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L’Atelier d’Inès Rabadan

Publié le 04/02/2022 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Au début de l’an 2000, l’atelier d’Alexandre Obolensky réalise une toile monumentale d’après un dessin représentant la louve capitoline de l’artiste John MacFarlane pour La Monnaie. Cette toile, réalisée pour la représentation de l’opéra Agripina composé par Georg Friedrich Haendel, devient l’espace d’exploration de la réalisatrice Inès Rabadan dans son film l’Atelier.

L’Atelier d’Inès Rabadan

Arpentant la toile dans ses plus petits détails, la cinéaste interroge les liens si particuliers qui se tissent entre le geste cinématographique et celui de la peinture. 

Le drapé blanc et majestueux de la toile délicatement dépliée se répand dans tout le cadre. Les premiers tracés battent la mesure un peu « comme un combat naval » avant que les pinceaux et les brosses glissent, voltigent, fassent volte-face, accélèrent, ralentissent, marquent des arrêts, se mélangent. Entre les hésitations, contours et lignes, nous découvrons le modèle, une version de la louve capitoline dessinée par John MacFarlane. Ici, pas de reproduction technique de l’œuvre d’art mais bien une reproduction artisanale préservant son aura et où se déploie le geste artistique et politique. Dans ce jeu d’échelles permanent, les gros plans se succèdent et révèlent une œuvre morcelée. C’est alors que la réalisatrice superpose le geste cinématographique à celui des peintres, poursuit et accompagne le geste manuel des brosses gorgées de rouge par celui de la caméra. Au fil de ce monumental « work in progress », Inès Rabadan s’attarde de plus en plus sur les menus détails, sur les infimes taches qui créent la rupture, sur les multiples fissures qui permettent d’éclairer un nouveau pan de l’œuvre et de l’artiste au travail pour finalement faire de l’atelier le film lui-même rejoignant les mots de Marie-José Mondzain-Baudinet : « L’atelier visible et matériel à beaucoup changé. Lieu de travail, il l’est toujours, mais son espace est celui de la pensée elle-même. L'histoire de l’atelier réel correspond à la longue genèse d’un atelier imaginaire, et met en lumière ce qu’il a toujours été : périmètre mental et matériel indéfini du travail dans son faire le plus essentiel ». 

Au terme de ce géant chantier pictural, le film parvient à saisir l’indétermination qui se loge au creux d’une œuvre plastique en faisant correspondre le geste du « film à faire » et l’œuvre picturale en train d’émerger avec une esthétique brutaliste faisant du « micro » et de l’infime le point névralgique de toute œuvre.

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