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Arica de Lars Erdman et William Johansson Kalén

Publié le 25/05/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

David, contre Goliath

En 1984, la société minière suédoise Boliden expédie plusieurs centaines de tonnes de déchets toxiques à Arica, ville chilienne où ils seront - en théorie - traités par une entreprise locale. En réalité, une part non négligeable de ces déchets est déversée en périphérie de la ville, à quelques dizaines de mètres d'habitations familiales. Dans les années qui vont suivre, plusieurs centaines de personnes vont développer des maladies graves, allant du cancer à la malformation congénitale pour les nouveaux-nés, dans une relative indifférence de la part des gouvernements chiliens et suédois.

Avec Arica, Lars Erdman, enfant chilien adopté par des parents suédois, poursuit avec son co-réalisateur William Johansson Kalén le travail d’alerte qu’ils avaient déjà initié dans leur précédent documentaire Toxic Playground à la fin des années 2000, autour de cette catastrophe sanitaire et écologique méconnue.

Arica de Lars Erdman et William Johansson Kalén

Dans cette continuité, les réalisateurs passent de témoins à moteurs de changement et de réflexion, mettant tour à tour les responsables de ce désastre face à leur action, et emmenant l'affaire devant les tribunaux suédois. Un tour de force réussi grâce à leur implication et à de nombreux acteurs internationaux au sein de la justice environnementale européenne, tout comme des acteurs locaux. Le documentaire prend alors la forme d'un film de procès, où se succèdent les rebondissements et les témoignages accablants, face à une multinationale qui ne recule devant rien pour faire entendre la vérité qui l'arrange.

À la fois instigateurs, témoins et spectateurs de ces événements, les deux cinéastes capturent en image la bataille sanglante des experts juristes et de la machine de guerre corporative luttant pour sa réputation. Au milieu de cette lutte, des hommes, des femmes et des enfants chiliens meurtris, épuisés, dépités par les affres qu'ils ont subi depuis plusieurs décennies, et les maigres dédommagements. Une dimension humaine qui tranche avec les salles aseptisées des tribunaux nordiques.

Avec beaucoup de tact, mais également avec l'énergie de la lutte pour la vérité, Lars Erdman s'offre au film face-caméra, tout comme aux différents personnages qu'il rencontre. Cette implication émotionnelle, si elle introduit inévitablement la subjectivité dans ce récit, semble néanmoins nécessaire pour délier les langues des témoins, et contrebalancer les visages figés et sans expression des avocats de Boliden, impossibles murs de faux-semblants et de phrases détournées.

Entre la Suède et le Chili, ce récit devient le combat d'une vie pour ces cinéastes. Une lutte dont les dénouements et les péripéties multiples, entre 2006 et 2019, n'ont pas terni leur volonté.

Cette soif de vérité se transmet dans leur œuvre, réalisée avec beaucoup de finesse et un sens de la narration indéniable, malgré les milliers d'heures de rush dont ils ont sans doute dû extraire la substance. Au rythme de ce récit, nous découvrons des protagonistes déterminés, des paysages blessés, des images d'archives hantées par des traumatismes. Nous voyons des enfants glisser sur des montagnes de déchets toxiques, et nous retrouvons les tombes de ceux-ci dans les cimetières d'Arica, des années plus tard.

L'image dépasse la parole, efface les langues de bois des avocats de Boliden, fait transparaître une vérité implacable. Capturée par ce duo de réalisateurs, l'image devient témoin et preuve au cœur même du procès, brisant les mensonges et devenant performative, moteur de changement. Et quelle que soit la conclusion de la justice, celle du film est sans équivoque. En donnant une voix à Arica et à ses habitants, Lars Erdman et William Johansson Kalén mêlent documentaire et reportage et amènent leur film Arica à un niveau de maîtrise narrative impressionnant, pour un résultat aussi dur que passionnant.

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