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Juwaa, un film de Nganji Mutiri

Publié le 15/03/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

En avant première au Festival de Mons, ce 15/03
Avant-Première au cinéma Palace le 31 mars

 

Traverser la nuit 

 

Poète et photographe, acteur et cinéaste, Nganji Mutiri arpente les scènes de théâtre, expose ses photographies, préside des concours d’éloquences, initie des collectifs… Son répertoire est vaste, son énergie puissante, ses activités multiples. Homme de mots et d’images, il a déjà réalisé de nombreux courts métrage. Juwaa développe le plus récent d’entre eux, Le Soleil dans les yeux. Plongé dans la nuit des traumatismes, entre Kinshasa et Bruxelles, Juwaa raconte les trajectoires d’une mère et de son fils et se fait le portrait vibrant de deux êtres violentés par l’Histoire.

Juwaa, un film de Nganji Mutiri

Magnifiquement interprété par le jeune comédien Edson Anibal et la très belle Babetida Sadjo, la réussite de Juwaa repose en partie sur leur puissance, leur justesse, leur beauté ébréchée. Entre ces deux corps s’est glissée la nuit d’un évènement qui n’en finit par de les hanter et fait barrage entre eux. C’est lui qui ouvre Juwaa en prologue terrible, lui qui porte sans cesse son ombre sur leur relation et revient régulièrement scandé le film qu’il troue de sa noirceur, avançant peu à peu vers son dénouement terrible, cisaillant le lien entre la mère et le fils.

Quand Amani débarque à Bruxelles, il n’est plus l’enfant qu’il était alors à Kinshasa quand des hommes masqués ont débarqué chez sa mère et son père en pleine nuit. Riziki a depuis fui son pays où elle a dû laisser son enfant. Elle a refait sa vie à Bruxelles, elle est écrivaine. Elle aussi est une femme de mots mais face à son fils, les mots ne passent pas. Amani est un corps électrique, puissant, habité d’une rage ombrageuse qui se refuse au contact, au dialogue, quand bien même son sourire l’illumine, quand bien même son don pour le dessin l’entraîne vers la vie, quand bien même...

Alors entre eux, le souvenir, les non-dits, les pardons vont devoir trouver leur chemin. Et pour cela, frôler l’irréparable. 

Dans les errances urbaines qu’il déploie, que ce soit à Kinshasa ou à Bruxelles, dans le travail de la photographie très soignée, dans ses nuits saignées de bleu ou de rouge, Juwaa flirte avec le cinéma américain des années 70, les dérives de jeunes types paumés vers les bas fonds mafieux dont le destin ne tient qu’à un fil, les destinées tragiques vouées à se répéter quand l’innocence est perdue. Ici aussi, portée auprès des corps, sensible et à fleur de peau, la caméra colle aux basques de ses personnages et d’Amani surtout. Elle trésaille et respire au grè des vibrations du jeune homme qui tel une cocotte-minute peut exploser à tout instant, que sa rage contenue dépasse, que sa culpabilité étouffe. Dans une profondeur de champ indiscernable qui laisse la ville, les autres, le monde dans le brouillard, les chemins sont flous. C’est que le temps s’est arrêté à Kinshasa, lors de cette nuit terrible. Depuis il joue en boucle, dans le silence de la mort et de la séparation, les remords, la culpabilité… C’est le propre du traumatisme.

En quelque sorte épuré, le film avance en ligne droite vers l’inéluctable d’un geste qui viendra boucler la boucle mais rouvrir les possibles. Les chemins qui, à chaque fois, se sont séparés pourront se renouer enfin. C’est que désormais, ils ne seront plus subis mais choisis. Et c’est là la puissance et la dignité du film qui déploie la trajectoire de ces êtres que l’Histoire a brisés et séparés mais qui tentent de se retrouver et de se rendre maîtres de leur destin. Et si Juwaa s’ancre dans le contexte de l’histoire tourmentée de la République Démocratique du Congo sans trahir les origines de ses personnages, ce qu’il fait vibrer à l’écran se situe bien au-delà, dans la tension entre la souffrance du traumatisme et le désir de s’en libérer, entre la nuit du souvenir et le soleil de l’avenir, entre la mort qui hante et la vie qui appelle.

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