut pas faire les choses à moitié quand on s’investit dans un projet de ce type. Le fait de passer d’une émotion à une autre m'apparaît comme tellement humain. Le fait qu’une personne puisse être à la fois victime et bourreau est le reflet de la réalité. À des degrés différents, on passe tous par ce type de sentiments ou de postures très contrastées. Je voulais réaliser un film très réaliste et pas spécialement manichéen où le tueur n’a qu’une seule facette, celle du méchant.

Dans les choses horribles que le personnage principal fait durant le film, il y a une étrangeté avec la gentillesse qui en ressort par moments, ce qui rend les choses ambiguës et contradictoires pour le public. Je pense que c’est important d’exploiter ce type de sentiments dans un film de genre.

 

C. : Je sais que certains réalisateurs craignent la réception du public survolté du BIFFF dans les salles, comment avez-vous vécu cette ambiance déjantée ?

K.O. : Je voulais vraiment réaliser un film puissant et esthétique. J’adore aussi soigner les seconds couteaux dans mes films. Dans mon cinéma, les seconds rôles ont une importance capitale. C’est ce qui soutient non seulement le film, mais également le personnage principal. Il parait que mon film est l’un des premiers où les gens se sont tus en salle. Donc, quelque part, c’est que j’ai bien fait mon travail et j’en suis très heureux. Un peu déçu quand même que le public n’ait pas gueulé un peu plus mais vu qu’on était sold out, c’était juste parfait. Et je l’aime ce public du BIFFF.

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