Nous avons eu le plaisir, ce jeudi 29 avril 2021, de nous entretenir avec Frédéric Cornet, le directeur du Cinéma Galeries, cinéma d’Art et Essai bien connu des Bruxellois et des cinéphiles belges plus généralement. Dans le cadre du mouvement StillStanding for Culture, il publiait sa programmation le 23 avril, au même titre que 89 autres organisations du secteur. Ce nombre d’organisations s’élève aujourd’hui à environ 128.
Still Standing for Culture - Rencontre avec Frédéric Cornet, directeur du Cinéma Galeries
Cinergie : Pouvez-vous présenter votre action dans le cadre du mouvement Still Standing for Culture?
Frédéric Cornet : On a toujours participé aux actions de StillStanding for Culture. On a commencé avec des projections dans la galerie. C’était il y a quelques mois maintenant.
Le 13 mars, on a fait la première projection publique au cinéma Galeries. On avait accueilli le film de Roxanne Gaucherand, une réalisatrice franco-belge. Et on avait fait une projection de son film Pyrale, qui avait déjà gagné le Prix du public au BRIFF. C’est un film qui a été montré dans plein de festivals, qui a gagné beaucoup de prix. C’était donc la deuxième fois qu’elle y rencontrait son public. C’était une très belle projection. L’idée était de revendiquer, à ce moment-là, les résultats d’une étude berlinoise qui disait que les lieux de culture étaient les lieux avec le plus faible taux de contamination. On voulait donc que ce soit un programme d’une heure pour coller exactement aux résultats de l’étude. Et avec ce moyen-métrage, ainsi que la discussion qui l’accompagnait, on a réussi à tenir dans ce cadre-là.
On a vraiment l’impression qu’on demande toujours plus au secteur culturel sans vraiment nous donner de perspectives, conditionner la réouverture des salles à faire des tests des spectateurs (chose qu’on ne demande pas à d’autres lieux qui sont déjà ouverts), tester l’aération dans les salles, etc.,
On nous met toujours des conditions alors que beaucoup d’autres secteurs ont déjà réouverts, des secteurs où, finalement, on peut passer autant de temps que dans une salle de cinéma et où d’ailleurs, on est en mouvement. Je pense notamment aux personnes qui passent leur journée chez IKEA : une visite dans ce genre de magasins ça peut durer très longtemps ! Vous êtes en mouvement, vous touchez des objets, vous pouvez contaminer plus facilement des gens.
Nous, on n’est toujours pas entendu sur ces possibilités de réouverture. Arrive un moment où on se mobilise. On a donc été le premier cinéma, le 13 mars, à avoir fait cette projection avec du public. On a été soutenu. Des gérants d’autres cinémas sont venus pour nous montrer leur soutien. Et maintenant, tout le monde s’est mis autour de la table et pas mal de cinémas ont décidé qu’eux aussi voulaient ouvrir et proposer des films pour cette journée du 1er mai.
Le 1er mai a été choisi pour indiquer notre droit de travailler. C’est important de parler du procès de Quentin Dujardin, ce musicien qui a été empêché de jouer dans une église devant quinze personnes, alors que dans cette même église quinze personnes peuvent assister à une messe. Il y a une réelle discrimination envers le secteur culturel. Et c’est pour ça que de nombreuses actions seront menées dès ce vendredi 30 avril dans certaines salles. On envisage des actions durant tous le mois de mai, que ce soit dans des salles de concert, de cinéma ou de théâtre. On réfléchit à faire des projections en plein air à partir du 11 mai. En fait, il est temps que la culture se déconfine. Les actions du 1er mai sont « illégales ». Je mets toujours des guillemets autour du mot illégal parce que je ne pense pas qu’on soit illégal de faire ça et j’imagine qu’à un moment, la justice nous donnera raison.
C. : On estime trop souvent le secteur de la culture comme n’étant pas assez « essentiel » mais ça vous fait bondir, quand on sait qu’environ 5% de notre PIB émane de ce secteur.
