Cinergie.be

Wozo de Thibaut Monnier

Publié le 19/09/2022 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Dans son premier long-métrage intitulé Wozo, le journaliste et réalisateur Thibaut Monnier retrace, avec énergie et justesse, le parcours houleux de Boris, un jeune journaliste travaillant pour l’ONU et envoyé en Haïti afin de produire des images relatant les projets de maintien de la paix, de lutte contre la pauvreté ou contre le choléra afin de décrocher des financements. Mais cet avenir prometteur et engagé va vite devenir le terrain d’une illusion à grande échelle. Inspiré de faits réels issus de la vie du réalisateur, qui fut chargé de communication visuelle pour le compte du Programme des Nations Unies pour le développement en Haïti, le film développe un regard critique sur la présence et l’utilisation abusive des médias dans le cadre de l’aide humanitaire.

Wozo de Thibaut Monnier

Wozo s’ouvre sur une séquence matinale et joyeuse entre Boris et sa fille Lina, séquence paisible et banale ne laissant guère présager le plongeon tumultueux dans la temporalité mémorielle qui suit. Car lorsque le supérieur de Boris lui demande de partir en Haïti pour couvrir les élections, le film nous immerge de manière chronologique dans ses souvenirs et dans sa vie passée, depuis sa recherche d’emploi jusqu’à sa démission de l’ONU pour des raisons éthiques. À travers ce parcours qu’il nous relate, nous devenons témoins des dérives du système et de la politique de l’ONU en Haïti ainsi que l’utilisation néfaste des images.

Outre l’enjeu critique d’effectuer une relecture de sa propre histoire et de maintenir une sous-intrigue qui s’appuie sur la transmission filiale en expliquant à sa fille Lina « d’où elle vient », le film trace à travers les souvenirs un engagement politique entre passé et présent. Inspiré de l’expérience de Thibaut Monnier (incarnant Boris), Wozo dépeint avant tout une désillusion qui accompagne sa génération : entre désir de changer le monde et les rouages d’un système qui stagnent, entre les attentes d’un travail qui a du sens et la réalité d’une administration et de chefs sans morale, entre les promesses d’un monde meilleur et une politique toujours plus violente et méprisante, la désillusion laissée par les générations précédentes et l’écart qui se creuse entre les modes de vies et de pensées. Cette désillusion, ce clivage existentiel de l’ordinaire se décline dans le quotidien de Boris, lorsqu’il interviewe un médecin, lorsqu’il apprend que le choléra a été amené par les Casques leus, mais aussi lorsqu’il est témoin d’un viol par ces mêmes Casques bleus. Mais plutôt qu’adopter une posture d’aphasie, Boris devient alors un témoin critique, dénonçant les viols et les médias internationaux avides d’images catastrophes, les inégalités entre les locaux et les expatriés, et les multiples scandales liés à la politique de l’ONU sur place.

Tout comme le roseau (wozo en créole), le film ne semble pas (plier). Au contraire, il participe activement à la réflexion sur le rôle des images et l’absence d’éthique dans leurs utilisations dans le secteur humanitaire.

Tout à propos de: