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Nicolas Fong, animateur

Publié le 01/04/2022 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Depuis cinq ans déjà, Nicolas Fong déploie ses jeux d’images psychédéliques sur les écrans du festival Anima, dont il a réalisé l’affiche en 2017. Alors qu’il poursuit le développement de ses projets entre inspirations du passé et techniques modernes d’animation, nous l’avons rencontré le temps d’un retour arrière sur sa carrière d’animateur bruxellois touche-à-tout.

Cinergie : Qu'est ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Nicolas Fong : À l’époque, je faisais des études de graphisme à Paris, et j’avais découvert au Forum des Images les rendez-vous de cinéma d’animation. Des rencontres animées par une réalisatrice ou un réalisateur, présentant leurs films favoris tout en parlant de leur travail. C’est de là qu’est née ma passion. Le graphisme, ce sont des images figées, ce qui me laissait avec une certaine frustration. Je voulais raconter des histoires, et c’est dans le cinéma d’animation que j’ai trouvé cette possibilité. Après mes études de graphisme, je me suis inscrit à La Cambre, ici à Bruxelles.

 

C. : Vous avez des influences, des personnes, des films qui vous inspirent ?

N.F. : C’est avec les films de Paul Driessen que je me suis convaincu que faire de l’animation était possible pour moi. Non pas qu’ils étaient simples, au contraire, mais son approche me semblait à ma portée, et correspondre à ce que je recherchais. En termes d’influence, je citerais aussi son travail sur Yellow Submarine, et toute cette veine de l’animation psychédélique des années 70. Akira fait aussi partie de mes inspirations, tout autant le film que le manga d’ailleurs. En termes de bandes dessinées, le travail de Killoffer ou de Chris Ware sont aussi des influences majeures. Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive et elle évolue encore aujourd’hui au fil de mes découvertes.

 

C. : Vos premières expériences, c’était pour des films et des séries assez costauds, Le Tableau ou encore Les mystérieuses cités d’Or, comment s’est passée cette entrée dans le monde professionnel de l’animation ?

N.F. : Juste après mes études, j’ai été approché par une boîte d’animation française pour travailler en Flash. C’était une expérience que j’avais déjà eue en tant qu’étudiant sur le film Peur(s) du noir, et cette société - Blue Spirit - m’a donc engagé en tant qu’animateur cut-out. Nous avons ensuite été formés avec mes collègues à l’animation 3D pour travailler sur la saison 2 des Mystérieuses cités d’or, et sur certaines séquences du film Le Tableau de Jean-François Laguionie. Après, la société s’est délocalisée à Montréal, et je ne les ai pas accompagnés. Principalement car le fait de travailler sur des séries ne m’intéressait plus, ou en tout cas ne justifiait pas le fait de déménager aussi loin, mais également car j’avais envie de développer mes propres projets. Dans le travail sur la série - même s’il a été très formateur -, il y avait un côté mécanique et un besoin de production qui ne me convenait plus à l’époque, et je suis content d’avoir pu en sortir pour tester d’autres choses.

 

C. : Avec des premiers projets très liés à la musique…

N.F. : Tout à fait. Cela a commencé par des commandes de clips, mais il est vrai que de mon côté j’aime bien travailler avec de la musique pour y apposer mon univers visuel. Il y a toujours la peur de la page blanche, et partir de rien peut être compliqué. Avec cette dimension sonore qui fournit déjà une matière première, il m’est plus facile d’y intégrer mes images et essayer de créer une adéquation, un nouveau monde. Et on m’a fait confiance plusieurs fois dans des projets similaires, ce qui est toujours très motivant lorsqu’on se lance en tant qu’animateur indépendant.

 

C. : En 2017, vous réalisez Yin, votre premier court-métrage, pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ?

N.F. : Adolescent, j’avais écrit une bande dessinée sur des personnages à l’origine de la création du monde. Ils vivaient chacun dans des univers issus de différentes imageries religieuses, et deux d’entre eux,Yin et Yang, étaient inspirés du Shintoïsme. Cette histoire est restée dans mon placard jusqu’à ce que je sorte de “l’usine” Blue Spirit. Il m’a semblé que c’était le bon moment de proposer ce projet à des producteurs et de le transformer en film d’animation. En discutant autour de moi, j’ai rencontré Zorobabel qui m’a proposé de déposer un dossier auprès de leur bourse START, destinée au financement d’un premier film d’auteur. Le projet leur a plu, et nous avons commencé à collaborer. Entre ma bande dessinée d’adolescence et le film Yin, l’histoire s’est modifiée quelque peu pour parler du couple et de ses questionnements, mais on reste sur une trame de création du monde, avec une esthétique aux nombreuses inspirations religieuses ou mythologiques. Et en termes techniques, le film est entièrement animé en 2D avec Flash, logiciel auquel je suis resté fidèle.

 

C. : En parallèle, vous avez développé une certaine fascination pour les jeux d'images et les phénakistiscopes ?

N.F. : En parallèle à Yin, j’avais un scénario sur les rails centré autour de la réincarnation, où le personnage rencontrait toute une série de divinités auréolées à la manière d’icônes russes, avec de grands cercles dorés dans leur dos. C’est de là qu’est venue l’idée de les animer grâce au procédé du phénakistiscope, l’un des ancêtres du cinéma d’animation inventé par le belge Joseph Plateau dans les années 1830. Au final, je me suis focalisé sur cette partie du projet. C’est fascinant comme toute une animation peut-être présente sur une seule image fixe, qui s’anime lorsqu’elle est mise en mouvement.

 

C. : Créer des jeux visuels, animer des œuvres existantes, ça vous inspire ?

N.F. : C’est presque devenu une lubie !  À la même période, le Festival Anima m’avait proposé de réaliser leur affiche, j’ai donc soumis un projet de phénakistiscope que les directrices ont accepté. Depuis, j’adapte chaque année leur affiche avec cette même technique. Adapter l’univers graphique de quelqu’un d’autre, en ce qui me concerne, cela fait vraiment partie du travail d’animateur. Pouvoir être un caméléon, et s’adapter au graphisme donné pour tel long-métrage ou tel court-métrage, cela fait partie intégrante de notre métier. En y mettant ma plus-value d’animateur, mais en effaçant le trait qui me caractérise en tant qu’auteur.

 

C. : Une adaptation qui peut aussi être musicale, notamment pour votre clip de Korn ?

N.F. : En effet. Pour ce projet, le manager vidéo de Korn m’a contacté après avoir découvert Yin, dont qu'il avait beaucoup aimé. Cela lui semblait pouvoir matcher avec l’ADN du groupe. Pour ma part, j’étais assez surpris, je ne pensais pas que le groupe existait encore [rires]. Ayant été un fan pendant mon adolescence, c’était un peu un rêve inavoué, j’ai donc accepté et ce fut un beau projet. Assez éprouvant, à cause de délais très serrés, mais une belle expérience. Par contre, j’ai assez peu vu le soleil cet été-là !

 

C. : Et en termes de réalisation, d’autres projets pour la suite ?

N.F. : Actuellement, je suis en train de créer un petit film, auto-produit, sans vraiment de scénario. Plutôt une succession de plans où chaque plan est un câlin différent. Un projet qui a pris d’autant plus de sens avec les périodes que nous venons de vivre. Et à côté de cela, je travaille sur mon projet autour de la réincarnation, que j’aimerais mettre en images mais cette fois à l’aide d’un phénakistiscope géant. Images à suivre.

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