F. C. : Oui, d’autant que tout le monde n’a pas fait ce choix-là. Quand on regarde le Luxembourg, l’Espagne ou encore la Suède, ils n’ont pas fait le choix de considérer que la culture était non essentielle. Bien au contraire : ils se sont dit que l’économie, de manière générale, était effectivement au ralenti mais qu’il ne fallait pas laisser un pan de celle-ci à l’arrêt. Et le secteur culturel est un secteur économique partout dans le monde. Il ne faut pas le mettre à l’arrêt. On remarque que les contaminations n’ont pas repris dans ces pays-là davantage que chez nous parce qu’ils ont ouvert la culture. On remarque même que l’Espagne fait partie des « meilleurs élèves » en termes de contamination.
On peut se poser des questions quant à la pertinence de ces mesures de confinement et face à la désadhésion de la population. Cela fait plus d’un an qu’on est dans cette situation, mais les gens se voient quand-même. Il est dommage que le gouvernement ne se pose pas la question de savoir comment on peut cadrer ces endroits de respiration et qu’ouvrir les salles de théâtre ou les salles de cinéma, cela permettrait de donner des espaces de liberté cadrés et « safe » puisque les protocoles ont été mis en place.
Il n'est pas normal que l’ouverture de la culture soit dépendante des taux de contamination et des places dans les hôpitaux. Tout d’abord, parce que d’autres secteurs ne sont pas dans cette même situation et que cette attitude reflète l'absence de vue globale. Et évidemment, il y a une désadhésion des gens par rapport aux mesures. Donc, donnons-leur quelque chose pour qu’ils aient envie de respecter ces mesures. Les gens continuent à se voir. J’en connais peu qui respectent encore la bulle de un. Il faut penser à ça et avoir une vision plus compréhensive de tous les enjeux que cela représente et ne pas juste prendre des variables qui, finalement, ne permettent pas d’avoir une vision juste.
C. : Le bien-être psychologique des gens passe aussi par la culture. Au cinéma Galeries, vous proposez des séances bien souvent suivies d’un débat, d’une rencontre avec les acteurs du film projeté.
F. C. : Tout à fait. Demain, on va faire la projection du film Burning Out de Jérôme Le Maire, un documentaire belge sur la pression mise sur le milieu hospitalier et sur les conséquences d’une politique qui avait décidé de définancer le milieu de la santé. On veut mettre en avant que la sitution actuelle du milieu hospitalier dépend des décisions prises antérieurement par les gouvernements. Or, c’est au secteur culturel qu’on fait porter la responsabilité de toute cette pandémie en nous disant : « Vous devez être patients étant donné le nombre de contaminations et la saturation des services de soins intensifs. »
Jérôme Le Maire sera là pour débattre après la projection, accompagné de plusieurs experts. Quand j’étais sur des plateaux de télé en train de parler avec la directrice du CHU Saint-Pierre ou avec des épidémiologistes, ils disaient : « Il faut vraiment que vous réouvriez parce qu’il faut entendre que les gens n’en peuvent plus de cette situation. »
C. : Les derniers chiffres dont nous disposons datent du mardi 27 avril. On dénombrait toujours, malheureusement, 892 lits occupés en soins intensifs. Les cinémas se déconfineront peut-être en juin, nous dit-on, si baisse significative du nombre de personnes en soins intensifs il y a. Vous y croyez ?
F. C. : Une baisse drastique, je ne sais pas mais c’est sûr qu’à mesure qu’il va faire beau, les gens vont aller dehors et vont moins se contaminer parce que le fait d’être chez soi avec des amis favorise la contamination. Les écoles aussi sont des lieux de contamination, donc une fois que les écoles seront fermées, cela va amener des diminutions. Il suffit de regarder les études. Une fois que différents lieux de contamination seront fermés pour d’autres raisons, une fois que la température extérieure permettra aux gens de sortir, il risque d’y avoir à ce moment-là une forte baisse des contaminations.
Le problème est qu’il ne faut pas qu’on soit dépendant de cela puisqu’on est des lieux « safe ». On n’a vu aucun cluster dans les lieux de culture. C’est-à-dire que si jamais il y a une nouvelle pandémie, s’il y a une énième vague qui arrive, il ne faudrait pas qu’on nous referme encore une fois.
