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Les Garçons sauvage de Bertrand Mandico

Publié le 04/04/2018 par Fred Arends / Catégorie: Critique

L'île aux trésors

Film météore audacieux et inclassable, le premier long-métrage de Bertrand Mandico poursuit une œuvre plastique multiple et personnelle. Dès le carton du titre, l'univers du cinéaste s'impose et nous enveloppe pour un voyage inattendu. Une voix-off nous interpelle : « Connaissez-vous l'histoire de Tanguy et des garçons sauvages ? » Cette question, comme une invite, annonce le récit des événements qui ont conduit ce garçon à cette plage, la nuit, seul et perdu. De ce présent qui ouvre le film, nous remonterons les étapes de ce périple d'une grande puissance visuelle et thématique.

 

Les garçons sauvagesCinq garçons issus de riches familles, décadents, insoumis, libertaires et violents sont jugés pour la mort de leur professeure de littérature. Feignant l'innocence et la naïveté, ils se font passer pour les victimes d'une femme perverse. Mais leurs nombreux méfaits antérieurs poussent leurs parents bourgeois à les confier au Capitaine, homme mystérieux et autoritaire. Celui-ci les emmène sur son bateau pour un voyage censé les rendre doux et dociles. Mais la mutinerie n'est jamais loin. Les jeux de pouvoir et de domination, de soumission et de traîtrise iront en s'accentuant.
Empruntant son titre au roman déroutant et très violent de William S. Burroughs (1971), le cinéaste déroule une esthétique délibérément artificielle qui s'accorde parfaitement à l'univers du conte. Le cadre aux coins arrondis évoquent les débuts du cinéma, accentuant l'intemporalité du récit. Le sublime noir & blanc est troué de passages en couleurs saturées qui fonctionnent comme des visions, des évocations ou des rêveries. Parsemé de fantasmagories et d'images délirantes, le récit n'en reste pas moins structuré et cohérent, porté notamment par une double voix-off très élaborée, celle d'une narratrice-conteuse et celle de Tanguy, l'un des personnages principaux. Les références pourtant multiples, des brillances ésotériques de Kenneth Anger au néo-cinéma muet de Guy Maddin, n'empêchent jamais le cinéaste de déployer son propre imaginaire où surimpressions et projections renforcent les beautés. Travaillé par la fluidité des corps et des sexualités, le film s'avère lui-même transgenre, convoquant le récit initiatique, le film d'aventures et de chasse au trésor à la Jules Verne, la fable fantastique et les questionnements queer.
La seconde partie est certainement la plus étonnante, décrivant une nature sexualisée et polymorphe où les végétaux sucent, mordent ou lèchent. L'éco-sexualité hédoniste promet des possibilités de transformation et de féminisation des corps. Osant les images crues et d'un érotisme souvent brûlant (la magnifique scène de danse-transe noyée d'ivresse), Mandico déploie un superbe cinéma organique; fruits poilus, chibres tendus et tatoués, semences apaisantes ou psychotropes. Cette réussite est rehaussée par une musique aux plages synthétiques inquiétantes et oniriques et des interprètes exceptionnels : outre les cinq garçons, merveilleusement ambigus, on retrouve les habituées du cinéaste (Nathalie Richard et surtout Elina Löwensohn) et Sam Louwyck, parfait en capitaine-mentor.
L'avenir sera sorcière. Nous y souscrivons.

 

 

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