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Mémoire de nos mères de Tristan Bourlard

Publié le 03/05/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Petites histoires, grandes oubliées ? Les femmes de Belgique, à l'instar mais peut-être encore plus que leurs homologues européennes, ont fait les frais de cette Histoire du vingtième siècle écrite par les hommes. Pourtant, elles se souviennent encore aujourd'hui et racontent, au travers de ces mémoires, de ces témoignages et de ces archives exhumées un autre pan de ce tournant de millénaire teinté de tragédie mais aussi d'émancipation.

Mémoire de nos mères de Tristan Bourlard

Inspiré par le livre Belgiques. Chemins de femmes de Marianne Sluszny, avec qui il co-écrit ce film, le réalisateur Tristan Bourlard met en images les voix de ces femmes uniques qui ont grandi dans un siècle qui le fut tout autant. Débutant son histoire au temps de la Grande Guerre, il voyage au gré des paroles et des fragments de pellicule des années 1920 à nos jours, en parcourant les grands événements qui ont fait l'histoire de notre pays. Pour raconter celles qui ont disparu, il les ramène à la vie avec les animations fines, simples et douces de Cédric Deru (Zest Studio), comparse indispensable du cinéaste pour permettre au public de se représenter ces temps révolus et ces héroïnes oubliées. Derrière les images d'archives et les plans où l'homme est omniprésent, l'absence d'images de femme est en effet criante, et ce malgré un travail de recherche impressionnant. En animant, en dessinant, l'équipe du film donne corps à de nouvelles tranches de vie, reconstruisant les souvenirs enfouis des femmes auxquelles prêtent leur voix des comédiennes de renom comme Marie Paule Kumps, Sylvie Coulon, Anne Coesens. L'occasion pour le documentaire de revenir sur les avancées telles que le droit de vote universel qui furent celles de l'après-guerre, à ceci près que les femmes en furent écartées et ce, jusqu'en 1949.
Ainsi que sur des épisodes, bien moins glorieux, comme les tontes et les humiliations publiques pour celles qui avaient offert leurs corps à l'occupant, parfois contre une bouchée de pain pour sauver leurs enfants.

Oubliées, opprimées, mais pas démontées, certaines de ces femmes sont déjà des héroïnes reconnues. Gabrielle Petit, Edith Cavell, des noms qui sonnent familiers sans pour autant être aussi glorifiés que ceux de leurs homologues masculins. D'autres ressurgissent des mémoires, comme si l'Histoire n'avait pas daigné jusqu'alors leur donner crédit. Léonie Lafontaine, Marie Spaak-Janson, et d'autres. Femmes politiques, combattantes pour la paix, infirmières, ou simplement personnes de talents qui n'ont pas eu la chance de passer à la postérité. Par ce film et par ces lignes, l'autrice et le cinéaste leur redonnent vie, une seconde chance pour les intégrer à notre Histoire. Elles apparaissent au détour des archives de Bruxelles et d'ailleurs, des lignes de front aux plages de la mer du Nord, par les interstices que leur laisse la société d'hier. Gageons que dans le monde de demain, elles n'aient plus à se faufiler dans les marges du récit, mais qu'elles y occupent une place digne dans nos souvenirs, ceux de leurs fils et de leurs filles d'aujourd'hui.

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