De notre côté, il y a une forme de colère qui est présente. Ces mesures ne font pas sens. Et alors l’idée de vouloir refaire des tests ici, chez nous, de dépenser 500 000 euros pour pouvoir faire ça alors que ces tests ont déjà été faits ailleurs, c’est d’autant plus de barrières qu’on nous met. On nous dit : « Une fois qu’on aura fait les tests, une fois que ceci… ».
Mais les résultats des tests faits à l'étranger sont déjà quelque part. Utilisons plutôt ces 500 000 euros pour équiper des salles qui n’ont pas de systèmes d’aération parfaits par exemple. Payons déjà les étudiants qui ont perdu leur boulot, ceux qui travaillaient dans la culture et qui n’ont pas été aidés. Car il y a des étudiants qui doivent payer leur loyer tout seuls et qui n’ont pas eu de revenus pendant toute cette période-ci. Nous, quand on a refermé, on a directement demandé s’il était possible de trouver une solution pour les étudiants aussi. Le personnel de notre cinéma a pu bénéficier du chômage temporaire pour force majeure mais, pour eux, il n’y avait aucune aide et c’est extrêmement dur. Ces 500 000 euros, mettez-les autre part. Ces tests, ils ont déjà été faits.
C. : Les Galeries fêtent leurs 80 ans et vous pouvez compter sur un public de cinéphiles et d’amateurs de cinéma qui vous sont fidèles. Comment envisagez-vous l’avenir du cinéma Galeries et des salles de cinéma, plus généralement ?
F. C. : Je vais me baser sur les chiffres qu’on a eus l’année passée. Entre le moment où on a rouvert - le 1er juillet 2020 – et le 7 juillet 2020, on avait fait 20% de plus que la première semaine de juillet 2019 alors que 2019 était déjà une année incroyable. C’était sans masque à ce moment-là. Une semaine après, on a dû porter le masque à l’intérieur de la salle. On a alors vu une baisse de la fréquentation mais qui est aussi liée au fait qu’on arrivait entre mi-juillet et mi-août et que les gens partent en vacances, ce qui est bien normal.
Mais dès qu’on a eu la rentrée et qu’on a recommencé - déjà fin août-début septembre - on est allé crescendo vers une fréquentation qui était proche de ce qu’on avait déjà en 2019.
Les gens ont envie de revenir au cinéma. C’est sûr.
On a fait des séances en ligne pour garder le lien avec le public pendant qu’on était fermé. On voit que les séances en ligne fonctionnent quand même vraiment moins bien que les séances au cinéma. Et qu’en fait, le cinéma, ça reste un endroit magique, de rencontres, de débats, de discussions, un endroit où on est déconnecté du monde.
C’est ça qui est génial. Être dans une salle de cinéma, c’est un moment suspendu, un moment incroyable. Et je crois que c’est ça en fait que les gens viendront toujours chercher. Quand on voit - c’était assez beau de se dire ça - que même s’il y a des plateformes de streaming comme Netflix, etc., qui ont pas mal marché ces temps-ci, Chloé Zhao, la réalisatrice de Nomadland, le film multi oscarisé, a dit qu’il fallait regarder son film sur l’écran le plus grand possible et qu’elle avait hâte que le film puisse être dans les salles.
Ce type de cinéma et la beauté de ce cinéma-là ne peut s’apprécier que dans une salle de cinéma, dans ce cocon qui permet d’en profiter complètement, d’en apprécier tous les aspects.
Il faut cependant être conscient qu’un cinéma actuel n’est pas celui d’il y a plusieurs dizaines d’années. Un cinéma d’Art et Essai actuel fonctionne de telle manière qu’il doit être alimenté. Il doit être dynamisé. Ce qui va faire la différence avec les autres cinémas, ce sont les rencontres qu’on va créer, c’est tout ce qu’on va créer autour de l’expérience. Il ne suffit plus seulement de passer des films dans les salles. C’est très important de proposer quelque chose de complémentaire, d'avoir son identité.