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Marcher sur l’eau de Aïssa Maïga

Publié le 21/01/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Tatiste, en plein cœur du Sahel. Houlaye, jeune fille d’à peine quatorze ans, se retrouve à la tête d’un foyer alors que sa mère est contrainte de quitter le village pour travailler à la capitale. Son père est absent lui aussi, parti trouver des verts pâturages pour le bétail. Une décision forcée, alors que les puits de la région se vident inexorablement, trop peu profonds pour atteindre la nappe phréatique qui couvre la région à plusieurs centaines de mètres sous la poussière. Pendant ce temps, la sécheresse s’accentue dans cette zone du globe directement impactée par le réchauffement climatique.

Marcher sur l’eau de Aïssa Maïga

À ce fléau mondial, Aïssa Maïga réplique avec un documentaire universel. Actrice devenue cinéaste, elle emporte sa caméra dans l’intimité des familles de Tatiste, entre défis du quotidien et questionnements sur l’avenir. Indépendante, forte et ayant soif de découverte, Houlaye est un modèle de résilience et d'opiniâtreté face à une situation dont elle n’est pourtant pas responsable. Un état de faits causé par les pays industrialisés, et dont les conséquences font désormais éclater la cellule familiale au Sahel, perturbant le développement des jeunes et minant leur mode de vie

Pour autant, et sans aucun misérabilisme, Aïssa Maïga raconte l’histoire de cette communauté qui, plutôt que de se laisser aller au fatalisme, prend son destin en main pour demander un forage et la construction d’un puits moderne. Un projet porté avant tout par les femmes de ce pays, protagonistes principales du film et forces motrices du village. Elles, et les jeunes, par leur énergie et leur envie d’un avenir meilleur. C’est également cette volonté qui les poussent à se rendre à l’école, retapée par l’instituteur, où il donne cours à celles et ceux qui ont soif d’apprendre. Un monde au creux des collines du Sahel, inspirant pour toutes celles et ceux qui se laisseront convaincre par la beauté de ce récit.

Une poésie narrative mais également visuelle, tant les paysages que capture la cinéaste invitent à la contemplation. On sent chez Maïga une vraie qualité de la prise de vue, un regard qui saisit les émotions, dénichant la beauté dans les courses d’ânes, au détour d’un buisson ou autour du puits, lieu de convergence et de rassemblement des vivants. Et en filmant ses personnages de près, en posant son œil sur leurs épaules ou en plongeant dans leurs regards pensifs, l’impact du documentaire est sublimé par cette vision humaine d’un récit qui évite le didactique et se concentre sur la vie, la vraie.

Une vie qui passe au fil des saisons, rythmant la narration et donnant une temporalité à ces attentes interminables que vivent Houlaye et ses proches. L’attente du retour de sa mère, de celui de son père, et enfin le retour de l’eau, cette nourricière qui abreuve la Terre année après année. Et lorsque ces retrouvailles ont lieu, le soulagement et l’émerveillement sont à la hauteur de notre implication dans ce film émouvant. L’eau, source de toute vie, fait renaître ces paysages pour donner à voir un spectacle grandiose. Et l’on comprend aisément l’importance que Houlaye et les siens, au même titre que la cinéaste, attachent à ce pays magnifique.

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