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Interview PECA, bassin bruxellois 

Publié le 14/03/2021 par Constance Pasquier et Sylvain Gressier / Catégorie: Entrevue

En mars 2019, nous rencontrions Isabelle Paindavoine, directrice à l’Observatoire des politiques culturelles, afin d’évoquer avec elle, le chantier du PECA, acronyme du Parcours d’Enseignement Culturel et Artistique. Un projet relevant du Pacte d'Excellence et prévoyant pour le tronc commun, tous réseaux confondus un parcours artistique et culturel pour tous les élèves, de maternelle jusqu'aux écoles secondaires. Ayant notamment la vocation de renforcer la dimension culturelle de tous les domaines d’apprentissage, il se base sur trois champs : les connaissances, la possibilité de rencontrer des artistes ou lieux artistiques et l'implication dans des projets artistiques. Près de deux ans plus tard, un ensemble de consortiums se sont créés afin de répondre à un appel à candidature de la Fédération. Pour chacun des dix bassins scolaires de la francophonie, les différentes forces vives du monde culturel se sont ainsi coordonnées, parfois tant bien que mal, afin de travailler à l’élaboration de plateformes, à même de rendre possible la rencontre entre les structures culturelles et artistiques et le monde scolaire.
Nous rencontrons Lapo Bettarini, directeur de la Concertation asbl, structure pilote du consortium du bassin bruxellois afin de faire un point sur ce projet de longue haleine. 

Cinergie : Peux-tu nous présenter le consortium en charge du PECA pour le bassin bruxellois, comment est-il composé ? 
Lapo Bettarini : La Concertation est, depuis novembre 2020, la structure référente du consortium bruxellois du PECA. Ce consortium est chargé de gérer la médiation culturelle des projets artistiques qui sont menés au sein des écoles. Il se positionne sur deux types d'expertises. La première est la possibilité de gérer l'ensemble des opérateurs culturels et les liens avec le monde des écoles. La seconde est une expertise d'opérateurs experts dans les projets culture-école. Il est composé d’un ensemble de partenaires, que sont PointCulture Bruxelles, le réseau des bibliothèques francophones publiques, la Roseraie, Pierre de Lune, le théâtre La Montagne Magique, Brussels Museum, qui représente l’ensemble des musées bruxellois, le réseau des Arts à Bruxelles, la Fédération des Arts Plastiques et l’association des Médiateur.trices Culturel.lles Professionnel.lles.

 

C. : Peux-tu nous expliquer l'idée derrière ce système de répartition par bassin du PECA ? 
L.B. : L'idée, c'est d'adapter l'action culturelle aux territoires scolaires qui sont déjà divisés en dix bassins en FWB. On considère les spécificités de chaque territoire et on décide de définir un consortium en fonction des particularités et caractéristiques de celui-ci. À Bruxelles par exemple, la quasi-totalité des opérateurs travaillant avec les écoles sont déjà sur place, ce qui n'est pas forcément vrai pour les bassins de Liège ou Namur où les territoires sont différents. 

 

C. : Quelles sont les ambitions du PECA, telles que tu les entends ? 
L.B. : On part d'un constat, qui est que lexpression artistique et la pratique culturelle sont fondamentales pour la connaissance, pour la capacité à inventer des langages symboliques pour le développement des individus de tous âges. L'intention est d'intégrer, dans le parcours scolaire, les arts et la culture comme des éléments centraux. Dans la pratique, cela signifie faciliter cet accès, à la fois celui de la culture et des arts au monde scolaire et inversement permettre aux écoles de comprendre les dynamiques du monde culturel et artistique. 

C. : Il y a aussi une part importante donnée à la connaissance du patrimoine culturel dans ce PECA, c’est quelque chose qui te semble important ? 
L.B. : Valoriser le patrimoine est un point fondamental. Les musées ne sont plus des lieux passifs, mais des lieux interactifs. Il y a une influence réciproque du visiteur et du lieu culturel, dans une valorisation active du patrimoine. Je pense que c’est important que les musées participent à ce parcours et dans cette réflexion sur l’évolution des élèves et du monde. 
  

C. : Tout est à construire, comment se projeter ? 

L.B. : Il y a des balises concrètes qui sont données par la Fédération quant à comment lancer le PECA, mais aussi des espaces de création. On nous donne une certaine liberté dans l'approche, qui est basée sur le dialogue et la réflexion entre les opérateurs culturels et les écoles. Il faut parvenir à mettre en place un système qui ne soit pas une grosse machinerie, mais qui soit quelque chose de vraiment intéressant et participatif. On a besoin d'une marge de liberté, de mettre en place une sorte de laboratoire évolutif. On a commencé il y a quelques mois et nous allons remettre un plan d'action d'ici quelques jours, qui relève notamment de ce dont on a besoin, ce qui nous manque et le temps qu'il nous faudra pour avoir toutes les cartes en main. Le consortium représente une partie conséquente, mais néanmoins partielle du monde culturel bruxellois. Il y a des associations de toutes tailles qui travaillent avec les écoles. C'est un travail de longue haleine que de les identifier, les contacter, les informer sur le PECA, questionner leurs besoins et finalement adapter au fur et à mesure la structure PECA. Les écoles de leur côté se préparent également, s'apprêtent à embaucher du personnel et démarrent différentes initiatives. On construit petit à petit. Le chantier est forcément fortement impacté par la COVID. Mais on ne peut pas rester indéfiniment face à cet état de fait, il est plus que temps de poser des premiers gestes concrets pour réellement commencer à avancer. 

 
C. : Le plan d'action de la FWB est programmé sur huit ans. 
L.B. : Le premier contrat programme va de 2020 à 2023, avec une priorité pour les écoles maternelles, dans le futur on ira jusqu'à la 3e voir la 6e secondaire. Toutes les écoles de tous les réseaux sont concernées. 

Lapo Bettarini, directeur de la Concertation asbl

C. : Quelle place peut trouver ce parcours artistique et culturel dans un parcours scolaire tel qu’il est conçu actuellement ? 
L.B. : Cela dépend de la vision que l’on a des écoles. Sont-ce des lieux où l'on va fabriquer des travailleurs ou, comme on le considère depuis des millénaires, des lieux d'éducation, de rencontre et d'épanouissement humain ? Je crois plutôt dans cette seconde déclinaison et même s'il y a aujourd'hui une certaine tendance à focaliser sur la formation professionalisante, je pense que les arts et la culture peuvent inverser cette orientation. Ma vision personnelle est que le PECA peut être un premier pas vers une école différente. Je ne veux pas parler au nom de la Fédération, et surtout au nom de chaque personne impliquée dans le PECA, mais je pense que l'intention est présente pour l’ensemble des personnes engagées dans ce parcours. L’intention affichée est que l'expression artistique et culturelle est fondamentale pour le développement de la personne. La notion de préparation au monde du travail est présente dans la tête de tout le monde, mais on ne le mentionne pas, et c'est symboliquement important, car on met l’accent sur la créativité et le développement. 

 

C. : Vous savez comment ça fonctionne du côté flamand ? 
L.B. : On s'est bien évidemment renseigné et la vision du PECA tend à ressembler à ce qui existe déjà du côté néerlandophone, au moins à Bruxelles, avec une structure qui s'occupe de créer une plateforme qui gère la médiation culture-école, avec un budget défini. La différence est que le budget que la Fédération met à disposition doit d'abord soutenir les écoles des zones blanches, qui ne font habituellement pas de projets culturels et artistiques. Il viendra en complément des budgets déjà prévus par d'autres programmes et décrets. Alors que du côté néerlandophone, c'est l'ensemble des projets qui passent par une gestion centralisée. 

 
C. : L’enveloppe prévue pour la mise en place du PECA te semble-t-elle réaliste ? 
L.B. : Le budget prévu à l’heure actuelle est de 1 million d’euros la première année avec augmentation progressive à 8 millions d'euros dans 7 ans. C'est un budget qui fait sens pour démarrer, mais évidemment ce n'est pas suffisant vis à vis de l'ensemble du travail à accomplir. Pour Bruxelles seule, on parle de 351 écoles. On doit commencer quelque part, le travail commencera donc avec des projets pilotes en classes maternelles de zones blanches, c’est-à-dire les établissements ayant le moins accès dans les faits aux arts et à la culture. Mais pour pérenniser un travail à l'échelle du bassin, il faut bien évidemment des budgets conséquents et donc une augmentation. Sur les 100 000 euros de la première année pour le bassin bruxellois, il faut compter les frais de fonctionnement, les personnes engagées pour faire fonctionner la plateforme. Avec le reste, on pourra mettre en place des petits projets pilotes de 2500, 3000 euros par projet, avec l'objectif de ne pas faire payer les écoles ou les élèves. 
 

C. : Comment avancer sans visibilité sur un budget à même de répondre aux ambitions affichées que sont un accès égalitaire à l'art et la culture pour l'ensemble des élèves ? 
L.B. : Je pense que le monde scolaire et le monde du travail sont les deux secteurs principaux qui font marcher un pays, et où il faut donc investir prioritairement. Personnellement, je pense qu'il fallait investir beaucoup plus. On n'arrivera jamais à définir à l'avance le budget nécessaire et il va y avoir constamment des adaptations nécessaires. Faire entrer des projets artistiques dans les écoles signifie également avoir des espaces adaptés, des moyens et des suivis techniques. Ça peut facilement amener à des chiffres incroyablement élevés. Rendre le PECA possible n'est pas qu'un effort de financement, c'est aussi un effort de réduction des coûts, d'optimisation des bâtiments scolaires. On rencontrera des difficultés et des écueils, qui poseront des questions, auxquelles l'ensemble des gestionnaires politiques devront répondre. Il faut être réaliste et bien définir les besoins, mais il faudra demander plus. 
 

C. : Comment va t-on évaluer la cohérence des projets artistiques au sein du PECA, en tant que tel et à l'aune des objectifs communs ? 
L.B. : Le rôle des écoles sera fondamental, ce sont elles qui ont la capacité de juger, en fonction de leurs réalités, comment fonctionner. L'important est de faire émerger les projets de l'école avec l'aide des opérateurs culturels en se basant sur leur expérience. L'un des principaux enjeux sera de mettre en évidence la coexistence de la culture et des arts au sein des matières déjà enseignées à l'école. Pas seulement mettre les uns à côté des autres mais faire percoler les arts et la culture au sein de l'enseignement classique. Je viens du monde de la physique, et je peux vous assurer que l'on peut faire pas mal de choses en changeant un peu de mentalité. 
 

C. : Et comment faire changer ces mentalités ? 
L.B. : Je ne pense pas que l'on obtiendra de résultat en imposant les choses. À court terme peut-être, mais ce qu'il faut faire c'est accompagner. Il y a déjà des enseignants et des écoles très actives, d'autres où il y a des difficultés, qui peuvent être financières, temporelles ou techniques. Il faut stimuler les enseignants, mettre en lumière leur travail, donner une opportunité de s'exprimer quant à leurs volontés de développement, et je suis sûr que la dynamique pourra alors s'installer d'elle-même. Changer fait peur, même si la structure est large et que l'on se donne le temps, il va falloir faire un premier pas d'impulsion qui n'est jamais facile. On va travailler avec des opérateurs qui travaillent avec des écoles depuis longtemps, on ne va pas leur dire que tout ce qu'ils ont fait est nul, on recommence. Il faut valoriser ce qui existe, sans être directif, mais transversal aux matières existantes et avec des parcours consacrés aux arts et à la culture. Le défi de la plateforme sera de garder le cap sur une temporalité qui laissera le champ à ces questionnements et adaptations. 

C. : Mais au-delà de l'envie des enseignants, n'y a-t-il pas des contingences indépendantes de leur champ d'action ? 
L.B. : C’est un ensemble. Je ne suis pas naïf, il y a forcément des gens qui ne sont simplement pas intéressés par les arts et la culture, ou qui n'ont pas conscience que leur activité relève déjà de ces champs. Il y a un travail de formation à faire. Pour y arriver, il faut d'abord connaître le territoire, poser les problématiques et chercher les réponses ensemble. Il faut écouter les enseignants et mettre l'accent, non seulement sur le parcours artistique et culturel des élèves, mais aussi des enseignants. 

 

C. : Le chantier est immense, quelles seront vos priorités ? 
L.B. : On part des cadastres de la FWB, pour voir quelles écoles mènent déjà des projets financés et quelles sont les écoles où il y a des manques. Mais on rentre là dans la grosse difficulté de définir ce qu'est un projet artistique officiellement reconnu. À quel moment, par exemple, une activité menée par des parents au sein d'une école maternelle est reconnue comme un projet artistique ? Il va falloir un travail de terrain en complémentarité du travail des référents culturels et des enseignants relais. 

 Lapo Bettarini, directeur de la Concertation asbl

C. Qu'est-ce qui te semble intéressant d'ajouter ? 
L.B. Si on veut une dynamique réellement à l'écoute du territoire, je pense qu'il faut, en plus des écoles et des enseignants, impliquer les élèves. La question du "comment" reste entière, et bien évidemment les défis sont différents selon les âges. Pour qu'un projet fonctionne, il doit émerger du territoire et pas être imposé. 

 
C. : Est-ce qu'il y a des évaluations prévues et est-ce que les élèves seront partie prenante de ces évaluations ? 
L.B. : Oui, le détail de ces évaluations n'existe pas encore, mais on souhaite bien évidemment qu'elles soient menées par toutes les parties prenantes. L'autoévaluation continue est également quelque chose de fondamental. 

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