Cinergie.be

Roda Fawaz, Willem Wallyn et Wouter Bouvijn pour la série 1985

Publié le 16/01/2023 par David Hainaut et Marwane Randoux / Catégorie: Entrevue

1985, une série belge (déjà) historique

De Cannes à Bruxelles, en passant par Gand et Liège, l'ambitieuse série 1985 évoquant les tueries du Brabant a bouclé son tour des festivals, où le dévoilement de ses deux premiers épisodes a impressionné.

Place, dès ce dimanche 22 janvier, à sa diffusion simultanée – et c'est une première – sur la RTBF et la VRT, qui co-produisent ce projet unique et 100% belge. Roda Fawaz, l'un des comédiens, Willem Wallyn, le créateur, et Wouter Bouvijn, le réalisateur, nous en parlent.

Bruxelles, 9 décembre. À l'aube de la dernière des quatre avant-premières de la série 1985, qui se tenait à Bozar dans le cadre du Festival Are You Series, la RTBF proposait la rencontre de ses comédiens et des concepteurs. Notre choix s'est porté sur le comédien Roda Fawaz (Unité 42, Invisible, ...), ainsi que Willem Wallyn, principal instigateur du projet, son réalisateur, Wouter Bouvijn, remarqué au préalable pour sa série The Twaalf.

Roda Fawaz confirme ses aptitudes

Si 1985 a la particularité de suivre trois jeunes amis fictifs (incarnés par Tijmen Govaerts et Aimé Claeys, interprétant deux apprentis gendarmes, et Mona Mina Léon, jouant une étudiante), on retrouve derrière eux une large galerie de personnages existants. Dont l'un interprété par Roda Fawaz, à savoir l'énigmatique Madani Bouhouche, sorte de mi-gendarme et mi-criminel dans cette vaste affaire. Un rôle de composition qui a bien convenu à ce comédien appréciant se travestir. "J'avoue que ce personnage est très impressionnant", dit-il. "Heureusement, j'ai la chance d'avoir un physique malléable, qui m'offre pas mal d'avantages. Mais grâce aux créateurs, j'ai pu me projeter dans ce rôle, qui nécessitait au quotidien 45 minutes de maquillage, d'habillage et surtout de coiffure. Puisque pour paraître moins arabe à l'époque, Bouhouche allait jusqu'à se lisser les cheveux lui-même!"

Une cartographie de la Belgique

Perfectionniste, Fawaz a lu abondamment d'ouvrages, rencontré des avocats, fait du sport pour épouser la silhouette de son personnage, participant même à des séances de tir. "Parce qu'en 1980, on ne tenait pas une arme de la même façon qu'aujourd'hui. Tout a été mis en œuvre dans cette série pour respecter cette histoire qui parle à tous les Belges, aux vingt-huit victimes et à leurs familles. Et même au monde. Il fallait donc que la production, les chaînes et les artistes soient au niveau de cette mission. Davantage qu'un projet sur les tueries du Brabant, Fawaz y voit un projet cartographiant la Belgique des années 80. "C'est une série qui se transmet, pouvant se regarder en famille, en Belgique autant qu'à l'étranger. Car elle donne à voir un instant de notre pays plein de magouilles", ajoute-t-il. "En creusant tout ça, je me suis en tout cas aperçu que le Belge était d'une sagesse et d'une intelligence hallucinantes. Il est sympa, connaît bien son pays et sait qu'un gouvernement ne sert à rien. Mais quand des limites sont dépassées, il descend dans la rue et on a intérêt à l'écouter ! On l'a bien vu avec l'affaire Dutroux et la Marche Blanche..."

« Une série qui élève encore un peu plus le niveau belge » (Roda Fawaz, acteur)

Particulièrement fier d'être de ce projet, Fawaz estime que 1985 élève encore un peu plus le niveau des séries belges. "Au-delà de l'histoire, l'image est magnifique, la musique est superbe et les décors sont un plaisir pour les yeux. On plonge dans un autre monde, et moi qui suis un enfant de l'immigration, qui plus est au sein d'une minorité artistique, je suis forcément heureux de participer à un projet qui rassemble néerlandophones et francophones. On doit continuer sur ce chemin, car chaque communauté tire l'autre vers les haut. Grâce à cette série, les gens vont peut-être mieux comprendre notre potentiel", indique celui qui vient de jouer dans un long-métrage (La Vierge et l'enfant de Binevsa Berivan) et qui est en post-production d'un autre (Les Pas perdus), sa première (co) réalisation avec Thibaut Wohlfahrt.

