Cinergie.be

Quand les géants meurent de Jan Vromman

Publié le 25/01/2023 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Les géants meurent aussi

Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l'histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l'art. Cette botanique de la mort, c'est ce que nous appelons la culture.” C'est avec ce commentaire que commence le documentaire éclairé et devenu mythique réalisé en 1953 par Alain Resnais et Chris Marker, Les statues meurent aussi. Bien que la référence soit implicite, ce n’est pas tout à fait à la mort des statues que s’intéresse le cinéaste Jan Vromman, mais aux géants des fêtes populaires dans son dernier film intitulé Quand les géants meurent. 

Quand les géants meurent de Jan Vromman

Après une incursion passionnante dans l’histoire humaine par le biais de l'histoire du cochon, Jan Vromman nous embarque cette fois au cœur des rues et des liesses populaires. C’est ici le neveu d’un célèbre créateur de cortèges qui prend la parole pour nous conduire dans de ce qui a rythmé son enfance et sa vie familiale.
En effet, Frans Vromman, oncle ou père du cinéaste (?), est un des plus prolifiques concepteurs de cortèges de Belgique avec plus de 200 organisations montées en Flandre dès les années 50. Le film remet en contexte cette pratique et la resitue historiquement comme une sorte de soft power, un marketing urbain destiné à attirer les touristes et à fédérer la population autour d’une même fierté et d’une même appartenance.
Loin d’un acte spontané où éclaterait une joie infantile, la fête dirigée avec des centaines de figurants costumés, des tableaux vivants composés à partir des tableaux de maîtres, des danses millimétrées, des fanfares ordonnées montre la collaboration étroite nécessaire entre les bénévoles,  les permanent.e.s, les forces de l’ordre et les autorités. Assez critique donc vis-à-vis de ce passé qui a pourtant fait briller ses yeux d’enfant, notre “auteur-narrateur” remet directement en question le travail de son père aujourd’hui disparu. C’est depuis une pièce très marquée historiquement (château ou salle du conseil) qu’il s’adresse à lui, à son chien (et par la même occasion à nous), qu’il se travestit, invite des musiciens et évoque ses souvenirs.
Et c’est par les images d’archives incroyables que nous découvrons les personnages et les rites qui, au cours du temps et dans des lieux différents, ont envahi les rues des villes et des villages du monde entier. Processions religieuses, carnavals transgressifs, tableaux vivants, défilés, pride, manifestations, défilent sur l’écran et frappent l'imagination. Ébahies, nous découvrons par exemple les rites péruviens et cette fête dite “fête du sang” dans laquelle un taureau se débat du condor attaché à ses flancs, créant un être fantastique proche de la chimère mythologique.

En Europe, des hommes deviennent des femmes ou des animaux, les pauvres des riches et bien entendu les fameux géants envahissent les rues de leur majestueuses auras. Et si les géants peuvent mourir, comme l’indique le titre, c’est parce qu’ils ne sont pas simplement fabriqués : ils « naissent » et sont même inscrits au registre de la population de leur ville ou commune, sous l’œil attentif de leur parrain ou marraine. Et comme les géants sont aussi des géantes, iels peuvent également se marier et avoir des enfants. Une tradition qui nous vient du Moyen-âge et qui persiste en Belgique - particulièrement en Flandre où vivent à ce jour près de 1700 géants et géantes.

Le temps est-il venu de les regarder mourir et avec eux l’émerveillement face à un monde qui se délite ? C’est ce que semble penser le petit-fils qui prend à présent la parole sur des images d’un monde en flammes, abîmé, ravagé et bientôt en ruine. On le sait, après la fête arrive souvent la gueule de bois, et c’est bien ce que semble nous dire le cinéaste ou pire, que cette fête, dès le départ, était déjà une fête macabre incapable de créer la liberté qu’elle semblait pourtant promettre. 

Tout à propos de: