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L'empire du silence de Thierry Michel

Publié le 18/01/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

L'eau du fleuve Congo coule inlassablement le long de cette terre, chère au cinéaste belge Thierry Michel. Un pays dont la population a souffert pendant près de 25 ans, torturée par les guerres ethniques incessantes et les violences systémiques installées il y a plus d'un siècle par les colons "civilisateurs". Des stigmates béants, que l'empire du silence imposé par les puissants, n'a jamais daigné panser.

 

L'empire du silence de Thierry Michel

Par ce film, le réalisateur tente à nouveau de se faire le héraut de cette histoire proche et pourtant mal connue, cette fois en écho de sa rencontre avec le Docteur Denis Mukwege, et sous l’impulsion de ce dernier. Grâce à une équipe de documentalistes, aux archives des agences de presse et avec l'aide des images récoltées par de courageux journalistes, glanées au détour du net ou par sa propre caméra, Thierry Michel reconstitue la trame d'un conflit complexe mais extrêmement meurtrier, peuplé d’assassins. Une guerre tantôt motivée par la haine, tantôt par l'argent, tantôt par le pouvoir, qu'il a côtoyée de plus ou moins près pendant les trente années de cinéma qu'il a filmées au Zaïre/RDC. Un récit didactique parfois, mais dont le propos est avant tout celui d’une œuvre mémorielle. Un documentaire pour préserver ce qui ne peut ni ne doit être oublié. Surgissant des témoignages oraux, des clichés ou des pellicules et cassettes récupérées, des scènes de cauchemar et des évocations atroces envahissent l'écran. Des colonnes de réfugiés, des forêts envahies de tentes, des tirs de mitrailleuses ou des charniers, et dont il ne reste aujourd'hui que des mausolées, des stèles et des cicatrices impérissables dans les âmes des survivants et des témoins d'un jour. Quand les seules traces ne sont pas tout bonnement des collines éventrées, d'où ont été extraits à la hâte les cadavres des civils assassinés pour être expédiés dans le fleuve, qui engloutit tout.
L'eau lave tous les péchés, même ceux que nul ne peut pardonner, pas même le temps.

Aujourd'hui, les langues se délient. La peur fait progressivement place à la colère parmi les survivant.e.s, et les actions s'organisent au sein des communautés locales et nationales. Face à l’impuissance des coalitions internationales et des instances des Nations Unies, de nouveaux soldats montent au front pour faire justice par la parole et par la vérité. Un combat porté par des chevaliers et des guerrières modernes répondant à l’appel de Mukwege, et dont Thierry Michel se fait ici le porte-parole et le mandataire.

En trimballant sa caméra hier entre les halls et les salles des conseils et les villes congolaises, le documentariste dépeignait le portrait d'une histoire faite de non-dits, de silences et de peurs. En l'amenant dans les villages du Kasaï aujourd'hui, il esquisse ce que sera peut-être le Congo de demain, celui de la mémoire et de la guérison par son propre peuple. Il n'y a pas de paix sans justice, disait le Docteur Mukwege. Une justice impartiale, équitable et ferme, pour briser l'impunité. Par leurs témoignages et par leurs chants, les femmes du Congo lui répondent. Désormais, le sang va crier.

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