« C'est d'abord un récit universel » (Willem Wallyn, créateur)

Préparé depuis plus d'une décennie, 1985 doit surtout sa création à un scénariste flamand reconnu, Willem Wallyn (Albert 2, De 16, Pandore...). Passionné par cette affaire depuis l'adolescence, ce parfait bilingue de soixante-deux ans et ancien avocat était même stagiaire lors de la première commission parlementaire des tueries du Brabant. "C'est en effet le plus gros projet que j'ai écrit jusqu'à présent. Là, je suis dans un état mêlant anxiété, fierté et curiosité, par rapport à la réception du public. Même si les projections publiques nous ont déjà rassurés, et que mes propres enfants m'ont dit avoir été bouleversés par cette histoire. Je me suis rendu compte à travers leurs yeux que cette histoire était bien universelle. Même si c'est un peu la mienne, puisqu'étudiant en droit à Bruxelles, j'habitais en face de la gendarmerie et j'étais assez actif dans les manifestations, comme la personnage principale."

« On voulait faire la meilleure série possible » (Wallyn)

Pour Wallyn, la collaboration avec le producteur d'Eyeworks, Peter Bouckaert, a été déterminante. "Ça a été une révélation de bosser avec un producteur qui ne voulait pas être le plus malin ou trop regardant à son budget. Il voulait qu'on fasse la meilleure série possible, au-delà d'arguments financiers ou du fait que sa grand-mère doive absolument tout comprendre, ce qui reste un argument classique dit à un scénariste de télé. Et tant mieux, car on n'écrit jamais pour la grande-mère d'un producteur mais pour le public, qui est beaucoup plus intelligent qu'on le pense. Il suffit de voir ce qui se passe sur les plateformes actuellement, avec des projets qui vont bien plus loin que les habituels codes du cinéma. Cela s'est d'ailleurs tellement bien passé avec Peter qu'on travaille sur d'autres projets..."

« C'est une collaboration exceptionnelle entre la RTBF et la VRT » (Wallyn)

Au-delà d'un récit belge, Wallyn souligne la collaboration unique entre les deux communautés. "À 50-50, c'est du jamais vu à ce niveau. Dès l'entame du projet, j'ai compris que les responsables de la RTBF et de la VRT allaient travailler main dans la main. Je pense qu'on peut avoir plus de projets de ce genre à l'avenir, mais ça doit se faire de façon organique, naturelle et pour de bonnes raisons. De toute façon, moi quand j'écris, je le fais pour tout le monde, sans penser au public néerlandophone ou francophone. Mais je dois bien constater que de plus en plus de séries flamandes sont vues côté francophone, et vice-versa", dit celui qui travaille en ce moment sur la deuxième saison de Pandore. "Disons qu'on doit surtout penser à faire de bonnes séries. On ne doit pas mettre d'office flamands et francophones ensemble sur tous les projets, mais le fait qu'on s'échange notre travail et notre sensibilité, ça me rend quand même enthousiaste et optimiste."

« Quand j'ai découvert le scénario, j'ai été choqué » (Wouter Bouvijn, réalisateur)

Né en 1987, soit un peu après la fin des événements, le réalisateur Wouter Bouvijn était à peu près vierge de toute information concernant cette histoire. Le réalisateur à succès (notamment des séries De Twaalf ou Redlight) s'exprime : "Quand j'ai découvert le scénario, j'ai été choqué. J'avais entendu parler des tueries dans des magasins, mais j'ignorais tout du début, de ce qui se passait à l'intérieur, et d'autres faits cruels. Puis, je me suis beaucoup documenté donc, je crois que c'est un bon mélange entre ce que désirait Willem Wallyn et moi. Lui, l'homme du réel, et moi peut-être plus le gars de l'émotion. Car ce qui m'intéressait d'abord, c'était le parcours des trois jeunes personnages principaux". Pour les dénicher, un casting de sept mois a été nécessaire, plus d'une centaine de comédiens ayant été auditionnés.

« C'est une histoire qu'on ne doit pas oublier » (Bouvijn)

Bouvijn conclut en ces mots : "Pour cette série, on a dû tout créer en trois ans pour rendre l'ensemble le plus authentique possibl; les costumes, les décors, trouver les voitures d'époque. La bonne nouvelle, on l'a vu, c'est que la série fonctionne aussi en dehors de la Belgique", dit-il, en ayant été marqué comme toute l'équipe par le premier accueil triomphal donné à Cannes, au printemps dernier. "Mais si réaliser ce projet me tenait à cœur, c'est surtout parce que c'est une histoire qu'on ne peut pas oublier. Même si au niveau de la justice, on arrive hélas à une limite et que ce dossier pourrait être bientôt clôturé, sans avoir pu nous apporter de réponses sur les coupables..."

Tout à propos de: