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Nowhere

Publié le 01/04/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Des gens sans importance

André Verdonck (Koen De Bouw), 55 ans, est un ancien conducteur de poids lourds avec des antécédents de violence, qui occupe ses journées en rénovant un bar pour routiers, dans une solitude quasi complète. De temps en temps, il utilise des migrants et des SDF qu’il paie 20 euros pour une journée de travail.
La vie d’André fut brisée cinq ans auparavant, lorsqu’un chauffeur (qui n’a jamais été appréhendé) a tué sa fille sur le bord de la route.
Depuis, André vit avec l’obsession de retrouver le coupable et s’est coupé du reste du monde, logeant sur son lieu de travail et passant ses soirées à regarder des vidéos de l’enfant qu’il a perdu, vestiges doux-amers d’un bonheur qui lui semble de plus en plus lointain et impossible à retrouver.

Nowhere

Un soir, sa vie faite d’automatismes est bouleversée lorsqu’il surprend Thierry (Noa Tambwe Kabati), 17 ans, un adolescent sans-abri, en plein cambriolage. Une bagarre s’ensuit et l’ado se retrouve aux urgences pour la nuit, avec des côtes fêlées. Se sentant coupable, André décide de prendre le jeune homme sous son aile et lui offre du travail comme électricien. Thierry « vient de nulle part » et n’a nulle part où aller : il n’a que très peu de souvenirs de son enfance et a été balloté de famille d’accueil en famille d’accueil dès son plus jeune âge, avant de fuir et de tomber dans la drogue et la délinquance. Dans sa tête, Thierry est « nulle part » également : il n’est même pas certain d’être marocain, mais, dans le doute, il apprend le Coran en ligne. Par contre, il a des dettes : 350 euros, qu’André va l’aider à éponger en échange d’un coup de main au bar routier. Peu à peu, la méfiance et l’animosité entre ces deux solitaires vont s’estomper pour laisser la place à une amitié père / fils très forte, André étant la première personne à réellement faire preuve d’affection envers Thierry.

Dans la première partie de son film, Peter Monsaert (Musica, Offline, Le Ciel flamand) semble vouloir payer son tribut au cinéma des Frères Dardenne, que ce soit dans les thématiques abordées (la filiation, la misère sociale) que dans le style (austère parfois jusqu’à la caricature). Il filme deux âmes en peine pour qui la vie n’est plus qu’une « mauvaise habitude ». Le décor est une métaphore de leur état d’âme : d’effroyables cabanes en contre-plaqué, sans charme, sans chaleur. André et Thierry sont des oubliés de la société qui ne connaissent ni passion ni joie ni amour. Ils se raccrochent machinalement à l’existence pour leur obsession respective : trouver l’assassin de sa fille pour André, retrouver son identité, ses racines et la trace de sa famille pour Thierry. Depuis toujours, le jeune garçon a dans son portefeuille une photo de sa mère biologique, une adolescente, mais pas d'autres informations. André décide de l’aider dans sa quête et les deux amis de fortune se lancent dans un road trip à la destination incertaine.  

C’est dans cette dernière partie que le récit, comme ses protagonistes, se réveille, s’illumine, prend vie. Fort heureusement, le dernier acte injecte un soupçon inespéré de joie dans le récit et les deux acteurs semblent renaître sous nos yeux alors que le cadre de leurs « aventures » s’élargit. Impassible, voire éteint auparavant, Koen De Bouw laisse alors transparaître son humanité ainsi qu’une grande vulnérabilité. Quant au jeune Noa Tambwe Kabati (aperçu dans Welp), il connaît la joie probablement pour la première fois de son existence misérable. Son premier sourire s’avère bouleversant. Pour ces deux-là, l’espoir existe et Nowhere parvient à gagner notre adhésion lors de ces quelques moments précieux.

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