Cinergie.be

Thierry Zamparutti : “Un producteur, c’est quelqu’un qui doit entrer en totale symbiose avec l’auteur”

Publié le 08/02/2021 par Katia Bayer et Constance Pasquier / Catégorie: Métiers du cinéma

Cela fait des années qu’on connaît Thierry Zamparutti, le producteur d’Ambiances, le rédacteur de Cinergie qui écrit sur les courts quand Gwendoline Clossais les imagine illustrés. Thierry Zamparutti, c’est aussi le spectateur assidu du Festival de Clermont-Ferrand dont il ne manque aucune édition depuis 1999 et où il s’est encore rendu ces derniers jours pour visionner tous les films en compétition chez un couple de retraités du coin alors qu’il aurait pu le faire de chez lui, devant son ordinateur ou sa télé. On a été très étonné quand il y a quelques mois, Thierry Zamparutti a publié un post sur le réseau Facebook en annonçant qu’il cherchait quelqu’un pour reprendre sa boîte de production, vieille de seulement 20 ans. Lors de cet entretien réalisé lors du dernier festival de Namur, un festival où on pouvait encore voir des films en salle et non derrière un ordinateur ou une télévision, le producteur venu du rock parle sans fard de son épuisement, de la difficulté de concilier vie de famille et professionnelle, de la précarité du métier de producteur en Belgique à l’inverse de la France et de l’accompagnement des auteurs et des films qui l’anime depuis 1999.

Cinergie : À l’époque, lors de notre première interview en 2006, tu m’avais montré des K7 de courts-métrages…
Thierry Zamparutti :
À l’époque, en 1999, avec Patrice Bauduinet, j’ai créé Tout est possible, une asbl qui diffusait des courts-métrages. Il avait sa boîte de production, PBC Pictures, et moi, j’avais créé Ambiances. Il m’avait formé à la production pendant 5 ans. D’un côté, on avait Tout est possible, de l’autre, on pouvait produire les projets qui nous tenaient à cœur respectivement.

On avait monté une collection sur le court-métrage qui s’appelait Cours toujours, tu m’intéresses. À ce moment-là, on sortait régulièrement des VHS autour de thématiques comme le fantastique, le film d’animation, l’underground, … On a fait un hors-série sur les courts-métrages d’Olivier Smolders qu’on a co-produit d’ailleurs avec lui, cela a bien fonctionné. Le DVD est arrivé, on a sorti un DVD autour de Roland Lethem. On n’avait pas de subventions pour ce projet, on le faisait à compte d’auteur quand on avait du temps.

En 1999, je suis arrivé au Festival de Clermont-Ferrand. J’avais pour seul bagage le quatrième ou le cinquième numéro de Cours toujours, tu m’intéresses consacré à des courts-métrages belges sélectionnés au festival, et pour certains primés. Sur place, il y avait une boutique qui présentait tout ce qui existait autour du court-métrage. J’ai été accueilli à bras ouverts, c’était assez extraordinaire.

 

Thierry Zamparutti

 

C. : Je me souviens qu’à Clermont, tu enchaînais les séances, tu voyais tout, tu mangeais et dormais à peine. Pourquoi était-ce important pour toi de tout voir ?T.Z. : Ce conseil m’est venu de Luc Joris qui avait créé Cinéma Brévis avec Arnaud Demuynck et Christian Thomas. C’est comme ça que j’ai découvert le court-métrage en 90-92. Il organisait des séances de courts dans toute la Belgique. Il m’a parlé du festival de Clermont. Moi, je ne viens pas du tout du milieu du cinéma mais du rock, de l’organisation de concerts. Après, j’ai fait de la vente et je suis devenu indépendant. Comme je n’ai pas fait d’école de cinéma, Luc m’avait dit : “Une autre école, c’est d’aller voir les films”. Et il ajoutait que Clermont, c’était vraiment le lieu pour apprendre.

