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« Je veux faire du cinéma » de Frédéric Sojcher 

Publié le 21/05/2021 par Bertrand Gevart / Catégorie: Livre & Publication

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le cinéma belge (sans jamais oser le demander)

Plus de 15 ans après la première édition de son livre Main basse sur le film dans lequel Frédéric Sojcher exposait les heurts et malheurs qui ont eu lieu sur le tournage de son premier long-métrage Regarde-moi, la réédition de ce livre augmenté d’un chapitre final éclairant les liens entre le film et la dimension intime, s’accompagne d’un autre ouvrage : Je veux faire du cinéma. Dans ce dernier, le cinéaste belge Frédéric Sojcher nous livre, sans tabou, son témoignage sur les rouages du cinéma belge. Si l’ouvrage propose de faire bouger les lignes, d’agiter les principes trop ancrés, de démolir les a priori, d’exploser le lissage trop parfait d’une « famille » qui sait se tenir, il est tout autant un témoignage sensible et percutant sur l’évolution du cinéma belge, sur les rêves qui viennent se percuter violemment à la machine ultra-libéraliste.

« Je veux faire du cinéma » de Frédéric Sojcher 

La citation issue de La confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset précédant la magnifique préface d’Antoine de Baecque condense à elle seule la détermination de Frédéric Sojcher. À celle-ci, ajoutons celle de Brecht qui s’accorde parfaitement avec les propos du livre concernant cette bonne vieille famille du cinéma belge qui semble se ternir, un bon vin rouge qui tourne au vinaigre mais qui garde sa force de nuire : « On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent ». Quittons la polémique quelques instants. Si ce livre et son auteur ont accusé quelques coups, il s’agit avant tout d’une confession, d’un témoignage à l’écriture vive et puissante, sèche et pleine de références qui bien plus que nous emmener au cœur des petits arrangements entre amis, nous confie une bataille active pour faire des films.

 

En effet, bien plus qu’une polémique qui s’étale sur quelques pages seulement, bien plus qu’un dévoilement des rouages, des anecdotes, des méandres houleux dans lesquels tous les coups semblent être permis, c’est avant tout un livre sur le parcours d’un homme, d’un artiste, d’un citoyen, d’un témoin sur l’évolution d’une certaine manière de faire des films. Depuis les salles aux murs décrépis de l’Insas, jusqu’aux rendez-vous presque caché avec André Delvaux, de la première rencontre avec un producteur façon «Gainsbarre» à essayer de crécher à Cannes jusqu’aux premiers refus de la Commission, le livre dépeint avant tout un «cinéaste à tout prix», un cinéaste qui enrage de l’impossibilité de faire des films. Le voyage en «absurdie» au cœur du système de la Commission de sélection des films laisse place à un véritable scénario de films, remplis de rencontres, de déceptions, de joies, de drôleries, d’éternels recommencements. Frédéric Sojcher construit son livre comme un funambuliste, entre une voltige kamikaze, et une construction consciente, une liberté retrouvée.

 

Dans cette filiation, l’auteur est aussi un avertisseur d’incendie pour la future génération de cinéastes qui ne se doutent guère qu’elle sera envoyée au casse-pipe : «Trop souvent, les jeunes cinéastes n’ont pas conscience qu’ils seront les prochains sur la liste à être envoyés au casse-pipe, à ne plus pouvoir faire de films s’ils ne réussissent pas du premier coup. Il faut que les nouveaux cinéastes aient le temps de trouver leurs marques et que les «vieux» ne soient pas jetés tels des Kleenex ... Il faut considérer à sa juste mesure le parcours d’un cinéaste. Il faut casser la machine à broyer». Si les derniers mots peuvent résonner comme une invitation révolutionnaire, c’est avant tout une invitation à mesurer le poids de notre héritage cinématographique, à ne pas sombrer dans une forme de censure pour certains cinéastes et éviter un conflit générationnel.

 

Cette alerte, c’est aussi celle de voir des histoires du cinéma belge se briser, au profit d’une cadence frénétique dans laquelle un clou chasse l’autre, où les cinéastes tomberaient dans l’oubli jour après jour par manque d’efficacité, de rapidité, de notoriété. Son parcours permet de repenser la manière dont on envisage de faire des films et dénonce le système absurde de financement. L’auteur souligne l’impossibilité de juger d’un projet et de son évolution puisque les membres de la Commission changent d’une Commission à l’autre : « Pendant l’audition au cours de laquelle je défendais mon projet, je m’étais retrouvé face à un des techniciens de mon tournage en Grèce. En plein tournage, il m’avait traité de nazi, parce que j’avais demandé à l’acteur de jouer la scène où il assistait au viol de sa «fille»... Il m’a aussi conseillé amicalement d’arrêter de faire du cinéma ! Pouvait-il juger en toute impartialité d’un nouveau projet ?

 

Tout le problème énoncé par Frédéric Sojcher réside précisément dans cette expérience vécue à la fois comme cinéaste qui demande de l’aide au financement et qui se voit refuser à plusieurs reprises. Qui juge ? Comment ? Quels sont les critères ? Pourquoi les membres changent-ils d’une session à l’autre sans pouvoir assurer un suivi ? Pourquoi n’y-a-t-il pas les mêmes critères pour tout le monde?: «À plusieurs reprises, quand je siégeais à la Commission, je me suis apercu combien d’autres membres ignoraient les précédents films des cinéastes belges qui y présentaient leurs nouveaux projets. Il suffit de ne plus être sous les feux de l’actualité pour tomber aux oubliettes, sans même avoir eu le temps de s’en rendre compte...enfin est-on le mieux placé pour vanter les mérites de son propre travail ?»

 

La marque de l’auto-critique n’est jamais très éloignée des propos et interrogations à l’égard de la Commission. Il ne s’agit nullement de les annuler, de leur assigner une quelconque malhonnêteté, mais bien de relever des défauts présumés résultant de son expérience. Au fil des différents chapitres, le tableau s’assombrit et l’auteur énonce, tel un franc-tireur, les remarques douteuses voire nauséabondes qu’il a subies concernant ses origines, s’attaque au système économique qui ne favorise et privilégie qu’une localisation des productions sur le territoire national, la méfiance vis-à-vis des Français de la part des Belges. Mais c’est aussi, après 15 refus en Commission, que le livre, jusque-là ponctué d’humour et de cynisme, annonce une bonne nouvelle qui se profile puisque le scénario de Et si...  a été plébiscité par la Commission de la Région d’Occitanie. Cependant, pas de répis pour les vaincus, ça se fera sans coproduction belge : « Plus de cinq cents aides à l’écriture et à la production ont été accordées en douze ans par la Commission du film de la Fédération Wallonie-Bruxelles et aucune pour toi » !

 

Alors que retenir de ce bilan ?

 

Finalement, outre la polémique sur la Commission, Frédéric Sojcher pose son regard et dépèce un système pour l’exposer à notre regard, des rouages opaques qui ne sont pas connus du plus grand nombre et qui, pourtant, méritent que l’on s’en mêle, car bien plus que son parcours personnel, il s’agit également de l’avenir de notre cinématographie. Et puis, au détour de certaines marges, comme un enfant de fin de siècle, ce sont des mots, des textures, des atmosphères d’une époque cinématographique que certains n’ont pas connue, mais aussi des noms, des personnages et des mémoires qui se croisent.

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