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Boîte noire de Yann Gozlan

Publié le 27/08/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

 La puce à l’oreille

Que s’est-il passé à bord du vol Dubaï-Paris avant son crash dans le massif alpin ? Technicien analyste au B.E.A. (le bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Mathieu Vasseur (Pierre Niney) est promu enquêteur en chef sur cette catastrophe aérienne sans précédent après la disparition inexpliquée de son supérieur (Olivier Rabourdin). Erreur de pilotage ? Défaillance technique ? Acte terroriste ? Première étape : l’analyse minutieuse de la boîte noire récupérée sur le site de l’accident, qui n’a laissé aucun survivant.

Boîte noire de Yann Gozlan

Au cinéma, la boîte noire, autrement dit l’enregistreur de vol, est un MacGuffin traditionnel. On en entend beaucoup parler, mais personne ne sait vraiment à quoi ça ressemble. Ici, après un impressionnant prologue en plan-séquence à bord de l’avion maudit, nous voyons une équipe récupérer l’objet, l’ouvrir, le décortiquer pièce par pièce et récupérer ses données. Pour le réalisateur, cette séquence fait office de note d’intention : plus qu’un simple thriller, Boîte Noire sera également l’occasion de nous faire découvrir un microcosme et un métier méconnus. Pierre Niney a d’ailleurs collaboré avec un agent de la B.E.A. pour préparer son rôle.

Six ans après son Un homme idéal son influence chabrolienne, dans lequel un écrivain raté (déjà Pierre Niney) devenait riche et célèbre en publiant un manuscrit volé, Yann Gozlan revient avec un autre film à suspense, mais radicalement différent. Cette fois, c’est l’influence des thrillers paranos des années 70-80, en particulier Conversation Secrète (de Francis Ford Coppola) et Blow Out (de Brian De Palma), qui est revendiquée. À l’instar du preneur de sons incarné par John Travolta dans ce dernier, qui avait enregistré par hasard un meurtre déguisé en accident, Mathieu développe une obsession pour les bandes sonores récupérées.

La première partie du film s’ingénie à décrire, dans les moindres détails, l’analyse scientifique de ces enregistrements, derniers moments vécus par les quelque 300 passagers. À l’aide de différents filtres et de divers outils numériques, l’acousticien écoute, réécoute, triture, nettoie et manipule les données endommagées pour tenter de discerner, en exerçant son sens de l’ouïe exceptionnel, des détails infimes susceptibles de faire avancer l’enquête : un grincement de porte, le roulement d’un chariot, l’exact moment auquel une alarme se déclenche, diverses syllabes formant (peut-être) tel ou tel mot… Pour Mathieu, la boîte noire est un puzzle qu’il doit reconstituer en très peu de temps.

Passionnante, cette partie du film est la plus réussie, la pression intense ressentie par ce jeune agent un peu autiste et d’un naturel très nerveux, incapable de garder la tête froide, fait écho à la savante orchestration du suspense par un réalisateur qui déjoue habilement un piège dangereux au cinéma : comment filmer et rendre passionnants des sons sans images qu’un technicien en laboratoire, dans une concentration proche de la transe, analyse derrière des écrans d’ordinateurs. Privé, comme son héros, de la dimension visuelle, Gozlan comble ce manque avec beaucoup d’inventivité.

Dans un premier temps, les conclusions de Mathieu accréditent la thèse attendue d’un attentat terroriste islamiste, une réponse hâtive, mais crédible et acceptée par tout le monde. Néanmoins, par la suite, plusieurs complications vont pousser Mathieu à douter, à remettre en cause ses propres conclusions, à interpréter et sur-interpréter des sons a priori anodins, jugeant que les seuls filtres valables sont son oreille et son intuition. Bientôt, il remarque des incohérences, puis se met peu à peu à imaginer un large complot que Costa-Gavras et Oliver Stone réunis n’auraient osé inventer. Au grand dam de son directeur (un excellent André Dussollier – pléonasme) qui a besoin de réponses définitives à fournir aux médias. Le film change alors totalement de nature et plonge Mathieu dans un cauchemar où il est « seul contre tous ». Est-il sur la bonne piste ou est-ce qu’il affabule ? Ne laisserait-il pas le poids de ses nouvelles responsabilités prendre le dessus sur sa santé mentale ? Quoi qu’il en soit, ses théories complotistes risquent de lui valoir sa place au sein du B.E.A. et de mettre en péril le couple qu’il forme avec l’ambitieuse Noémie (Lou De Laâge).

S’il est certes un peu dommage que la résolution de l’enquête, moins intéressante que l’enquête en elle-même, frôle les limites de la vraisemblance, ne boudons pas notre plaisir vis-à-vis de cet ambitieux polar, efficace et original, qui met en valeur une vocation rarement vue à l’écran, celle d’un surdoué qui tente de réparer des injustices à la seule force de ses oreilles.

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