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50/50 - Les Barons de Nabil Ben Yadir

Publié le 08/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Après une formation en électromécanique, Nabil Ben Yadir débute sa carrière en 2001 en décrochant un petit rôle dans Au-delà de Gibraltar. Quatre ans après sa première expérience avec Taylan Barman, il apparait dans Le Couperet de Costa-Gavras. La même année, il tourne son premier court métrage, Sortie de clown, dans lequel il raconte l’histoire de Lucien, à la fois croque-mort et clown dans les hôpitaux.

50/50 - Les Barons de Nabil Ben Yadir

Julien Brocquet : Quelle était votre volonté quand vous vous êtes mis à écrire le scénario des Barons ?

Nabil Ben Yadir : La première, c’était d’écrire. Juste d’écrire. Sans déjà me dire que ça allait devenir un film. Parce que, quand j’ai commencé à gratouiller un peu les choses, j’étais encore à l’école. Quand tu écris un scénario, tu rêves de le voir en images mais, évidemment, ce n’est pas possible. Donc, il y avait une liberté de ton, due au fait que je n’avais rien à perdre. Quand ça commence un peu à se concrétiser, le moteur devient différent. Mais j’ai toujours gardé pour ambition de fabriquer un film que mes potes et moi on aurait envie d’aller voir. Je n’ai pas fait une école de cinoche. Je n’avais pas de principes, de règles, de bases d’écriture. Ca m’a offert beaucoup de liberté. Une liberté de ton et de dire ce que j’avais envie de dire. On partait du principe que personne ne verrait le film et qu’il n’existerait pas.

 

J.B. : Il y a aussi, très vite, l’idée de casser l’image négative de Molenbeek ?

N.B-Y. : Ce n’était pas un devoir. L’idée était de me raconter. Ce n’était pas politique. Mais on raconte ce qu’on voit, ce qu’on croit et ce qu’on ne voit jamais. Et, forcément, ce qu’on ne voit jamais sur Molenbeek, c’est l’humour et tout ça… Pour moi, avec Les Barons, on est passé des pages « société » aux pages « culture ». Je voulais raconter un truc que la presse ne racontait pas. Dépasser l’image que les gens pouvaient avoir de cette commune qui était la mienne.

 

J.B. : Vous pensez avoir ouvert des portes à la communauté maghrébine dans le cinéma en Belgique ?

N.B-Y. : Pas moi. Ce serait prétentieux. C’est le film qui a donné la possibilité à des jeunes de se dire : « tiens, c’est possible », « tiens, ça marche », « tiens, ils sont habillés comme nous et ils passent à la télé et au cinoche »… Il y avait déjà ça en France, mais pas en Belgique. Je pense que c’était ça aussi. Faire une comédie un peu dramatique sur des jeunes de quartier qui parlent comme ils parlent. Qui sont ce qu’ils sont. Et qui font ce qu’ils font. Ca a quand même débloqué quelque chose. Des mecs comme Adil et Bilall, qui ont réalisé Black, n’auraient pas pu exister sans Les Barons. En Belgique, on est toujours un peu en retard. En France, il y a toute une énergie des mecs de banlieue. Toute une organisation, une espèce de solidarité. Les choses se font. Mais, la France, avec ses plus de 60 millions d’habitants, c’est un fameux marché. Il ne faut pas l’oublier. Je pense aussi que les jeunes talents autodidactes y ont été plus vite reconnus. Que ce soit dans le football ou dans plein d’autres domaines. On a pu reconnaître le talent de quartier. Ce talent autodidacte, qui n’est pas officiel. On a pu le remarquer dans l’humour. Comme aux Etats-Unis, c’est le talent qui prime. On ne va jamais te demander ce que tu as fait dans ta vie et ce que tu as comme diplôme. Ici, pendant un temps, il fallait être réalisateur et scénariste. Ou il fallait être sorti d’une école officielle, l’IAD ou l’INSAS, que je ne rejette pas, mais on n’a pas cru au talent de la rue. Et le talent de la rue, il ne connaît pas les codes pour se déplacer. Il ne connaît pas le cinéma belge…

 

J.B. : Comment on fait pour rencontrer un aussi large public quand on est totalement inconnu ?

N.B-Y. : Les gens ne sont pas allés voir le film de Nabil Ben Yadir. Ils sont venus voir Les Barons. C’était l’avènement de Facebook et on a utilisé un teaser tourné en 35 millimètres, qui durait cinq minutes, je crois. Les acteurs lisaient une annonce de casting en disant qu’un film allait se faire sur eux et ils se demandaient pourquoi ils n’avaient pas été mis au courant. C’était une mise en abîme. Certains décideurs avaient clairement des doutes par rapport à moi, en tant que réalisateur. La prod m’avait dit : « il va falloir que tu tournes une scène du film pour faire tes preuves ». Bref. OK. Mais je ne voulais pas tourner une scène sortie du contexte, une scène qui n’aurait pas de sens. Et donc, j’avais décidé, avec mon coscénariste, d’en écrire une autre… On l’a diffusée lors de deux concerts de rap au Cirque royal et à Forest National. Un accueil de fou. Puis, on a utilisé Facebook. A l’époque, on n’y trouvait pas un milliard de vidéos avec des scènes violentes, des gens qui se font égorger ou taillader. Ca a beaucoup circulé. Une centaine de milliers de vues. Le téléphone arabe a fait le reste. Mon public ne va pas spécialement acheter le journal Le Soir et écouter Hugues Dayez pour savoir quoi aller voir le mercredi. Tu as plusieurs catégories. Certains se sont dit: « tiens, on parle de nous au cinéma ». D’autres : « bon, un film avec des mecs de Molenbeek, ça me fait peur, mais je vais quand même y aller ». Et d’autres encore : « ça fait 30 ans que je vis dans ce pays, j’ai jamais été au ciné, on m’a dit qu’il y avait un film qu’on pouvait aller voir en famille ». Après, tu entends que des gens achètent des tickets pour le film de Michael Jackson pour essayer de rentrer parce que Les Barons, c’est complet. La salle ne peut plus projeter parce qu’il y a des mecs assis devant les sorties de secours et tu dois allez faire un speech sur demande du gérant… En plus, je pense qu’on a été l’un des premiers films belges piratés. Tu envoies à des partenaires sans te douter. D’habitude, c’est Cameron, c’est Titanic qu’on pirate. Quelques-uns ont gagné énormément d’argent avec Les Barons

 

J.B. : Quel regard jetez-vous sur l’humour dans le cinéma belge ?

N.B-Y. : Il n’a pas de règle. Ce que je trouve assez extraordinaire. Pour Les Barons, je n’ai pas pensé « comédie ». C’est peut-être pour ça que j’ai réussi à en faire une. Je ne suis pas rentré dans les codes. Il y a des films qui m’ont fait rire. Un ovni, une folie comme Dikkenek. Ou un C’est arrivé près de chez vous. Je n’ai pas vendu Les Barons comme une comédie à la Commission. On m’avait dit que ça ne passait jamais. Donc, je l’ai présenté comme un travail intérieur sociologique avec un brin d’humour. Je suis tchatcheur. C’est une arme. Et pas que dans les quartiers.

 

J.B. : Quel film ou réalisateur belge francophone a été particulièrement important pour vous ?

N.B-Y. : J’aurais aimé te parler d’un réalisateur de Face B, d’un mec de derrière les fagots, mais j’aime bien l’univers de Jaco Van Dormael. Ses films, les challenges qu’il relève. A l’époque, je savais qu’il habitait Saint-Josse et je lui disais que je voulais devenir réalisateur. Que j’avais besoin de coups de main. De conseils. Il m’a toujours bien accueilli. Je traînais avec Virginie Efira, que je connais depuis mes 16 ans. On traînaillait ensemble en essayant de faire des films. On essayait de comprendre où était l’arnaque et comment on pouvait y arriver. J’avais adoré Le Huitième Jour. Un film populaire. Fort. J’aime beaucoup le fait que Jaco essaie des choses. J’ai travaillé à l’usine. J’ai fait chaque fois la même pièce. J’ai la hantise de la répétition. Lui, il essaie. Il innove. Il crée. Il invente. Il tente des choses techniques, est en perpétuel mouvement et avec une touche identifiable. J’ai ouvert ma boîte de production. J’ai envie d’aller chercher des jeunes de quartier qui ont un talent fou et qui ont envie, mais qui n’y arrivent pas. Adil et Bilall avaient fait le making of des Barons et là je vais coproduire leur prochain film. Des gens qui n’ont peur de rien et qui ont envie de raconter des trucs, c’est vers ça qu’on va. Pourquoi je vais aller voir ton film alors que 50 sortent cette semaine ?

 

Julien Brocquet

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