J’ai eu un coup de foudre pour le festival. Au-delà des égos, les organisateurs s’étaient associés pour défendre le court-métrage dans toutes ses formes, dans tous ses genres. Je n’ai pas raté une seule édition depuis 1999. Il y a bien eu l’une ou l’autre fois où j’étais malade, mais je regardais les films au lit, en DVD. C’est vrai que Clermont, c’est ma Thalasso annuelle de courts-métrages. J’en vois entre 160 et 200 par an, à l’édition de Clermont. Avant d’avoir des enfants, entre les différents festivals, je devais en voir environ 600 par an. Les enfants sont arrivés et j’ai commencé à diminuer fortement ma présence en festivals. Pour moi, la famille était plus essentielle que de continuer à passer des heures dans le métier. Et puis, j’avais cette autre casquette, celle de journaliste. Je me suis spécialisé dans le court-métrage. En voir, ça m’a appris énormément de choses. J’ai vu comment les sujets étaient traités, j’ai pu aussi quelque part presque rechercher ma propre identité par rapport au métier de producteur. Qu’est-ce qui me plaît ? Qu’est-ce que j’ai envie de voir ? Ce film, j’aurais voulu le produire, celui-là, pas du tout. Ce côté sensuel que je trouvais à travers la production de courts-métrages, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu garder. Quand j’ai commencé à sentir que j’allais perdre ça et qu’il y avait d’autres problèmes qui commençaient à me submerger, je me suis dit qu’il fallait passer à autre chose.

 

Miramen de Khristine Gillard

 

C. : Est-ce que de manière générale, le cinéma prend trop de place dans la vie des gens qui se veulent professionnels ? 
T.Z. : Avoir un métier dans le cinéma, ce n’est pas très compatible avec une vie de famille. Après, moi, je n’étais pas dans le domaine du long-métrage où on peut être absent pendant des mois. Malgré tout, je travaillais sur des courts, des documentaires, des animations qui prennent du temps, avec pour pouvoir se rémunérer, parfois plusieurs projets en même temps. L’ajout de projets est compliqué. On ne peut pas travailler comme dans l’horeca où le weekend, on appelle des extras. On ne peut pas appeler une agence d’intérim en disant qu’on a besoin de quelqu’un tout de suite pendant 15 jours parce qu’en production, on n’en peut plus. 

C’est arrivé qu’on se retrouve avec une douzaine de projets en cours, des échéances et des auteurs qui attendent des réponses. C’est très épuisant. Quand en plus, on a une vie familiale et que ton gamin te dit : “Papa, tu n’es pas souvent là”, à un moment donné, il faut rependre les choses en main et se dire : “Bon, qu’est-ce qu’on fait là ?” Moi, j’ai décidé d’être un peu plus avec les enfants. En court et en documentaire, on ne peut pas faire comme en long. En long, on imagine les recettes derrière. Souvent, en long, on y va, même si on a un problème d’argent, on n’a pas le choix, il faut terminer et on se dit qu’on récupérera sur les recettes. En court, en documentaire, il n’y a pas d’enjeu.

 

C. : Selon toi, comment est-ce qu’on devient un bon producteur ?
T.Z. :
Il y aurait pour moi deux manières de produire. La première où on se dit qu’il faut un résultat, une rentabilité, on cherche de l’argent pour faire finalement fructifier plus un produit qu’une oeuvre. Et puis, il y a l’autre manière de produire où on s’attache vraiment à l’oeuvre en se disant naturellement qu’on a envie de la faire circuler le mieux possible mais que la rentabilité n’est pas ce qu’on veut atteindre. Ce qui compte, c’est l’autre richesse, celle des coeurs du fait des collaborations, des rencontres. Pouvoir suivre le film dans les festivals, les ciné-clubs, assister à des rencontres avec le public même si il y a 20 personnes en salle. Ce qui importe, c’est que les rencontres soient riches de sens et de retours, y compris par rapport aux thématiques qui sont traitées dans les films. 

Par exemple, quand on a fait Ortho !, ce documentaire animé sur la dyslexie de Nathalie Sartiau, je n’y connaissais pas grand-chose en dyslexie. Je savais que ça existait, mais sans plus. La personnalité de Nathalie, son sujet, la manière dont elle le portait et le défendait, m’ont donné envie de faire en sorte que le film puisse exister. On n’a pas eu l’aide du Centre du Cinéma donc ça a été d’autant plus difficile d’aller trouver l’argent à gauche et à droite pour pouvoir réunir la somme qu’il fallait pour faire le film. On l’a fait en 3 ans avec beaucoup de problèmes, des moments où l’on n’avait vraiment plus de sous, où on en recherchait à nouveau. Le film a fini par exister et la richesse de son contenu est énorme. Le retour, l’émotion des gens est essentielle pour qu’on trouve suffisamment de motivation pour aller au bout du projet et qu’on ait envie de continuer à le porter le plus longtemps possible même quand il a terminé sa vie en festival. Il y a des films qui n’ont pas de grandes vies en festival mais qui peuvent en avoir par des projections annexes. 

Je crois qu’un producteur, c’est quelqu’un qui doit entrer en totale symbiose avec l’auteur. Le producteur doit pouvoir défendre ce que l’auteur porte souvent depuis des années, voire depuis la petite enfance. On porte les projets devant des Commissions, des gens extérieurs qui ne connaissent pas forcément les auteurs, qui n’ont pas de discussions avec eux. Il faut parvenir à les convaincre. Si moi, je ne sens pas le sujet, si je ne l’ai pas intériorisé vraiment, le dossier ne va pas passer. 

Je sais qu’il y a des producteurs qui cadenassent les choses. Moi, j’ai toujours voulu que ce soit extrêmement libre. Ça voulait dire aussi qu’il fallait accepter la chronologie de l’auteur, son timing, sa manière d’appréhender le temps qui n’était pas forcément la mienne. 

Probablement d’ailleurs, ce qui me perdait quelque part, c’était le fait que j’avais envie de faire de la production avec un investissement personnel qui était autre que financier. Fatalement, on traverse aussi émotionnellement la création d'un film et la manière dont il est reçu par le public. Quand un réalisateur passe au bureau et me dit souvent que c’est fini, qu’il est passé à autre chose, il s’avère que moi, je suis encore avec son film parce que je le distribue, il est dans un catalogue. Je vais essayer de faire que son film soit vu, de m’en servir pour sensibiliser les gens à un sujet qu’on a défendu. Pendant ce temps-là, le réalisateur ou la réalisatrice se trouve en développement ou en tournage ailleurs. Il a livré son film au spectateur, mais moi, je l’ai encore et je ne le quitte pas de la même manière.

 

On est pas près d’être des super héros ! de Lia Bertels

C.: Ça doit être épuisant aussi.
T.Z. : Je crois que c’est ça. J’ai l’impression d’avoir fait le tour de ce que j’avais envie de faire et surtout de ce que je ne veux plus faire. Le catalogue d’Ambiances représente quand même une soixantaine de films, je n’ai pas envie que la boîte fasse faillite parce qu’à un moment donné, on ne s’en sortira plus et que ça deviendra compliqué financièrement. Il vaut donc mieux terminer avec des films comme pour le moment, Purple boy de Alexandre Siqueira, Nuit chérie et On est pas près d’être des super héros ! de Lia Bertels qui tournent très bien, qui obtiennent beaucoup de récompenses, pour lesquelles les productions ont été agréables à mener. C’est vraiment quelque chose de formidable qu’on a porté avec la petite équipe d’Ambiances, à trois, avec Nadia et Françoise. J’ai envie d’arrêter le métier avec des succès, des choses qui se sont super bien passées et pour laisser du coup tout ce qui a été construit à d’autres. Puisque ça existe, d’autres peuvent le reprendre et faire leur chemin avec ça.

 

C. : Quel regard portes-tu sur les films que tu as produits ?
T.Z. :
Avec les films qui se sont faits, il y a eu des prix. Des collaborations se sont mises en place avec de plus en plus de qualité, de reconnaissance. Ça a été un cheminement pas à pas pour gravir les échelons et arriver là où on est arrivé. Je n’ai jamais eu la prétention d’aller encore plus loin. Les prix, ça fait plaisir aux auteurs, à nous aussi. Dans un CV, c’est intéressant, mais je pense que personnellement, si j’avais été en France, j’aurais continué. La plupart de mes collaborateurs ou coproducteurs en France bénéficiaient de l’intermittence. Il y avait une forme de protection au risque de creux. J’ai vécu quelques creux car on dépend toujours des Commissions et de la manière dont l’argent est versé. Le Centre du Cinéma verse l’argent assez rapidement mais il y a certaines aides qu’on ne reçoit que quand on a terminé le film et qu’on donne la copie zéro. À ce moment, il faut avancer l’argent.

Au moment où on a eu le plus de projets en cours, on avait besoin de 300.000 € de financement. Pour les boîtes de longs-métrages, ce n’est pas grand-chose, mais pour nous, c’était énorme. En plus, pour les asbl, il n’y a pas d’enjeu commercial, donc avec les banques, ce n’était pas nécessairement évident. On a toutefois eu des facilités avec celles-ci.

Avec le temps, ça tournait bien. Le problème restait d’avoir une rémunération décente. On a toujours eu pour principe à Ambiances de rémunérer tout le monde. Au début, ça a été difficile pour les premières productions, on n’a pas rémunéré les gens, ce que je trouvais insupportable d’autant plus qu’on partait du principe que si l’équipe n’était pas rémunérée, la production ne l’était pas non plus. Comme une petite équipe avait été mise sur pied, ça permettait d’aller toujours plus loin, d’aller chercher des projets plus complexes où les coproductions avec d’autres pays étaient plus importantes et nécessitaient des frais et un budget de développement.

En cinéma d’animation par exemple, au Centre du Cinéma, il n’y a pas de budget de développement prévu à l’inverse de la France. L’animation, on ne s’en rend pas compte mais c’est énormément de travail de développement en amont. Quand on compare à la fiction, c’est totalement inégal. Je me suis privé les deux dernières années de salaire mais en tant qu’indépendant complémentaire, c’est une situation intenable. On n’a le droit à rien, donc il faut compter sur son conjoint. Cette dépendance est pénible moralement. L’intermittence qu’il y a en France m’aurait, je crois, vraiment servi à développer des projets. Je me suis vraiment épuisé sur le développement de projets. Pendant un an et demi, ces projets ne sont pas passés et il n’y a pas assez de guichets. En France, si tu n’as pas le CNC, il y a toujours une région, un département, une communauté de communes, …

 Le Mulot menteur d'Andrea Kiss

 

C. : C’est quoi l’espoir pour le court-métrage ?
T.Z. : Aujourd’hui, je crois que le seul espoir, c’est qu’on en revienne à ce qu’on appelle le programme complet : un court et un long dans les salles de cinéma. Les gens ne voient plus les courts qu’en festivals et à la télévision à des heures indues. Ou alors, il faut rassembler plusieurs films et monter des compilations comme le fait Arnaud Demuynck à destination du jeune public.

Par exemple, le court d'animation Nuit chérie est sorti en France depuis le 23 septembre dernier dans une compilation montée par Les films du Préau qui avait déjà en son temps sorti le film Le Mulot menteur. Je pense qu’ils avaient fait plus de 80.000 entrées avec ce film et plus de 8.000 DVD avaient été vendus dans une compilation de plusieurs films. Ça avait très bien fonctionné. On peut espérer que ce programme fonctionnera avec Nuit chérie. Malgré les circonstances actuelles, plusieurs salles ont décidé de le diffuser. On verra.

Après, je ne suis pas sûr que pour les exploitants, la fiction soit accueillie de la même manière parce que leur public d’enfants réagit plus à l’animation. C’est quelque chose que j’aimerais beaucoup faire, distribuer des programmes, mais on est dans un contexte plutôt angoissant sur la possibilité de parvenir à rentrer dans ses frais. Aujourd’hui, quand je vois que les salles de cinéma ont été fermées à tort à mon sens, je me dis : “Combien de mois sont passés sans projections” ?

 

Tout à propos de: